A chaque relecture de coup de coeur, c'est la même appréhension : et si, le plaisir de la découverte passé, la magie s'estompait ?
On ne va pas se mentir, Ch3val de Troi3 fait partie de ces livres dont la note a malheureusement baissé suite à la relecture.
Pourtant, l'univers fait toujours mouche. Worg est toujours autant attachant et suivre ses galères est toujours un délice. Cumulant les casquettes de hacker, community manager et développeur, le jeune homme vit à Dolph, une sorte de ZAD installée en plein coeur de Dublin dans un futur pas si lointain, en pleine crise économique et où la notion de « liberté individuelle » n'est plus qu'un souvenir.
Dès les premières lignes, Eric Nieudan nous accroche, nous immerge dans son récit où les réseaux sociaux occupent une place à plein temps dans la vie des gens, où les lentilles ont remplacé les écrans et les bracelets à détection de mouvement les claviers, mais où les discussions ne volent pas plus haut qu'aujourd'hui. A la fois en terrain inconnu et familier, on n'a d'autre choix que de suivre Worg par dessus l'épaule et de voir où ça va nous mener. Et les choses ne tardent pas à dégénérer, Worg se retrouvant bien vite chargé d'enquêter sur une descente de flics venue troubler la paix de la petite cité autonome. Problème, il a mis les pieds dans une affaire vraiment, mais alors vraiment trop grosse pour lui !
La première moitié du récit est un véritable bijou, qui envoûte d'un bout à l'autre. Plus axée tranche-de-vie qu'autre chose, elle présente autant Dolph et son fonctionnement que la vie de Worg, entre son boulot, sa copine, et l'ex à laquelle il est toujours un peu accro. Difficile de ne pas l'apprécier, bien qu'il aie aussi ses défauts. En soi, Worg apparaît plutôt humain, concentré sur sa survie dans un monde où vouloir être libre signifie flirter en permanence avec l'illégalité.
Le rythme, d'abord assez posé, s'emballe de plus en plus au fur et à mesure que le héros progresse dans ses recherches... et prend conscience qu'il s'est fourré dans un sacré merdier. Non seulement le dépaysement fonctionne à 200%, mais en plus les passages d'action sont dynamiques et très réussis. Quant au côté dystopique de l'histoire, eh bien... disons que ce qui semblait être des dérives impossibles il y a quelques années a un goût nettement plus amer et hélas réaliste en 2019.
Mais alors, où est-ce que ça coince ? ... Vous l'aurez compris, dans la deuxième partie de l'histoire. Outre le fait que de longues ellipses s'enchaînent entre ladite moitié et la conclusion, précipitant une narration jusque-là précise et détaillée, on ne peut s'empêcher de penser que le monde est tout de même vachement petit. Comme si, finalement, tout tournait autour de Worg... Certes, de petits détails auxquels l'on n'avait pas forcément prêté attention au début du récit confirment que l'auteur avait très bien préparé son coup et savait dès le départ où il voulait nous emmener, alors difficile de dire que l'on ne l'avait pas vu venir : c'est faux, c'était sous notre nez, quoiqu'à dessein habilement camouflé dans le texte... Mais ça ne rend pas les choses plus crédibles pour autant. Et que dire de cette fin, si expédiée...
Reste que ce court voyage dans un futur vraiment pas rose, entre camps autonomes et cités utopiques, avancées et régressions tant technologiques qu'au niveau du mode de vie, sur fond d'informatique où l'adage « pour vivre bien, vivons cachés » est une nécessité vitale, demeure sacrément plaisant.
Est-ce que Ch3val de Troi3 est toujours un coup de coeur ? Oui. Est-ce que j'aurai plaisir à le relire une nouvelle fois d'ici quelques années ? Indéniablement. Mais est-ce que la magie est aussi intacte que lors de la première lecture ? Hélas non. Mais bon, tant pis. Ses défauts n'enlèvent rien à son charme.
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Roman cyberpunk, très court qui se déroule dans un futur proche. Un monde où tout est hyper-connecté, un Big Brother de demain que l'on a déjà lu hier. Rien de nouveau, ni d'emballant..
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Il y a quelques années, Worg se rappelait avoir lu les résultats d'un sondage mondial qui avait montré que la majorité des 15-35 ans se déclaraient plus fidèles à un réseau social ou un constructeur informatique qu'à leur nation d'origine. Les marques étaient les nouveaux drapeaux. Les logos étaient d'ailleurs les seuls symboles d'appartenance qu'on pouvait arborer dans la rue sans déclencher les programmes de recherche des cybermercenaires au service des gouvernements.
Celui qui se rapprochait le plus d'une autorité pensante à Dolph était sans doute le dernier des technophobes. Étrangement, c'était cet homme, coupé des communications en temps réel, et donc du monde, à qui on avait donné le pouvoir de prendre les décisions importantes. Bien sûr, le tout-venant était géré par un conseil d'échevins chacun à la tête d'un groupe de volontaires. Mais quand il fallait réfléchir à long terme ou rédiger des messages officiels à destination des autorités irlandaises ou des Nations Unies, c'était toujours John qui s'en chargeait.
Worg sentit sa mâchoire se crisper à nouveau. Depuis que la municipalité recevait des mises à jour gratuites en échange de la tolérance zéro sur le piratage de produits Microsoft, il ne faisait pas bon être trop pauvre pour se payer les licences. Les intérêts privés passaient souvent devant la mission publique.
Worg n'était pas particulièrement fier de ses origines. A vrai dire, il se sentait moins Irlandais que braincaster, moins dublinois que linuxien.