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Jean-Paul Sartre (Préfacier, etc.)
EAN : 9782707137517
168 pages
La Découverte (01/05/2002)
3.57/5   144 notes
Résumé :
"J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. "Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde." Paul Nizan a vingt ans lorsqu'il s'embarque pour Aden, décidé à fuir l'ennui, le confort et le conformisme. Aden Arabie est le récit de ce voyage, fuite adolescente qui se mue en révolte contre le devoir, la patri... >Voir plus
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Relecture a des annees-lumiere.

Sous le couvert d'une experience autobiographique, c'est un pamphlet. Cela commence par une diatribe contre l'entourage ou il a grandi, ou il remue dans ses annees de jeunesse. Il se voit un avenir insipide, affligeant, dans une societe etriquee, hypocrite, fiere de ses oeilleres, fiere de ses prejuges. C'est l'absence d'horizon. Ecoeure, il abandonne des etudes prometteuses et part. Pour ou? “Pas de voyages en Europe […] C'etait d'elle qu'il etait important de nous debarrasser. Et ailleurs reposaient les autres continents, charges des forces, des vertus, des sagesses absentes de notre province. Tout valait mieux qu'elle, et qu'elle tout entiere. Et en effet l'ombre des cartels allemands, des milices fascistes, des textiles anglais, des bourreaux roumains, des socialistes polonais etait aussi noire et froide que celle du comite des Forges et des usines de Saint-Gobain. […] Franchissons donc les limites de cette presqu'ile limitee par des mers et les poteaux frontieres de la Russie. Condamnons cette taupiniere avec ses tas de scories, les crassiers de ses vieilles mines”. Ce sera donc loin de l'Europe. Aden.

Mais Aden se revele etre une societe encore plus sterile, d'une vacuite pretentieuse, et encore plus rebutante dans les relations entre les diverses populations. “(ils) vivaient par clans, par religions, par couleurs de peau, par nations, par clubs, par maisons de commerce, par regiments. Ils passaient leur temps a inventer des subdivisions, des cloisons, des echelons sur lesquels ces singes montaient et descendaient. […] Dire que ces fous auraient pu aimer des hommes, qu'ils n'etaient faits que pour cela ! les Arabes haissaient les Juifs, les membres de l'Union Club meprisaient ceux de l'international Club qui admettait les ingenieurs italiens des salines, les fabricants grecs de cigarettes dont aucun officier de l'artillerie britannique ne saurait parler sans rire. […] Il y avait un jeu inextricable de distances sociales ou tout ce monde se glissait et se reconnaissait avec une dexterite merveilleuse, des degres hierarchiques au bas desquels se trouvaient sans doute les Juifs humbles et crasseux qui habitent autour de la synagogue ou ils vont se consoler de bien des affronts en priant le dieu des vengeances, les epaules entourees d'un thaless poetique comme la nuit. Au sommet de la pyramide il y avait l'agent de la Peninsular, deux ou trois commerçants puissants dans la mer Rouge, les officiers, le gouverneur, et dans le Crescent, à Steamer Point, la statue assise de la grosse reine Victoria avec ses joues pendantes, ses petits yeux coinces d'ivrognesse”. Il se rend compte que “Aden etait une image fortement concentree de notre mere l'Europe, c'etait un comprime d'Europe. […] le levant reproduit et commente le ponant”.

Il comprend que tout le globe est contamine par un systeme social qui ne voit en l'homme que l'homo economicus. Et que c'est ce systeme qu'il doit combattre, partout et n'importe ou. “Homo Economicus marche sur les derniers hommes, il est contre les derniers vivants et veut les convertir a sa mort. […] Homo Economicus a son illusion du bonheur : il parle de sa puissance, et il entretient des hommes pour lui fabriquer des illusions : des romanciers, des historiens, des poetes epiques, des philosophes. […] L'heure me presse de detruire et de denuder ces mannequins de peau, d'ossements et de calculs, que je prenais pour d'invincibles demons. C'est le moment de faire la guerre aux causes de la peur”. Il reviendra donc en France, combattre pour une meilleure societe, pour un systeme plus humain. “La fuite ne sert a rien. Je reste ici : si je me bats, la peur s'evanouit. […] Je vais vivre parmi mes ennemis”.

