Voici une succulente et truculente truite, non pas sur son lit de petits légumes, mais encore fumante, dans sa fourrure. Ne sommes-nous pas, au fond, tous un peu des vagabonds rabougris par le poids de nos bagages (« pauvres réfugiés », « ramassis de désarroi ») qu'il vaut mieux parfois laisser dans le couloir… « Pressons, pressons » (satirique « passons » reposé sur le paillasson des clichés) telle la devise du narrateur. Mais nous sommes prévenus « vaguer est beau, extravaguer est trop », « vaguer est beau penser est trop ». le narrateur brode donc autour de cette lithographie au titre scandaleux ou décevant, à l'image de la vie elle-même, « cette façon ridiculement prude de concevoir le dévoilement de la chair et l'intention de séduire ». Si la truite évolue généralement dans des eaux vives c'est quand elle vole qu'elle attire le plus. Car le narrateur est un Stolp [trébucher] et un haut voltigeur des mots, et le livre une rêverie douce-amère, de ce numéro d'acrobatie métaphorique, qui hante le passé et qui anime l'avenir : « les Stolp, au cirque du même nom avaient monté un numéro qu'ils appelaient “Le Hollandais volant”, un numéro à deux où l'un des acrobates sautait du trapèze et embrassait l'autre sur la bouche avant de se rattraper à ses mains. Plus tard, on l'avait rebaptisé “Le Baiser volé”. » À quoi bon la liberté si on ne sait éviter les trappes ? Déguster sans se faire avoir. Merci aussi à la traductrice, pour ce raffinement.
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L'histoire est mince. Ici le narrateur a hérité de sa tante un petit appartement à Paris. Il hésite à se l'approprier complètement, il le hume, l'apprivoise. Mais son grand plaisir est d'errer dans les rues de Paris et de retrouver dans les bars des sensations perdues, et même, qui sait, un peu d'amour et de désir.
L'histoire est ténue. C'est le style précis, léger, presque virevoltant, qui donne au récit cette merveilleuse impression d'être une invitation au voyage, un voyage parisien mais surtout intérieur.
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Devant la boutique du fourreur, juste à côté de chez ma tante, je m'arrêtai et entrai. Je humai la lourde odeur animale des fourrures, et dis au propriétaire que je m'intéressais à cette gravure au titre bizarre qui était en vitrine. J'en aurais volontiers fait l'acquisition.
Vous ne me connaissez pas, ajoutai-je, mais vous avez probablement connu la petite dame énergique, au nez proéminent, qui se teignait au henné à la fin de sa vie. Elle habitait à côté et portait souvent des fourrures. Ayez la bonté de me dire, entre nous, si vous seriez prêt à vous défaire de cette estampe.
Pourquoi avoir acheté cette lithographie ? Pour l’avoir ? Ou plutôt pour ne plus l’avoir – sous les yeux, dans la vitrine ? En tout cas il n’était pas question que je l’aie près de moi. J’allais la donner à Carmen. Alors un grand abattement s’empara de mon être, au moment où, dans la pénombre de l’appartement, mes yeux tombèrent sur l’arrière-cour vide de pigeons.
L’avenir j’ai réfléchi. Ainsi, récemment, j’ai pensé à un numéro d’acrobatie où celui qui saute du trapèze ne serait pas rattrapé par les mains, mais ne tomberait pas non plus. Il disparaîtrait dans les airs, tout simplement. Il disparaîtrait, insistai-je.
Le dj performer Prieur de la Marne rassemble des films amateurs en 8 mm pour raconter en musique et en 8 mouvements les turpitudes de la maladie d'Amour ; de l'instant crush à la déception en passant par le baiser volé, la conquête amoureuse, l'étreinte, l'amour fou et les adieux. Dans cette nouvelle création, il explore par un biais nouveau les tréfonds de son âme passant de la nostalgie au secret espoir d'un retour durable de l'être aimé…
Pour ce projet, Prieur de la Marne a demandé à des invités d'enregistrer des textes auxquels il est attaché et qui servent son récit. Ainsi Augustin Trapenard, Rebecca Manzoni, Zabou Breitman, Yelle, Blandine Rinkel, Anouk Grinberg, Juliette Armanet, ou encore Élodie Frégé prêtent leur voix au travers de textes de Pier Paolo Pasolini, René Barjavel, Jean Giono, Guillaume Apollinaire, Laure Anders, Paul Nizon, Marguerite Duras, Romain Gary…
Commande de Latitudes Contemporaines (Lille)
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