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Critique de Herve-Lionel


N°399– Février 2010.
LE SARI VERTAnanda DEVI – Gallimard.

Nous sommes dans l'île Maurice et un vieux médecin, le Docteur Bissam est à l'agonie. Il est veillé par sa fille, Kitty, et sa petite-fille, Malika. On imagine facilement qu'il aurait souhaité partir en paix, mais son existence entière a été faite de haine, de violences... le fait-elle exprès (avant qu'il ne soit trop tard?), mais sa fille va réveiller, dans le huis-clos de cette chambre mortuaire et dans l'esprit de ce pauvre nécromant, des images oubliées depuis longtemps. C'est qu'elle veut apprendre de sa bouche comment sa mère, l'épouse du docteur, est morte. Elle veut savoir ce que fut sa vie et elle ne va pas tarder à apprendre qu'elle a été placée sous le signe du mépris, des insultes, des coups... qui peuvent parfois conduire au crime. Même si le récit est fait principalement à la première personne, par ce « Dokter-Dieu », on n'imagine pas, pour une foule de bonnes raisons, qu'il ait pu être aussi un tyran familial. Pourtant, avec la voix qu'on imagine chevrotante d'un mourant, il va justifier son attitude, celle de toute une vie. Pour un plat brûlé, il frappe pour la première fois son épouse et évoque le sourire que lui faisait sa lèvre fendue. «  La violence est une grâce » finit-il par déclarer!

La violence (à la lumière du dernier mot de cet ouvrage étonnant à plus d'un titre) est donc au coeur de ce roman, celle d'un homme qui bat son épouse et plus tard sa fille, parce qu'il n'aime guère les femmes, mais aussi la violence verbale du monologue de cet homme qui revoit le cours d'une vie où il n'a pu se dispenser de rendre malheureux son entourage. Sous sa plume, à la fois cruelle misogyne et lucide, le narrateur entraîne son lecteur dans la monstruosité ordinaire d'un homme mesquin, une sorte de « Père-Dieu » qui a d'autant plus facilement humilié cette épouse, morte jeune, qu'il en était profondément épris, qu'il désirait ardemment la posséder, la dominer, mais cette femme choisit, comme acte de résistance, de se réfugier dans le silence. Il étend son pouvoir sur elle puis sur sa fille, mais on sent bien que sa petite fille lui échappe. le lecteur comprend bien aussi que ces deux femmes ne le laisseront pas en paix tant qu'il ne leur sera pas révélé les circonstances de la mort prématurée de cette épouse, même s'il cherche à louvoyer avec la vérité et ses peurs, celles de la nuit et celles du passé.

C'est peut-être difficile à dire, mais il m'a semblé que ce livre était une sorte de dernier cri poussé avant la mort même si « l'honnêteté de penser est désormais un crime », on sent qu'il a envie de tout braver et de libérer enfin sa conscience, même si ces mots sont pleins de méchanceté, de haine et de volonté de se disculper. C'est que la mort est à chaque ligne, celle de son épouse mais aussi celle de leur fils qui n'a pas vécu, celle du mari de Kitty, de tous ceux qu'il a soignés et qui n'ont pas résisté, de la sienne à venir...Certes, ce qu'il dit dérange, mais j'ai eu l'impression d'une libération par les mots, un besoin de justifications, une catharsis... même si le monologue se transforme, petit à petit en dialogue, certes difficile et même délétère entre « ses » femmes et lui.

A la fin, cet homme finit par mourir et la parole est rendue aux femmes qui lui assènent leur vérité afin que l'équilibre des choses soit en quelque sorte rétabli. Il l'est, d'une certaine façon à la fin, quasi-fictivement, puisqu'elles se retrouvent devant le corps du docteur, désormais privé de vie, et célèbrent en une sorte de fête macabre, une manière de libération, le point final de leurs blessures

Le sari, vêtement de femme de l'île Maurice qui évoque tout à la fois la grâce, la féminité, la légèreté, va devenir sous la main de Bissam, un véritable carcan et même un linceul. Il apparaît au début dans un rêve, une sorte de fantôme que le narrateur poursuit, allégorie de la vie passée avec son épouse, puis de la mort.

Le livre refermé, je retire une impression dérangeante, malsaine. Cette histoire de vie et de mort, de culpabilité et de pardon, de honte et de faute, d'amour et de haine, d'ange et de démon, de solitude et de compassion, de grandeur et de déchéance, de tendresse et de lâcheté, de poésie et de vulgarité, d'émotions et de dégoûts résonne comme les deux pans opposé d'un discours d'où la pertinence et la lucidité ne sont pourtant pas absentes.

Le style est envoûtant jusqu'à la fin et j'ai un peu de mal à admettre que tous ces mots aient pu naître sous la plume d'une femme.



©Hervé GAUTIER – Février 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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