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EAN : 9782348045721
300 pages
La Découverte (12/09/2019)
4.18/5   41 notes
Résumé :
Pour comprendre la place qu’occupent aujourd’hui Éric Zemmour et ses idées réactionnaires dans l’espace public français, ce livre analyse ses écrits en regard de ceux d’Édouard Drumont, pamphlétaire d’extrême droite de la fin du XIXe siècle et du début XXe. Il met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire.

La place qu’occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l’espace public français suscite l’inquiétude et la consternation de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Historien spécialiste (entre autre) de l'histoire de l'immigration et de la classe ouvrière en France, Gérard Noiriel est l'auteur de nombreux ouvrages dont les plus récents s'inscrivent pleinement dans l'actualité (« Les gilets jaunes à la lumière de l'histoire » – L'Aube – 2019). Après son imposant et passionnant « Une histoire populaire de la France », qui s'intéressait aux rapports de domination au sein de la population française du XVe siècle à nos jours, l'universitaire propose ici le portrait croisé de deux polémistes : Édouard Drumont, auteur de « La France juive » paru en 1886, et Eric Zemmour, auteur de nombreux essais (« Destin français » paru en 2018) et star des plateaux télé depuis une dizaine d'années. Quel est l'objectif de Noiriel ? Démontrer que Drumont et Zemmour sont identiques et que l'histoire est amenée à se répéter ? Absolument pas. Ce que l'historien cherche à comprendre, c'est comment ces deux hommes ont pu acquérir une telle place dans l'espace public, et ce alors qu'ils véhiculent des discours de haine et multiplient les insultes à l'encontre des juifs et des musulmans, mais aussi des femmes et des homosexuels. Pour ce faire, l'auteur s'est dans un premier temps penché sur la combinaisons de facteurs qui ont permis l'ascension médiatique de personnalités aussi controversées. Premier constat : dans les deux cas, leur arrivée sur le devant de la scène correspond à une période de massification de l'offre de presse, et donc à une mise en concurrence exacerbée des chaînes / journaux entre eux. Dans ce contexte, et pour acquérir plus de visibilité, certains décident de miser sur le scandale, la provocation. le créneau parfait pour les thèses défendues par des personnages comme Drumont et Zemmour qui estiment que les juifs pour le premier, les musulmans pour le second, sont des nuisances pour la France. D'abord marginalisées, les théories développées par Drumont et Zemour vont connaître un succès grandissant grâce à des soutiens importants au sein même des élites intellectuelles et médiatiques (Noiriel rappelle par exemple que Drumont bénéficiait du « patronage » d'Alphonse Daudet…). C'est grâce à ces soutiens, et aux campagnes de légitimation lancées par la presse, certaines maisons d'édition et chaînes de télévision (critiques élogieuses, remises de prix, biographie complaisante du polémiste…) que l'un et l'autre parviennent à acquérir une telle aura.

Une fois le contexte médiatique étudié et le diagnostic réalisé par les deux polémistes établis (« la France va mal : c'est la faute des juifs / des musulmans »), Gérard Noiriel entreprend d'étudier les mécanismes mis en oeuvre par Drumont et Zemmour pour instaurer ce que l'auteur appelle une « grammaire identitaire ». Parmi les nombreuses « astuces » utilisées pour tenter de valider leur discours antisémite ou islamophobe, la plus abondamment utilisée par l'un comme par l'autre consiste à avoir recours à la rhétorique de l'inversion : ceux qu'on pensait dominants sont en fait dominés, et inversement. Drumont comme Zemmour mobilisent également massivement les préjugés du sens commun, c'est-à-dire ce qui, selon eux, semble évident pour tout le monde. le premier utilise la stigmatisation des signes raciaux (il décrit précisément le profil physique type « du juif ») quand le second utilise la stigmatisation des signes religieux (le voile utilisé comme repoussoir). Les deux polémistes n'hésitent également pas à se présenter en victimes et à user de populisme, c'est à dire à en appeler au peuple alors même qu'ils font eux-mêmes partis de la classe dominante (au sens vrai du mot, donc, le terme de « populisme » ayant été complètement dévoyé depuis son arrivée dans le champ médiatique qui l'utilise désormais à tout va pour désigner indistinctement tous les adversaires du pouvoir). Noiriel rappelle également que Drumont comme Zemmour se plaisent à provoquer et que ce sont ces accrochages avec leurs détracteurs qui les rendent aussi sulfureux aux yeux d'une partie du public. Que cela prenne la forme de duels comme au XIXe ou de joutes verbales sur les plateaux télé comme aujourd'hui, le résultat est le même : si on ne parle pas de l'auteur et de son livre, on parle au moins de la polémique qu'il a fait naître, et donc, implicitement, du discours qu'il véhicule.