Il y a des annees-lumiere je l'avais lu dans la “petite collection maspero". Un petit livre a couverture verte qu'un de mes amis m'a fauche je ne sais plus quand. Emprunte derriere mon dos. A la relecture aujourd'hui l'ecriture m'impressionne encore, le ton moins. L'age fait que je morde moins a sa rethorique, que je releve de petites chutes qui m'agacent, que j'essaie de dechiffrer, entre les lignes, ce que Nizan n'ecrit pas.

Qui n'a reve de partir sur les traces de Rimbaud? A l'aventure? Aden! le Harrar! Ou de Gauguin? Les iles d'Outremer! Les Marquises! Nizan a surement reve de les imiter. Mais en fait il part embauche d'avance comme precepteur des enfants d'un riche anglais. Aventure en version restreinte. Matelassee.

A son retour il milite au parti communiste, ce qui a l'epoque etait un vrai engagement de combat pour une societe plus juste, meilleure, mais il continue aussi ses etudes de philosophie, il ecrit des romans, tout comme les intellectuels qu'il avait denigres. Il me faut noter en sa faveur qu'il a rompu avec le parti en 1939, a la suite du pacte que Molotov signe avec les nazis. Et il est mort si jeune qu'on ne peut que conjecturer de son evolution.

Dans le texte meme du livre certains passages m'ont gene. Il meprise les autochtones d'Aden, passifs, fatalistes, croupissant sous le soleil. C'est la plus totale des corruptions. Et il lache quelques remarques fleurant bon l'antisemitisme, du genre: “mais les bourgeois produisent et possedent abstraitement. Comme il y a beau temps qu'ils ont herite d'Israel, ils passent la vie a preter a interet". Avant cela, critiquant les intellectuels francais, il a un mot charmant pour le philosophe Leon Brunschwicg: “Ce petit revendeur de sophismes avait un physique de vieux maitre d'hotel autorise sur le tard a porter ventre et barbe. La ruse sortait du coin de ses yeux, guidait dans l'espace gris les courts mouvements de ses mains doucereuses de marchand juif”.

