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Critique de enkidu_


Même si il reprend les thèses développées antérieurement, c'est le premier ouvrage "systématique" qu'il nous propose sur un problème fondamental : celui de la morale.

Composé dans une prose enflammée qui lui est caractéristique, et après avoir critiqué les psychologues anglais qui réduisent le bon à l'utilitaire, il montre qu'il a existé deux attitudes dans le domaine éthique, celui aristocrate, qui affirme l'existence et sont bons par leur domination sur les autres (Friedrich Nietzsche, philologue de formation, invoque alors l'étymologie), et la "morale des esclaves" ou du ressentiment, qui fait du "bon" aristocrate non pas un "mauvais", mais un "mal" ; c'est la morale des faibles, celle qui ne recherche pas la vengeance dans l'agir, mais dans un "arrière-monde" religieux - contrairement au noble qui se "désaffecte" de l'acte dans la vie et ne "calcule" même pas l'homme "mauvais", l'homme du ressentiment est dans la réaction, dans le cause-effet qui, selon notre auteur, est une fiction purement grammaticale - quand un animal plus fort chasse sa proie pour la nutrition, il le fait par impératif biologique et par sa puissance, il n'est pas de "bien ou de mal", contrairement à ce que propose "la morale de l'esclave", qui, dans ce même fétichisme de la causalité, finit par faire la dissociation corps-âme, et nourrissant du mépris pour le premier.

Dans ce transfert d'une morale de l'aristocrate vers une idéologie du ressentiment, il pointe du doigt la compétition entre le prêtre et le guerrier, le premier étant, par son conditionnement, un homme du contemplatif, de l'ascétisme, par définition secrète le ressentiment ; et c'est là qu'interviennent les juifs qui sont - dans l'Ancien Testament même, d'ailleurs - le peuple-prêtre.

Nietzsche ne critique pas tellement "le juif" en en faisant une essence - dans le second traité il dit de l'antisémite (et de l'anarchiste) qu'il est un homme du ressentiment - mais en tant qu'il a, comme fonction générale, le rôle du peuple sacerdotal ; en Occident, ces idées seront infiltrées par le christianisme dans l'empire romain (d'où la "révolte des esclaves"), perdront de la vitesse à la Renaissance (qui se voulait un retour à l'hellénique), mais reprendront de la vigueur à sa fin, pour connaître leur apex à la Révolution française de 1789, "...c'est alors que la dernière noblesse politique qui subsistait encore en Europe, celle des dix-septième et dix-huitième siècles français, s'effondra sous le coup des instincts populaires du ressentiment, — ce fut une allégresse immense, un enthousiasme tapageur comme jamais on n'en avait vu sur la terre !" (p. 79)

Dans la deuxième dissertation, le philosophe va sur la "modalité" de l'éthique, la responsabilité, "mauvaise conscience", ... il dit que ce qui fait, à terme, le proto-individu, c'est l'oubli, qui est une faculté pour que l'homme ne reste pas englué dans le passé et permette la mémoire, pour l'avenir : en bon étudiant de la langue, faisant le rapport entre culpabilité (Schuld) et dette (Schulden), Nietzsche nous montre que la "culpabilité", au sens premier, n'avait pas un sens "moral", mais pratique ; pour l'individu "pré-moral", le rapport n'était pas bien-mal, mais créancier-débiteur, et le "coupable" n'était pas un accusé moral, mais celui qui - justement - en brisant une promesse, permettait à l'individu de se situer dans le temps (d'où l'importance de la mémoire-oubli.) La punition qui lui était infligée par la communauté était donc la "souffrance", qui n'était elle-même pas "morale" (l'auteur parle de "festival".)

Cette "mauvaise conscience", donc de l'ordre de la moralité, n'est venue qu'avec la transition de la pré-histoire des chasseurs-cueilleurs vers un type sociétal néolithique, sédentaire, loin de "l'instinct sauvage" - alors, cette "violence" (chasse, ...) qu'on exerçait vers l'extérieur, nous devons la mobiliser en nous - d'où le ressentiment. Et plus une communauté devenait puissante et s'éloignait de son ancêtre, plus sa "dette" (culpabilité) s'accroissait, pour donner naissance, dans sa plus grande intensité, au "Dieu qui se sacrifie" : Jésus-Christ. C'est là que le ressentiment est "hypertrophié".

Dans la dernière partie, Nietzsche commente un de ses aphorismes ("l'interprétation" apportée au "texte"), et nous montre que l'ascétisme, dans sa nature - non pas définition, qui diverge - est une modalité pour asseoir ledit ressentiment, pour que "l'esclave" colorie ses chaînes.
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