Découvert en 2014 avec La Tour Fantôme,
Taro Nogizaka m'avait surprise par son univers fortement inspiré de l'ero-guro mais dans une version plus moderne. J'avais adoré sa série adaptée de la nouvelle de Rampo Edogawa. Quant quelques années plus tard, il est revenu avec une histoire se déroulant en France et pendant la Révolution en plus (ma période préférée !), je me suis laissée tenter, mais le 3e Gédéon fut une déception. J'étais donc assez indécise avant de lire les premiers avis sur son nouveau titre : Pour le pire.
Toujours en cours au Japon avec tout juste 4 tomes, ce seinen est publié depuis 2019 dans les pages du Big Comic Superior de Shogakukan. On y suit un jeune fonctionnaire de l'état qui doit se rendre en prison à la rencontre d'une jeune femme soupçonnée d'être un serial killer, afin d'aider une jeune victime. Alors que débute l'entretien ce dernier va finir par la demander en mariage....
Si vous connaissez l'auteur, vous ne serez pas surpris par ce scénario hautement improbable. Il faut dire que
Taro Nogizaka a le chic pour imaginer des histoires au ton hautement décalé et légèrement dérangeant. Avec cette histoire entre un travailleur au service social de l'enfance et cette serial killer dans le couloir de la mort, il se pose là. L'ambiance est vraiment étrange comme c'était le cas dans ses autres titres, mais on se rapproche plus La Tour Fantôme que du 3e Gédéon, car nous sommes dans une esthétique de thriller un brin horrifique, on a donc à nouveau l'impression d'une interprétation moderne de l'ero-guro de l'ancien temps, comme le prouve les poses et les regards lancés par l'héroïne.
Alors que le narrateur est le gentil, enfin si on peut dire, Arata Natsume, il se fait littéralement voler la vedette par la terrible, inquiétante et trouble Bozo Shinagawa. Celle-ci a à peine la vingtaine mais elle est déjà dans le couloir de la mort car elle a été condamnée pour trois crimes et mutilations juste atroces. D'ailleurs, c'est suite à la demande du fils d'une des victimes qui aimerait bien retrouver la tête disparue de son père qu'Arata va lui rendre visite et entrer en contact avec elle.
Le récit repose sur une dynamique classique : la rencontre entre un pseudo gentil et une vraie méchante, quelque chose de très manichéen, mais très vite, on va se rendre compte que c'est plus complexe. Arata est près à y aller de ses poings pour se faire entendre et dans le cas présent il fait tout pour tromper Bozo afin d'obtenir des aveux de sa part. Quant à elle, elle a de multiples visages ce qui la rend assez trouble et inquiétante. Elle montre clairement des attitudes de psychopathes et en même temps le récit de son passé bouleverse et elle cache bien des secrets, se faisant passer pour une idiote ce qu'elle n'est pas, et ça interroge. Ainsi dans ce récit, les apparences sont bien trompeuses.
Le rythme basé sur les thrillers classiques qu'on connait déjà fonctionne à merveille. Entre les visites à la prison et les enquêtes en dehors des murs, entrecoupées d'entretiens divers et variés autour de l'affaire, on ne s'ennuie pas une seconde. Déjà dès le premier tome, il y a de jolis petits rebondissements, une belle couche de mystères et la promesse d'un duel psychologique entre deux personnages particulièrement malins, ça fait envie !
Graphiquement, l'auteur a vraiment sa patte et il la maîtrise parfaitement. Son dessin, très typé seinen, n'est pas de ceux que je préfère. Il a un côté "plastique" qui me perturbe toujours. Cependant, il a vraiment ce petit grain inquiétant qui correspond parfaitement à son histoire. Bozo fait froid dans le dos avec sa dentition pourrie, ses regards de folles et ses gestes brusques limite érotique mais dans un sens très glauque. Je suis fan du look un peu vieux voyou d'Arata, il a une prestance folle dans le genre. Les décors se font peut-être un peu trop absents pour le moment mais la mise en scène inquiétante est parfaite, avec des choix de cadrages percutants, notamment pour faire monter la tension et le malaise pile au bon moment.
Ainsi, alors que je n'en attendais pas grand-chose, j'ai été ravie de redonner une chance à cet auteur dont la deuxième série chez nous ne m'avait pas convaincue. Ici, je retrouve l'ambiance glauque, malaisante et étrange, ce qui la rend drôle et grinçante, que j'avais tant aimé dans sa première saga. Tout est maîtrisé des dessins, en passant par le rythme, l'ambiance et le récit. Ça donne terriblement envie de se lancer dans ce thriller d'un nouveau genre.
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