Mais ces remarques ne sont surement que des broutilles. Il ya quand meme une grande lecon a retenir de ce livre: “J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel age de la vie”. En effet, c'est plutot l'age ou on ecrit des imprecations.
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Ce livre, resté célèbre par son incipit ( "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie." ), est d'un bout à l'autre un cri avant même d'être un pamphlet. L'auteur s'en prend d'abord au milieu où il a grandi, à la France de l'après-guerre (il a vingt ans en 1925), à son intelligentsia, à l'absence de perspectives, d'avenir, d'horizon. Il décide donc de partir, loin de la vieille Europe. Ce sera Aden. Pourquoi Aden ? le lecteur n'en saura rien, probablement par hasard. D'ailleurs un élément remarquable de ce récit autobiographique est l'absence quasi totale d'éléments autobiographiques concrets. Un peu imbu de lui-même et probablement dépressif, il prend donc le large. A Aden il travaille en fait comme précepteur chez un riche homme d'affaire. Loin d'un univers d'aventures à la Rimbaud ou à la Gauguin, il tombe dans un milieu étriqué où même tous les colons blancs ne se fréquentent pas, de même que les arabes ne fréquentent pas les juifs. Aden est en pleine expansion, en pleine occidentalisation, économique du moins, parce que côté culture, il n'y a rien. du coup le voilà encore plus désabusé, désenchanté, et, tel Ulysse, il finit par rentrer au bercail où... il adhère au Parti Communiste.
Paul Nizan a été un écrivain très connu jusqu'à sa mort (au front en 1940), mais à partir d'août 1939, il subit des attaques nombreuses et virulentes de la part du Parti Communiste avec lequel il est en rupture suite à la signature du pacte germano-soviétique. Comme l'explique Jean-Paul Sartre dans sa très longue préface « L'anéantissement de Nizan fut décidé. Une balle explosive l'avait, entretemps, frappé derrière la nuque, mais cette liquidation ne satisfit personne : il ne suffisait pas qu'il eût cessé de vivre, il fallait qu'il n'eût pas du tout existé. On persuada les témoins de sa vie qu'ils ne l'avaient pas connu pour de vrai : c'était un traître, un vendu. » Cette longue préface, pas toujours limpide, a failli m'arrêter et finalement je ne l'ai lu qu'après. Elle était nécessaire en 1960 pour des lecteurs qui n'avaient aucun élément pour comprendre Aden Arabie, mais à l'heure actuelle j'ai eu l'impression que c'était la préface qui avait besoin, et de notes, et d'explications, en tout cas pour moi ! Sartre était frappé en 1960 par l'actualité du texte, et, franchement, le cri du jeune Nizan dans ses conclusions n'a guère pris de rides ! Et quelle belle plume, riche, travaillée et en même temps pleine de pointes d'ironie ( « Je suis arrivé, il n'y a pas de quoi être fier » « Vous pouvez uriner librement dans la mer : nommerez-vous ces actes la liberté ? » ) entre de grandes envolées philosophiques et des métaphores parfois devenues énigmatiques. Maintenant que je l'ai découverte, cette plume, il ne me reste plus qu'à me plonger dedans, à découvrir ses romans (j'ai encore quatre autres livres de Nizan), et à méditer sur les dégâts de toute forme de cancel culture !
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Paul Nizan a vingt ans quand il s'embarque pour Aden, au Yémen, alors sous la domination de l'empire britannique; pourquoi partir? Parce qu'il étouffe dans ce monde bourgeois, parce qu'il est jeune, révolté tout autant que déprimé par la vieille Europe, parce qu'il fuit sa vie comme on ôterait sa peau au sortir de l'enfance.
Mais pourquoi Aden, précisément, et non l'Amérique, ou encore l'une des colonies françaises. Nizan ne justifie pas ce choix, mais cette ville si particulière le révèlera à la réalité du monde moderne.
Aden est alors en pleine expansion, passant de 6000 habitants au début du dix-neuvième siècle à 35000 50 ans plus tard. Grand port stratégique, elle abrite une population très diversifiée, dont de nombreux Européens qui y reproduisent leur mode de vie occidental, la culture en moins. Pas de théâtre, de cinéma, de musique, uniquement un intérêt pour le commerce, l'économie, une vie exploitée par les entreprises en expansion, et le rêve pour cette population du retour au pays. Rêve illusoire selon Nizan et signe de soumission. La vie ne se rêve pas, elle se vit.
Dans l'écriture de ce court texte autobiographique, on devine un jeune homme à la fois révolté et désabusé, en proie à la dépression (confirmée par sa biographie) ; le monde qu'il décrit est désenchanté, terne, la vie qui y est menée semble inutile et mécanique.
Nizan reviendra en France tel Ulysse après un long voyage, et prêt à s'engager pour le communisme.
J'ai peu apprécié les premières pages dans lesquelles la bouderie et l'arrogance du jeune homme se faisait un peu trop sentir, mais j'ai ensuite suivi le regard qu'il porte sur le microcosme de cette colonie avec intérêt. Cet essai est bien ancré dans l'entre-deux-guerres et préfigure les Sartre et compagnie à venir.
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« Aden Arabie » ; Paul Nizan (Préf J.P. Sartre, Ed La Découverte, 160p)
Dans la rubrique « je profite de la retraite pour lire enfin ce que je n'ai pas lu à 18 ans » (!!!), j'empoigne cet opuscule, publié pour la première fois en 1931, connu d'abord pour son incipit célébrissime (« J'avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie »), et relancé par la presque aussi célèbre préface que Sartre lui offrit dans une réédition de 1960, celle-là même que je viens de lire.
Et puisque Sartre, c'est lui-même, commençons donc par ladite préface, qui fait à elle seule la moitié du récit de Nizan. En fait, c'est moins une préface au livre qu'une volonté tardive de réhabiliter celui qui, mort à 35 ans en 1940 dans la débâcle des armées anglo-françaises à Dunkerque, fut son ami de jeunesse à Normal' Sup. C'est ce qui fonda la vie et les engagements de Nizan que Sartre fait défiler, s'appuyant d'ailleurs essentiellement sur son autre roman grandement autobiographique : « Antoine Bloyé ». Nizan s'est toujours vécu comme une sorte de transfuge de classe (un thème tellement à la mode aujourd'hui, d'Edouard Louis à Annie Ernaux, celle-ci valant quand même largement mieux que celui-là), dans la suite de son père cheminot devenu ingénieur. Sartre rappelle qu'il s'est engagé au Parti Communiste, dont il claquera la porte quelques mois avant sa mort, au moment du pacte Hitler/Staline, parce que le PCF n'avait à ses yeux pas su jouer à ce moment de suffisamment de machiavélisme (sic !!!) Cette rupture lui vaudra l'anathème de toute une partie de la Gauche stalinienne ou crypto-communiste, ce qu'il paiera d'une purge de bien des bibliothèques, l'amnésie de nombre de ses anciens lecteurs, bref un quasi effacement du champs littéraire. En 1960, Sartre, dans ce texte qui a tout d'une auto-critique, analyse en quoi lui-même n'a pas su réagir à l'époque face à cet effacement, ses causes, avec des mots qui parfois ont un drôle d'écho. « Croit-on qu'elle puisse attirer les fils, la Gauche, ce grand cadavre à la renverse, où les vers se sont mis ? Elle pue, cette charogne ; les pouvoirs des militaires, la dictature et le fascisme naissent ou naitront de sa décomposition… » Il dévoile les mécanismes de la société des années 60 / 70 de manière très fine, « le temps où la bourgeoisie promet à tous le grand avenir des chances égales, où chaque ouvrier a dans son cartable un diplôme en blanc de bourgeois. » Et quelques autres sentences intéressantes, qui nous amènent à l'essentiel, cet Aden où Nizan a voulu fuir une destinée trop certaine.

