Londres, ce soir-là, par la fenêtre, avait rigolé en la voyant manger
« Les ombres qui le masquaient étaient un présage de détresse, creusaient la distance physique qui les séparait, lui rappelaient sans ménagement qu'il n'y avait eu qu'une nuit, une seule, même pas, une demi-nuit, un fragment de nuit, et qu'elle n'avait jamais pu voir son visage ».
Mary Grimes a vieilli. Un souvenir de jeunesse lui permet de se composer une vie. le souvenir d'Howard et d'une nuit d'amour. Mary fait des statuettes, comme mots, gestes de la présence de cet hier, à peine entrevu, « Mais elles lui permettaient de se sentir vivante, de poursuivre son étrange exploration du monde, de s'imaginer qu'elle faisait partie des choses et qu'elle n'était pas cette forme transparente que les miroirs et les glaces lui reflétaient fortuitement ».
Londres, longtemps après cette guerre qui lui avait enlevé Howard, rongé l'avenir, laissé « trop de place dans sa vie, trop d'espaces à remplir ». Londres, une ville en transformation, « la cité s'étalait et engloutissait ceux qui ne savaient pas nager. La ville entrait en guerre, les jeunes dieux la chevauchaient pour aller cueillir leurs rubans de vainqueurs, pour prendre tout ce qui pouvait être pris, bouche ouverte pour capter l'air, le temps, la vie, le grondement de destruction, de construction, et, au milieu des mâchoires de fer, les invisibles broyés »
Une rencontre. Un jeune garçon nommé Cub. L'amour, le désir contre le vieillissement, l'abandon. La transformation du visage, du corps de l'être. Et un trou au plafond, le retour d'Howard. Tout devient flou, réalité et invention se mêlent dans une danse macabre sur fond de haine, de racisme.
Mot, « Les mots, dit-elle, efface mes mots, puisque je n'ai plus rien à dire qui vaille la peine d'être écouté. A toi, je peux parler sans mots », image, sentiment, l'auteure crée le sentiment d'incertitude. « Une pupille rétractée sur son infini, qui ne contemplait plus la réalité mais percevait la couche de mensonge qui recouvrait chaque visage, chaque mot, chaque image, chaque sentiment. L'épingle de ce regard ponctionnait la membrane élastique étirée entre son passé et son avenir – ou ce qu'il en demeurait », la présence-absence d'Howard.
Se barricader pour aimer, refuser, inventer une autre réalité, « tu m'as caché la vérité de ma propre mort » ; se rendre plus vivante au milieu de « mille fleurs de glace ».
Un beau roman.
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