Noiriel accorde également beaucoup d'importance à la place de l'histoire dans les discours des deux polémistes. L'auteur a en effet été particulièrement agacé par une intervention récente d'Eric Zemmour qui critiquait les universitaires « officiels » qu'il accuse d'occulter une partie de l'histoire de France et d'être aux ordres du pouvoir. Les deux polémistes, eux, optent pour une histoire identitaire de la France, et ce en usant des mêmes ficelles dont la principale consiste à mettre en lumière le clivage fondamental qui existerait entre « eux » et « nous ». « Une rhétorique nationaliste accaparée dès la fin du XIXe par la droite et l'extrême-droite pour combattre la rhétorique socialiste, fondée sur l'opposition entre « nous » (les ouvriers, les pauvres) et « eux » (les patrons, les riches) », explique l'auteur. Drumont comme Zemmour remplacent donc le critère de classe au profit d'un critère de race. Au delà de l'analyse des « études historiques » proposées par les deux hommes, Noiriel entreprend aussi de défendre l'honneur de sa profession et d'expliquer en quoi consiste le véritable travail d'un historien. « On a d'un côté des chercheurs qui tentent de produire des connaissances sur le passé, de l'autre une histoire identitaire faite par des journalistes qui se comportent comme des procureurs ». Car si Drumont et Zemmour parlent d'histoire, c'est pour tenter de démontrer que leur ennemi a toujours été un ennemi mortel pour la France. Il est d'ailleurs amusant de constater que, alors même qu'ils affirment l'un et l'autre se faire les porte-parole des classes populaires, tous deux ont paradoxalement une vision extrêmement réductrice et réactionnaire de l'histoire puisque, outre le fait que leur analyse prône un retour au passé (le fameux « c'était mieux avant ! »), celle-ci ne prend, de plus, absolument pas compte des classes populaires et se focalisent exclusivement sur les « grands » (un travers qu'ils ne sont toutefois pas les seuls à avoir).

Gérard Noiriel propose avec « le venin dans la plume » une analyse détaillée des parcours et des écrits de deux polémistes qui, chacun à leur époque, sont parvenus à investir durablement le champ médiatique pour y diffuser leurs théories nauséabondes sur le prétendu problème posé par une partie de la population française (les juifs dans un cas, les musulmans dans le second). Difficile évidemment de ne pas éprouver l'envie de jeter le livre par la fenêtre à la lecture des extraits de ce qu'ont pu produire des hommes comme Drumont et Zemmour tant leurs propos sont violents, heureusement l'analyse de Gérard Noiriel permet au lecteur de prendre du recul et d'analyser plus en finesse les mécanismes et la « grammaire » utilisés par l'un et l'autre pour exposer leurs théories et permettre leur diffusion. Un ouvrage instructif et très bien documenté, comme tous les ouvrages de vulgarisation proposés par l'auteur.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Un homme qui se présenterait par le biais des élections au poste de pouvoir suprême mérite que l'on se penche sur ce qu'il est réellement et c'est justement le sujet traité ici par l'historien Gérard Noiriel .

Livre donc d'une utile actualité car si nous connaissons le son de cloche médiatique des différents temps d'antenne occupés par E Zemmour multipliés par une presse servile aux tirages qu'occasionnent les diverses provocations du raciste , sexiste et homophobe , plusieurs fois condamné par la justice , Eric Zemmour . Il est bien connu que la presse fait toujours ses choux gras de ceux qui font le " buzz " puisque cela se vend bien . Mais une certaine presse rescapée du groupe Hersant dont le boss Robert Hersant fut en son temps condamné pour collaboration avec les nazis et dirigea entre autres titres " Le Figaro " bien connu pour son positionnement à droite de la droite , encense régulièrement son poulain E Zemmour .

Gérard Noirel nous offre donc dans ce livre un autre son de cloche à comparer à celui de monsieur Zemmour et de tous ses laudateurs médiatiques .