Passons donc cet incipit. PN commence par une charge sévère contre l'intelligentsia et les élites universitaires de Normal' Sup : « on y dresse une partie de cette troupe orgueilleuse de magiciens que ceux qui paient pour la former nomment l'élite et qui a pour mission de maintenir le peuple dans le chemin de la complaisance et du respect, vertus qui sont le Bien. » Charge contre la bourgeoisie et ses vassaux intellectuels ; « Bouffons, complices : métiers de l'esprit. » Et quand il veut forcer le trait de la caricature, celui qui fleurta avant ses 20 ans avec le royalisme et l'extrême-droite n'échappe pas aux clichés antisémites « (…) les courts mouvements de ses doucereuses mains de marchant juif. » Ou encore : « Les bourgeois, comme il y a beau temps qu'ils ont hérité d'Israël, ils passent la vie à prêter à intérêt. »

Il cherche vainement une solidarité avec les plus humbles qu'il ne parvient pas à concrétiser, et lui comme tant d'autres « veut assurer son évasion par ses propres moyens. » Comment fuir ce monde abject ? Ni la religion ni l'art ne sont des solutions acceptables pour ce vieux jeune homme désabusé, il reste donc le voyage exotique, avec sa dose d'aventure loin de l'Europe déliquescente. Nizan à 20 ans choisit Aden. Comme d'autres, il ne se rendra compte que sur place que ces terres de rêves de pacotille ne sont que des comptoirs commerciaux, des populations à surexploiter, des sources de richesses pour les bourses occidentales. C'est d'abord le voyage, escale à Port Saïd, on se croirait (pour les ‘images', pas pour l'écriture bien sûr) dans « Tintin et les cigares du Pharaon ». Enfin, Aden ; « Je suis arrivé, il n'y a pas de quoi être fier ». L'aigreur est donc vite là. Quand il parle des marins qu'il a rencontrés, c'est pour constater qu'ils « diffèrent moins qu'on ne pourrait le croire des voyageurs de commerce qui font une région française dans une six chevaux Renault. Je vous le dis que tous les hommes s'ennuient. »
Il ne dit rien de son travail de précepteur, ne se lie à aucun groupe, à aucun clan social de ce monde colonial qu'il découvre, pas plus qu'à des autochtones d'ailleurs. Il nous offre juste un formidable portrait au vitriol de M. C., riche industriel et commerçant en peaux, ayant des agences partout dans le monde, et qui se prend pour un homme de bien, alors qu'il n'est que farce et course au mirage de la fortune qu'il possède déjà, et qu'il ne rêve que d'agrandir. Nizan, lui, est dans la quête. « Je me cherchais en vain des obligations, ces habitudes que personne ne comprend, ces dieux imaginaires dont l'ombre s'étend sur tous les coeurs. » Où est sa liberté ? « Vous pouvez uriner librement dans la mer : nommerez-vous ces actes la liberté ? » Mais « Renaitre ne va pas de soi. » « Orient, sous tes arbres à palmes des poésies, je ne trouve encore qu'une autre souffrance des hommes. »
Alors il en vient à se demander pourquoi il a fui. « Fuir signifiait qu'on renonçait à regarder de près le monde qu'on fuyait, qu'on renonçait à demander des comptes le jour où on aurait compris. » La déconvenue est totale, sur le monde comme sur lui-même. « Qu'on ne me refasse plus le tableau séduisant des voyages poétiques et sauveurs, avec leurs fonds marins, leurs monceaux de pays et leurs personnages étrangement vêtus devants des forêts (…) »
Il prend conscience qu'il a besoin de s'ancrer dans une terre, un chez soi, qu'il courrait après une illusion. Alors autant rentrer, puisque « le voyage est une suite de disparitions irréparables. » Maintenant « Je rejette les navigations et les itinéraires. » (Quelques années plus tard, de retour du Brésil, Lévi-Strauss écrira : « Je hais les voyages et les explorateurs. »)
Parfois, je me suis perdu dans son monologue sur la vie, la mort, et sur le désoeuvrement — maladie endémique des ‘expats', comme on dirait aujourd'hui, qui vivent sur l'humiliation des colonisés. Alors que la leçon qu'il tirera finalement de cette année sur la Mer d'Arabie, c'est que « Il n'y a qu'une espèce valide de voyages, qui est la marche vers les hommes. C'est le voyage d'Ulysse (…) Et il se termine naturellement par le retour. Tout le prix du voyage est dans son dernier jour. »
Il n'y a donc qu'en France, son pays dont il connait les rouages, qu'il peut faire oeuvre utile, c'est-à-dire de combat. Il arrive à Marseille ; de loin, « le château d'If (…) Notre-Dame-de-la-Garde. J'étais servi : les premiers emblèmes venus à ma rencontre étaient justement les deux objets les plus révoltants de la terre : une église, une prison. »

