Je ne sais pas trop quoi penser de ce livre. J'ai voulu le lire après avoir vu un reportage dans lequel Laurent Terzieff disait que ce journal de Nijinski était son livre de chevet : cela m'a intriguée, et encouragée à le découvrir.
J'ai fait plusieurs tentatives de lecture complète mais n'ai jamais réussi à aller jusqu'au bout de ce journal, qui, il faut le dire, est le journal d'un fou, parfois traversé de fulgurances poétiques géniales, mais le plus souvent est pris de délire furieux et enchaîne des mots abscons, scabreux, obscènes, les insultes à l'encontre de ses amis, la religion, les femmes...
C'est fiévreux, et ce n'est rien de le dire, mais aussi très fatiguant, parce qu'on le lit avec sa raison, tout en essayant d'éliminer les filtres de la logique, du beau, de la narration... mais, en ce qui me concerne, au bout d'une cinquantaine de pages je me sens débordée par tout ce "trop", ce vertige continu qui finit par me faire tomber le livre des mains.
Nijinski, de l'orée de sa folie, dévoile sa vision du monde dans ses cahiers. Mais sa folie n'existe qu'aux yeux des autres ; pour lui, c'est le monde qui est en train de perdre tout son sens. Idéaliste, psychotique, paranoïaque et mégalomane, il est aussi hypersensible, au point de se dissoudre dans son empathie pour le monde entier, qu'il dit vouloir sauver en écrivant. Peut-être a-t-il sombré dans la folie. Peut-être était-il un sage ayant perdu tout contact avec la réalité. La frontière est toujours mince. Il en reste une oeuvre singulière, ni journal, ni mémoires, ni règlement de comptes avec son entourage, il y a pourtant un peu de tout cela dans cette prose étrange, saccadée, obsédante. C'est une trace déchirante de ce qui résulte d'un idéal sublime lorsqu'il se cogne au réel : de la beauté torturée, de l'humanité à vif.
Autour du livre :
- "Le ciel de Nijinski", in La Ritournelle, Christophe Fiat
- Le journal de Nijinski, version censurée et retouchée par sa femme Romola
- Variation sur l'après-midi d'un faune, Christian Dumais-Lvowski
Des paroles crues, mais, j'en reste persuadée, aimantes. J'aime à imaginer qu'il n'était pas malade et que ses écrits sont le fruit d'un esprit sain. L'amour de l'homme n'est pas une erreur. C'était une lecture assez grisante, presque magique. Je vous le recommande.
Je suis la raison, et pas l'intelligence. Je suis Dieu, car je suis la raison. Tolstoï a beaucoup parlé de la raison. Schopenhauer aussi a écrit sur la raison. Je suis la philosophie raisonnable. Je suis la philosophie vraie, et pas inventée. Nietzsche est devenu fou, car il a compris vers la fin de sa vie que tout ce qu'il avait écrit était des bêtises. Il a eu peur des gens et il est devenu fou. (...) J'écrirai beaucoup, car je veux expliquer aux gens ce que c'est que la vie, et ce que c'est que la mort. Je ne peux pas écrire vite, car mes muscles se fatiguent. Je n'en peux plus. Je suis un martyr, car je sens une douleur dans l'épaule. J'aime écrire car je veux aider les gens. (...) J'écrirai jusqu'à ce que Dieu m'arrête.
Je veux de la lumière, mais différente. J'aime la lumière des étoiles qui clignotent, je n'aime pas les étoiles qui ne clignotent pas. je sais qu'une étoile clignotante c'est la vie, et qu'une étoile qui ne clignote pas c'est la mort. Je sais ce que je dois faire quand une étoile me clignote. Je sais ce que signifie une étoile qui ne clignote pas. Ma femme est une étoile qui ne clignote pas. J'ai remarqué qu'il y a beaucoup de personnes qui ne clignotent pas. Je pleure quand je sens qu'une personne ne clignote pas. Je sais ce que c'est que la mort. La mort c'est une vie éteinte. Une vie éteinte, c'est ainsi qu'on appelle les gens qui ont perdu la raison.
Je sais qu'il n'y a pas d'hommes sur Mars, car Mars est un corps glacé. Mars a été une Terre, mais il y a beaucoup de milliards d'années. La Terre aussi sera une Mars, mais dans quelques centaines d'années. Je sens que la Terre étouffe, c'est pourquoi je prie tout le monde d'abandonner les usines et de m'écouter. Je sais ce qu'il faut pour sauver la Terre. Je sais chauffer un poêle, c'est pourquoi je saurai réchauffer la Terre.
Je dirai qu'être peureux n'est pas un trait de caractère faible, mais une habitude nerveuse.
En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.