Notons qu'un autre triste individu du nom de TRUMP est parvenu à la présidence des États-Unis avec les mêmes procédés que ceux utilisés par E Zemmour et avec peu ou prou les mêmes crédos : racisme , sexisme , homophobie , haine de l'étranger et flirt avec l'extrême droite .

Ces arabes stigmatisés tout autant par la droite française que par l'extrême droite ne seraient pratiquement que des terroristes en puissance ... voilà un rapide raccourci qui permet de mettre sur le dos de l'étranger tout ce qui cloche chez nous en oubliant :
-- La délinquance en col blanc
-- La voyoucratie politique
-- L'incapacité du pouvoir à régler un quelconque problème
-- Les mensonges éhontés et promesses jamais tenues etc .....
Qui permettent tout autant d'oublier:
-- Ces citoyens ( tirailleurs sénégalais , harkis ) qui parfois sont morts pour la France
-- Ces travailleurs que le capitalisme français a massivement embauchés pour faire tourner l'industrie et l'agriculture française
-- Que nous utilisons tous les jours sans y penser des chiffres arabes
-- Que beaucoup d'entre nous affectionnent les vacances au Maroc , y achetant même , parfois des résidences tant la vie y est peu onéreuse .
-- Que bien des membres de " nos élites " ont de luxueuses propriétés en Afrique du nord ( BHL , Pierre Bergé ou Liliane Bettencourt par exemple ) et que beaucoup d'entre eux y réveillonnent volontiers ( Chirac , Sarkozy , H Védrine etc .... ) mais militent pour l'expulsion des étrangers venus chez nous .

L'historien Gérard Noirel nous fait part de troublantes similitudes entre les méthodes utilisées par Edouard Drumont ( 1844-1917 ) , le célèbre antisémite d'antan et E Zemmour pour gagner de l'audience médiatique à coup d'habiles provocations et en faisant peur au citoyen lambda sur ces étrangers ( juifs ou arabes ) qui seraient responsables de nos soucis présents ou à venir .

E Zemmour issu d'une famille française juive d'Algérie ( dixit Wikipédia ) qui lui-même se définit comme un français d'origine berbère n'épouse pas le créneau antisémite de Drumont mais celui de l'épouvantail islamiste qui brosse bien le poil de tous les racistes en puissance et de tous les naïfs qui oublient que de tout temps le pouvoir a trouvé des boucs émissaires sur qui porter la responsabilité de ce qui fonctionne mal . Ce fut le cas des ritals et polaks venus piquer le pain des français , des juifs pillant toutes nos richesses et maintenant des arabes sauf Kadafi reçu en grandes pompes chez nous et autres richissimes dynasties arabes qui ont ces dernières années fortement investi dans notre industrie .

Ce livre devrait pouvoir faire réfléchir tous les partisans ou sympathisants des thèses de l'extrême droite qui ont oublié ce qu'a couté aux allemands le nazisme , ce que coute au peuple turc la politique d'Erdogan , ce que coute aux américains la succession de leurs présidents fanatiques du capitalisme sans conscience etc .... Ceux qui ne veulent pas tirer les leçons de l'histoire se condamnent à en revivre les plus mauvais cotés .
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Le scandale génère de l'audience et l'audience génère des recettes publicitaires

Je souligne d'abord la patience érudite de Gérard Noiriel. Lire attentivement les textes injurieux et racistes d'Edouard Drumont, d'Eric Zemmour et les commentaires sur le site d'extreme-droite Risposte laïque, pour nécessaire que cela soit pour présenter des analyses, reste un exercice éprouvant pour celleux qui prônent l'égalité, qui refusent les hiérarchies civilisationnelles, raciales ou sexistes, l'essentialisation des groupes sociaux et des nations, et qui cherchent justement à faire histoire et émancipation.

Le langage du polémiste et celui du chercheur en sciences sociales, « L'un des buts de la présente étude est d'essayer de comprendre pourquoi les polémistes comme Zemmour ont, au final, toujours raison, alors qu'ils bafouent la raison », les professionnels de la parole publique, le vocabulaire injurieux, les atteintes à la dignité, les calomnies répercutées par des médias, les types de pouvoir et de privilèges (je soutiens l'idée de l'auteur de dévoiler publiquement sa feuille d'impôts, son patrimoine, de dire dans quel quartier il vit. L'exigence de connaître les éléments d'où les un·es et les autres parlent devrait relever de la bonne déontologie). « le « populisme » au sens vrai du terme, c'est l'usage que les dominants font du « peuple » pour régler leurs querelles internes ».