L'essentiel de ce récit autobiographique est donc d'abord un chemin de désillusion, un rejet viscéral d'une société dont il a retrouvé tous les rouages pervers en concentré en croyant s'en éloigner. Mais aussi un texte plein d'amertume vis-à-vis de lui-même.

A son retour, en rejet de ce monde d'injustice et d'exploitation, il adhère au Parti Communiste, à un moment où la gangrène stalinienne n'a pas encore totalement réussi à faire dégénérer le mouvement communiste international. le dernier chapitre est un tract, un manifeste, un appel à la mobilisation. C'est une bordée sévère contre les bourgeois, petits ou grands capitalistes, les intellectuels à leurs services, une charge anti-nationaliste aussi, une profession de solidarité avec les plus humbles. Là s'exprime totalement la révolte, son désir d'engagement pour plus de justice. « La grande ruse de la bourgeoisie consiste à rendre les ouvriers actionnaires ou rentiers. » Quel humour grinçant pour décrire « l'homo economicus (… qui) entretient des hommes pour lui fabriquer des illusions : des romanciers, des historiens, des poètes épiques, des philosophes. » « Il faut voir les Français défiler les jours de fête devant les héros qu'on procure sagement à leurs besoins de récréation. » Mais son appel à la guerre de classe est aussi une posture parfois pleine d'excès, qui pousse dans le provoquant « Il ne faut plus rougir d'être fanatique. »
Malgré ces quelques outrances finales, par bien des côtés ce texte n'a pas pris une ride, même si c'est un discours que l'on n'entend quasiment plus, sauf à la marge, et même très à la marge du paysage politique. Ce que Nizan dénonce reste d'une actualité difficilement contestable. Un peu d'air frais ne fait pas de mal par les temps qui courent.
L'écriture est très belle, fouillée, rigoureuse, le style est enlevé, percutant, on n'écrit plus beaucoup comme cela de nos jours, et c'est sans doute dommage. On l'aura compris, il ne faut guère chercher de descriptions concrètes de la région qu'il habite pendant un an, son récit de voyage est d'abord cérébral, tout en douloureux cheminement intérieur. J'ai regretté que lui qui parle de rencontre avec les hommes, ne nous en ait présenté aucun, ce qui donne à son texte un côté désincarné, et à son engagement une « rigidité » et un formalisme qui dessert son projet.
Au final, pas déçu du tout d'avoir fait ce « rattrapage ».
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"J'avais vingt ans. Je ne laisserais personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. "

