Ce volume du journal (n°54) est grand. Un grand cahier honnête, exubérant que m'a offert Henry sur lequel je peux m'épancher au-delà du journal, en embrasser davantage, me transcender. Le petit cahier que je pouvais glisser dans ma poche était à moi, celui-ci je ne peux le saisir, le cacher, le retenir, le contenir. Il s'étale. Il s'affirme. Il est posé sur mon bureau comme un véritable manuscrit. C'est une toile plus grande. Pas d'inscriptions marginales, faites délicatement, discrètement, mais du travail, de l'affirmation. Il se trouve que je suis seule. Je peux le laisser sur mon bureau. L'endroit m'appartient totalement. Je vais peut-être y inclure le monde. Je néglige le monde. Henry avait raison, ce que j'écris est moins communicable que ce qu'il écrit lui, parce qu'il a une amour humain de l'écriture, des mots, il prend un plaisir sensuelle à écrire c'est une chair et une nourriture, alors que j'éprouve un certain mépris vis-à-vis de la joie sensuelle de l'expression, je recherche la signification, le contenu. Quête solitaire qui m'isole. Henry est plus proche de tous à cause du langage, parce qu'il aime parler, formuler, partager. Il s'intéresse à la communication, et moi à l'exploration, aux découvertes, à la poursuite d'états d'esprits, sentiments insaisissables. Nous allons un peu regarder, mon journal, les jouissances autour de nous. Nous nous attarderons sur les plaisirs sensuels du langage, le verbe fait chair, et nous nous préoccuperons moins de la signification. Henry bien souvent ne s'occupe pas du sens. Peu lui importe qu'un paragraphe vienne contredire ou anéantir l'autre.
853 - [Livre de Poche n° 3902, page 321]
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