Citations sur Mémoire cavalière (21)
Il y a certainement quelque chose qui nous unit, tous les trois (Rochefort, Marielle et moi). Rochefort a dit quelque part que ce que les spectateurs aimaient en nous, c'était qu'ils se retrouvaient dans leurs charentaises. S'agit-il d'une certaine authenticité dont nous serions les porteurs, et qui serait celle de la province française ? Sûrement. Mais qu'est-ce qui nous réunit en tant qu'hommes ? Je crois que c'est un certain recul par rapport à notre état, par rapport à la place que nous avons dans le paysage cinématographique. Nous n'avons jamais été dupes des à-côtés du métier, dans le succès publique et médiatique, par exemple. Nous n'avons pas changé de comportement à la suite de l'évolution de notre statut. Nous n'avons pas boudé notre plaisir à jouer les Gary Cooper, tout en évitant de nous prendre trop pour Gary Cooper.
Dans cette scène, j'étais quasiment un des seuls à ne rien dire. Donc je mangeais et je buvais. Avant de dire "moteur", Hitchcock m'avait pris à part :
- Je vous ai apporté des produits de la maison : du pâté de canard d'Amiens et du bon vin.
Sur le plateau, Hitchcock possédait deux sièges, un fauteuil de metteur en scène normal avec son nom derrière, et un autre en hauteur, qui lui donnait une vue plongeante. Ce jour-là, il était juché sur le second, avec ses petits pieds chaussés de bottines à lacets qui battaient dans le vide. A la fin de la prise, je l'entends qui dit :
- Cut !
Tout le monde attendait alors le verdict en retenant son souffle, et, à ma terreur, il se met à articuler lentement :
- Mister Noiret...
C'était mon premier vrai plan en studio, je n'avais tourné que des extérieurs à Paris, avec ma fameuse béquille, que j'avais retrouvée par la suite à Hollywood.
- Mister Noiret...
Un long silence et puis :
- How was the pâté ?
En 1978, j'ai été le premier homme à faire la couverture de ELLE, ce qui n'est pas le moindre de mes sujets de fierté. Par la suite, quelques seconds couteaux m'ont emboîté le pas, du type Yves Montand ou Alain Delon. Mais le gars qui a inauguré la série, c'est Fifi.
La télévision a pris la place du cinéma de façon irrémédiable. Plus que celle du cinéma en général, CINEMA PARADISO établit le constat mélancolique de la mort d'un certain cinéma, celui qui était au centre des joies et des peines des hommes, qui touchait toutes les classes sociales et qui réussissait cette prouesse de les réunir dans une salle obscure. Tout le contraire d'une télévision clignotante, qui fragmente et divise.
Avec Bertrand Tavernier, nous nous sommes vite compris à demi-mot ; nous avons beaucoup de points communs. Nous avons reçu des éducations comparables. Nous partageons l'amour des mots, de la littérature. Nous avons aussi le goût de la vie, de ce qu'elle a de concret, de la table, du vin, de la campagne. Et puis, nous sommes paraillement habités par ce sentiment, non des douleurs cachées, mais des blessures, faites par on ne sait qui ou quoi, blessures qui ne furent pas particulièrement violentes mais qui relèvent d'une espèce de mélancolie de naissance. Au fond de moi, je sécrète cette tendance à la mélancolie, que balance un goût de la vie. Qui touche à la révolte aussi, sous-jacente.
Dans la vie de comédien comme dans l'amour, j'ai toujours eu l'intuition que c'étaient la sédimentation, l'accumulation qui bonifiaient les choses. Je n'ai jamais ressenti le besoin de grandes émotions, de passions avec un grand P. J'ai toujours eu foi dans les émotions partagées. La vie d'un couple qui devient une famille, avec l'harmonie qui s'en dégage, m'a toujours paru une aventure tout à fait extraordinaire. Le quotidien de la vie était un défi à relever : j'ai tenté de réussir cela, d'autant que j'avais conscience de la grand fragilité de cette harmonie, qu'il faut protéger, entretenir. La corrélation qui peut exister entre la réussite dans le travail et la réussite dans le couple m'a toujours beaucoup intéressé. Faute d'être parvenus à trouver cet équilibre, j'ai vu bien des gens exploser en vol. Ceux qui ratent l'un ou l'autre sont nombreux, mais je n'en ai que très rarement rencontré qui avaient réussi sur les deux tableaux. Souvent, les choses cassent parce qu'on ne tient pas suffisamment le coup. Parfois, ce n'est qu'un col à passer, puis ça repart.
Jusqu'à aujourd'hui, cela m'a servi de leçon : lorsque je rate quelque chose, je me dis que quelque chose de bien meilleur va m'arriver juste après.
Il s'est produit un phénomène d'identification. Sans être tout à fait commun, je suis quelqu'un d'assez ordinaire. Si ça doit venir, ça vient. Cela n'a rien à voir avec le talent. On ne peut pas tabler là-dessus. Je crois que si j'ai une qualité comme acteur de cinéma, c'est la crédibilité. Les gens ont foi en ce que je leur propose. Et cela, on ne peut ni le prévoir ni le calculer. On ne peut que s'efforcer d'être le plus honnête possible face à son personnage, de ne pas chercher à en faire plus que ce qu'il nécessite. Cela correspondait à ma nature. Certains acteurs aiment en faire énormément, surjouer, et parfois cela peut être épatant. Pour moi, ce fut le contraire de cela. Avec Vilar j'avais appris quels rapports on devait entretenir avec l'oeuvre, le personnage et l'entreprise dans son ensemble. C'est une question de diapason, de note. A chaque nouveau rôle, il faut retrouver la virginité, l'innocence, l'invention et le jaillissement. C'est cela l'honnêteté. Aller au bout de tout ce qu'il y a, au fond d'un personnage.
Se considérant d'abord comme un artisan, il n'estimait rien tant que l'humble répétition des gestes, qui le conduisait, dans son art, vers une simplicité toujours plus grande. Ce livre fut sa dernière bataille.
La musique contribue à élargir encore la dimension populaire du cinéma, car elle permet de graver les films dans la mémoire des gens. En matière de couleur, d'intervalles ou de rythme, la musique n'est pas sans parenté avec le cinéma.