Vous avez déjà surement entendu cette citation célèbre : il s'agit de l'incipit du texte de Paul Nizan, Aden Arabie, paru en 1931 et beaucoup moins connu.
Paul Nizan est né en 1905 et fait la connaissance de Sartre au lycée Henri IV. En 1926, il part à Aden, au Yémen pour devenir précepteur. A son retour, en 1927, il adhère au parti communiste. En 1939, à la suite du pacte germano-soviétique qu'il voit comme une alliance entre nazis et communistes, il rompt avec le parti. C'est en 1940 qu'il tombera à la guerre.
Si je vous raconte tout ça, c'est parce que, suite à sa rupture avec le PCF, s'est ensuivit une campagne discriminatoire sur sa personne et qu'il fut peu à peu oublié. C'est la réédition de l'ouvrage en 1960, préfacé par Sartre, qui permettra de le réhabiliter aux yeux du grand public. Et c'est cette même édition qu'on trouve encore aujourd'hui.

La préface de Sartre fait quand même une cinquantaine de pages que j'ai allègrement sauté après les premières !
Je dois dire qu'il va m'être très difficile de parler de ce livre que je n'ai pas complètement compris...

Nizan y relate son voyage à Aden mais on ne se trouve pas face à un récit de voyage...
Il commence tout d'abord par dresser un portrait particulièrement dur sur ses contemporains occidentaux et n'hésite à donner des sentences sans appel sur la fameuse Ecole Normale.

" Il ne resta plus que l'Ecole Normale, objet comique et plus souvent odieux, présidée par un petit vieillard patriote, hypocrite et puissant qui respectait les militaires."

" On y dresse une partie de cette troupe orgueilleuse de magiciens que ceux qui apeint pour la former nomment l'Elite et qui a pour mission de maintenir le peuple dans le chemin de la complaisance et du respect, vertus qui sont le Bien. "

Il décide de partir pour Aden pour fuir la petite bourgeoisie, son confort et son conformisme qu'il abhore au plus haut point. Une fuite qui peu à peu se changera en révolte contre le devoir et la patrie. Nizan fait partie de la génération de l'après-première guerre mondiale qui reprochera à ses ainés de n'avoir pu empêcher une telle guerre. Une époque faite de vide qui verra les débuts d'une industrialisation galopante. Nizan rêve aux voyages de ses prédécesseurs, Rimbaud, Gauguin et autres artistes. Il attend de l'aventure.
Mais sa désillusion va être grande : Aden est sous protectorat britannique et
Il y retrouvera les vendeurs de pétrole et de café et les hommes d'affaires qu'il exècre. Comme en Europe, c'est la loi du profit qui règne. le portrait d'un certain Mr C. est, à ce titre, édifiant :

" le passé dont il tirait une excessive fierté se réduisait au nombre de lakhs de roupies dont pouvait le créditer la National Bank of India "

L'argent fait la loi et conditionne la vie des locaux qui vivent sous l'influence coloniale
C'est écoeuré qu'il rentre à Paris et complètement désabusé sur l'utilité des voyages.

" Avais-je besoin d'aller déterrer des vérités si ordinaires dans les déserts tropicaux et chercher à Aden les secrets de Paris ".

Il conclut en déclarant qu'il faut combattre le capitalisme et l'esprit petit-bourgeois, à sa source même.
Il oppose le monde des producteurs et des ouvriers à celui des capitalistes et condammne " l'Homo Economicus".

Vu comme ça, le texte parait facile. Sachez qu'il n'en est rien !
Nizan part dans de grandes envolées philosophiques et utilise de nombreuses métaphores qui perde complètement le lecteur non préparé à un tel texte et au contexte historique dans lequel il a été écrit.
On y trouvera aussi de très beaux passages pleins de poésie mais parfaitement obscurs.

On ne s'étonnera pas non plus d'y trouver une ou deux remarques, quelque peu antisémite, époque oblige.
" Mais les bourgeois produisent et possèdent abstraitement. Comme il y a beau temps qu'ils ont hérité d'Israël, ils passent la vie à prêter à intérêt . "

Je dois dire que ma lecture a été très très pénible et que j'ai failli abandonner en cours de route.
Mal préparée et ne m'attendant pas à un tel pamphlet, je n'ai absolument pas adhéré à son écriture que j'ai trouvé confuse, décousue et très abstraite.
Malgré tout, il faut reconnaitre que c'est un livre fort pour l'époque et dans lequel on pourrait tirer certaines sentences encore valables aujourd'hui. Pourtant le texte a vieilli et est devenu difficile d'accès pour les lecteurs d'aujourd'hui.

