Pour que les jeunes gens se tiennent tranquilles, les hommes de quarante ans leur racontent que la jeunesse est le temps des surprises, des découvertes et des grandes rencontres, et toutes leurs histoires sur ce qu’ils feraient s’ils avaient leurs jeunes dents, leurs jeunes cheveux, avec leur fameuse expérience de pères, de citoyens et de vaincus. La jeunesse sait mieux qu’elle n’est que le temps de l’ennui, du désordre ; pas un soir à vingt ans où l’on ne s’endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées. Comme la conscience qu’on a de son existence est encore douteuse et qu’on fait fond sur des aventures capables de vous prouver qu’on vit, les fins de soirées ne sont pas gaies ; on n’est même pas assez fatigué pour connaître le bonheur de s’abîmer dans le sommeil : ce genre de bonheur vient plus tard.
Personne ne pense avec plus de constance à la mort que les jeunes gens , bien qu'ils aient la pudeur de n'en parler que rarement ; Chaque jour vide leur paraît perdu , la vie ratée . Il vaut mieux ne pas s'aventurer à leur dire que cette impatience est sans raison , qu'ils ont l'âge heureux et qu'ils se préparent à la vie . Ils vous répondent que c'est gai , cette existence de larves en nourrice en attendant d'être de brillants insectes de cinquante ans .
Comme c'est puissant et inflexible, une famille ! C'est tranquille comme un corps, comme un organe qui bouge à peine, qui respire rêveusement jusqu'au moment des périls, mais c'est plein de secrets, de ripostes lentes, d'une fureur et d'une rapidité biologiques, comme une anémone de mer au fond d'un pli de granit, tranquille, nonchalante, inconsciente comme une fleur, qui laisse flotter ses tentacules gorge de pigeon, en attendant de les refermer sur un crabe, une crevette, une coquille qui coule....
"Ce qui m'ennuie, ce n'est pas seulement de devoir mourir, mais l'idée qu'il n'y aura un jour absolument plus d'hommes. Faut-il donc n'avancer si loin dans l'histoire que pour mieux sauter dans l'anéantissement?"
La seule noblesse réside dans la volonté de subversion.
Une dénonciation, ce n'est rien, c'est une phrase qu'on dit, c'est bien moins théâtral qu'un crime, ce n'est ni un morceau de roman noir, ni une scène de sombre opéra, mais c'est beaucoup plus irréparable que les meurtres, beaucoup plus profond, c'est une métamorphose dans les profondeurs, un bond, une rupture, une réincarnation: on est hors l'être comme dit Montaigne des morts.
Pour que les jeunes gens se tiennent tranquilles, les hommes de quarante ans leur racontent que la jeunesse est le temps des surprises, des découvertes et des grandes rencontres, et toutes leurs histoires sur ce qu'ils feraient s'ils avaient de nouveau vingt ans, leurs jeunes espoirs, leurs jeunes dents, leurs jeunes cheveux, avec leur fameuse expérience de pères, de citoyens et de vaincus.
La jeunesse sait mieux qu'elle n'est que le temps de l'ennui, du désordre; pas un soir à vingt ans où l'on ne s'endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées. Comme la conscience qu'on a de son existence est encore douteuse et qu'on fait fond sur des aventures capables de vous prouver qu'on vit, les fins de soirées ne sont pas gaies; on n'est même pas assez fatigué pour connaître le bonheur de s'abîmer dans le sommeil: ce genre de bonheur vient plus tard.
Personne ne pense avec plus de constance à la mort que les jeunes gens, bien qu'ils aient la pudeur de n'en parler que rarement: chaque jour vide leur paraît perdu, la vie ratée. Il vaut mieux ne pas s'aventurer à leur dire que cette impatience est sans raison, qu'ils ont l'âge heureux et qu'ils se préparent à la vie. Ils vous répondent que c'est gai, cette existence de larve en nourrice en attendant d'être de brillants insectes de cinquante ans. Tout pour les ailes futures: nous prenez-vous pour des hyménoptères? Quelle est cette morale d'insecte?
A trente ans, c'est déjà fini, on s'arrange; comme on a commencé à s'habituer à la mort et qu'on fait plus rarement qu'à vingt ans le compte des années de reste, avec tout ce travail qu'on a, les rendez-vous, les politesses, les femmes, les familles, l'argent qu'on gagne, il arrive qu'on croit tout à fait à soi-même. La jeunesse a fait son temps, on va rendre de petites visites à cette morte, on la trouve touchante, heureuse, auréolée du pathétique halo des illusions perdues: tout cela est moins dur que de la voir mourir en vain, comme on fait à vingt ans.
(P25)
... ils se disaient qu'il fallait changer le monde. Ils ne savaient pas encore comme c'est lourd et mou le monde, comme il ressemble peu à un mur qu'on flanque par terre pour en monter un autre beaucoup plus beau, mais plutôt à un amas sans queue ni tête de gélatine, à une espèce de grande méduse avec des organes bien cachés.
Les femmes ne donnent jamais de vacances aux hommes qu'elles aiment.
"J'avais 20 ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie"