Je découvre La Fille du van de Ludovic Ninet dans le cadre des 68 premières Fois et le lis dans sa version numérique. L'auteur présente son roman comme « un livre lié au passé, avec cette envie de savoir comment les gens digèrent un vécu qui les a brisés ».
C'est l'histoire de Sonja, une infirmière militaire de retour d'Afghanistan, en quête d'elle-même et en fuite d'un passé traumatisant ; elle a pris la route et vit, au jour le jour de petits boulots et d'expédients. Elle rencontre Pierre, rôtisseur sur le parking d'un supermarché, Abbes, fils de harki au casier judiciaire chargé et Sabine, une femme solitaire aux rêves brisés, ancienne toxicomane, toujours abandonnée.
Le personnage de Pierre est librement inspiré de Pierre Quinon, premier champion olympique français de saut à la perche, qui s'est suicidé en 2011 ; voilà qui n'a rien d'anormal venant d'un nouvel auteur, ancien journaliste sportif.
Dès les premiers chapitres, les personnages sont à fleur de peau, cabossés par la vie ; même sans savoir encore d'où ils viennent et pourquoi ils sont là, leur fragilité émeut et touche. Tout annonce un récit fort et sans concession. En une trentaine de pages, les quatre protagonistes principaux sont installés dans le récit, avec leurs failles à peine évoquées. Puis la trame narrative s'intensifie, autour de courts chapitres qui nous en apprennent de plus en plus sur leur passé difficile à porter et entremêlent les points de vue ; des rapprochements se développent ou s'opèrent, issus du passé entre Pierre et Abbes, nouveaux entre Sonja et Sabine, Sonja et Abbes, Sonja et Pierre, jusqu'à former un trio avec Sonja, Abbes et Pierre, la jeune femme servant toujours de point de focalisation diffractée.
Le lieu aussi prend son importance ; l'étang de Thau, zone lagunaire entre eau de mer et eau douce, paysage empli de douceur, devient symbole de passage du passé au présent, de dilution des souvenirs ; la ville de Sète représente le retour à la maison, aux origines, la sécurité.
Les quatre personnages sont prisonniers d'un passé qui les stigmatise et rêvent tous d'un ultime nouveau départ.
Sabine est prête à tout pour ne plus être quittée ; Abbes ne veut plus être « l'Arabe ex-taulard-braqueur-irrattrapable et fils de harki », mais devenir enfin un citoyen lambda pour « s'inventer sa propre histoire » ; Pierre cherche un ailleurs ou partir sans regret, loin « des espoirs intenables et des vides béants » ; Sonja doit accepter d'avoir vu mourir des enfants et pourtant d'être mère et de porter la vie. Ils ont tressé des liens forts entre eux : l'amitié virile entre Abbes et Pierre se mue en fraternité, Abbes considère Sonja comme sa fille, Pierre et Sonja ont retrouvé un élan commun pour se projeter ensemble dans l'avenir, Sabine se révèle une amante et une amie loyale.
Mais, «il y a toujours des malheureux qui paient pour le bonheur des autres ». La Fille du van ne promet pas de happy end pour tout le monde.
L'originalité de ce roman vient sans doute du fait que le rôle du militaire, victime de stress post-traumatique est une femme infirmière et non un soldat combattant, comme c'est souvent le cas dans ce type de récit. La descente aux enfers de Sonja, entre alcool et médicaments, hallucinations et cauchemars, n'en est que plus forte et plus émouvante. Ludovic Ninet explore avec finesse toutes les facettes de la personnalité féminine, dans la maternité, entre stérilité et fécondité, dans la sexualité, entre frigidité et jouissance, dans la culpabilité et enfin, dans la résilience.
Selon la formule consacrée, je ne sors pas indemne de ma lecture.
C'est lourd, dense, glauque.
C'est amer, injuste.
Des personnages en devenir, que je n'oublierai pas.
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