Aden Arabie reste pourtant le cri d'un homme révolté contre un monde dans lequel il ne se reconnait pas, un monde dirigé par les enjeux économiques et les intérêts coloniaux. Symbole d'une jeunesse désanchanté, Nizan déteste le monde sur lequel il porte un regard très pessimiste.

" Il n'existe que deux espèces humaines qui n'ont que la haine pour lien. Celle qui écrase et celle qui ne consent pas à être écrasée. "

On pourra constater qu'il se rapproche un tant soit peu de Rimbaud dont le parccours offre quelques similitudes.

Contente de l'avoir lu mais je ne le recommande pas tant sa lecture est laborieuse...
Lien : http://legrenierdechoco.over..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Il était du parti depuis douze ans, quand, en septembre 1939, il fit savoir qu'il le quittait. C'était la faute inexpiable, ce péché de désespérance que le Dieu des chrétiens punit par la damnation. Les communistes ne croient pas à l'Enfer : ils croient au néant. L'anéantissement du camarade Nizan fut décidé. Une balle explosive l'avait, entre tant, frappé derrière la nuque, mais cette liquidation ne satisfit personne : il ne suffisait pas qu'il eût cessé de vivre, il fallait qu'il n'eût pas du tout existé. On persuada les témoins de sa vie, qu'ils ne l'avaient pas connu pour de vrai : c'était un traître, un vendu ; il émargeait au Ministère de l'Intérieur et l'on y avait trouvé des reçus qui portaient sa signature. Des ouvrages qu'il avait laissés, un camarade se fit l'exégète bénévole : il y découvrit l'obsession de trahir : un auteur, disait ce philosophe, qui met dans ses romans des mouchards, d'où connaîtrait-il leurs mœurs à moins de moucharder lui même ? Argument profond, comme on voit, mais dangereux : en effet, l'exégétiste est devenu traître ; on vient de l'exclure ; faut-il lui reprocher d'avoir projeté sur sa victime ses propres obsessions ?
En tout cas, la manœuvre réussit : les livres suspects disparurent ; on intimida les éditeurs qui les laissèrent pourrir dans des caves et les lecteurs qui n'osèrent plus les demander. Cette graine de silence germerait ; en dix ans elle produirait la négation la plus radicale : ce mort évacuerait l'histoire, son nom tomberait en poussière, on exfolierait sa naissance du passé commun. [.................]
(Avant Propos de Jean-Paul Sartre - Mars 1960).
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"J'avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie.
Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde."
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Voyageurs, devenez de plus en plus vides et tremblants, malades de l’agitation de votre mal, vous aurez beau jeu de vous rassurer en repetant que vous etes libres, que cela au moins ne vous sera pas enleve. La liberte de la mer et des chemins est tout a fait imaginaire […] Vous pouvez uriner librement dans la mer : nommerez-vous ces actes la liberte ?
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Les événements ne viennent pas à domicile, les événements ne sont pas un service public comme le gaz et l'eau. Mais il y a des routes, des ports, des gares, d'autres pays que le chenil quotidien : il suffit un jour de ne pas descendre à sa station de métro.

A quels jeux employer si tard dans la journée la vacance insolite des mains, la liberté provisoire de la promenade des prisonniers ? Où sont les femmes, où sont les amis introuvables, ces choses aussi simples que l'eau et que le pain?
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"Je vais vivre parmi mes ennemis. Constamment, c'est-à-dire non passivement, mais sans laisser le temps m'endormir du bruit paresseux et aimable de son cours, avec patience, attention et colère. Il me faut la vertu qui nous fit le plus constamment défaut, la constance.
Mais il est plus facile d'être constant avec la guerre qu'avec la poésie, qu'avec une femme. La poésie et les femmes passent, mais la révolution n'est jamais passée."
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Vidéo de Paul Nizan
#20ans #jeunesse #CulturePrime
"J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge." écrivait Paul Nizan. Et pour vous, 20 ans, est-ce le bel âge ?
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