L'auteur fournit quelques éléments biographiques, son parcours, sa trajectoire, une façon de défendre sa dignité « qui consiste à ne pas vouloir se comporter comme ceux qui vous ont humiliés ». Il parle de la fascination du monde bourgeois de certains « transfuges sociaux », tels Edouard Drumont ou Eric Zemmour, leurs inventions de « dominants imaginaires », de ceux qui nourrissent le populisme depuis les positions de pouvoir qu'ils occupent, du vocabulaire de l'identité et des « identités latentes ». Il souligne que le « discours identitaire se caractérise par le fait qu'il sélectionne l'une de ces identités latentes pour la projeter dans l'espace public, la transformant ainsi en identité collective, un « personnage » dénoncé ou défendu dans le cadre des luttes politiques du moment ». J'ajoute que cette façon de faire n'est malheureusement pas réservée à la droite extrême ; certain·es se revendiquant de l'émancipation tendent à réduire de la même façon des individus à une identité unique et fantasmée.

L'auteur termine son avant-propos par un juste rappel : « L'antisémitisme et l'islamophobie ne sont pas des idéologies incompatibles avec le régime de la démocratie parlementaire ».

Sommaire

Deux polémistes en République

La fabrique d'une histoire identitaire

L'art d'avoir toujours raison

Comment devenir un « polémiste » populaire ?

Gérard Noiriel fournit des éléments comparatifs de la trajectoire sociale d'Edouard Drumont et d'Eric Zemmour sans sombrer dans l'« illusion biographique ». L'auteur parle, entre autres, de déclassement social, d'auto-(re)présentation comme rebelle, d'assimilation en un « nous », de fait divers, de contexte socio-économique, d'immigration, de crise économique, de développement des médias – presse papier hier, télévision en continu et réseaux sociaux aujourd'hui -, de noces du spectacle et de la télévision, de scandales, de violences verbales et d'insultes, d'exigence de loyauté envers la « patrie », de règles déontologiques du journalisme… Je souligne l'intérêt de la méthode comparative, la mise en évidence de similitudes et de différences ; il n'y a pas de « tous temps ».

Des obsessions, pour Edouard Drumont l'obsession juive et l'antisémitisme, pour Eric Zemmour l'obsession musulmane et l'islamophobie.

Histoire, histoire de « France », histoire des élites, histoire identitaire, histoire construite sur un mode tragique, négation de la diversité des individus composant réellement une nation ou la population d'un Etat, « Leur récit est structuré par un affrontement central entre un personnage qui remplit le rôle de la victime et un personnage qui est désigné comme l'agresseur ». L'auteur aborde l'insistance sur les soi-disants permanences à travers le temps (une histoire hors de l'histoire), la personnification des Etats, « présenter les États-nations comme autant de personnages qui se comportent de la même manière que les êtres humains », les visions purement cycliques, la notion de déclin ou de décadence, l'invention des « étrangers de l'intérieur », la critique élitiste des élites, la mise en cause réactionnaire des Lumières, les « grands hommes » et l'anti-féminisme, les visions inversées des rapports dominants/dominés », la fascination sur la question des noms… Je souligne les paragraphes sur les relations « entre Juifs et Arabes » revus et corrigés par les pamphlétaires, « Eric Drumont contre Edouard Zemmour », les vrais français et celleux qui ne le seraient pas.

Les logiques d'expression des polémistes et leur reconstruction de l'histoire relèvent de l'imposture, d'une pratique de procureur. Leur conception organique de la nation se conjugue avec une conception figée des immigrations. L'auteur aborde le refus de prendre en compte « la diversité des destins sociaux et des affiliations qu'on observe chez ceux qui sont issus d'une même communauté d'immigrants » (Stéphane Beaud cité par l'auteur), les discours sur les banlieues, et les musulmans. Les polémistes ne se soucient aucunement des discriminations subies par les populations, encore moins du travail ; ils sont plutôt fascinés par les « grands » de ce monde. La force des préjugés est mobilisée dans les discours de haine, « La stigmatisation des signes religieux tend à remplacer la stigmatisation des signes raciaux ». Des histoires sont racontées, en ayant l'air savant, mais sans le moindre effort pour « respecter les principes élémentaires de toute démonstration rationnelle ». Les pamphlétaires trafiquent ainsi les vérités sans risques, polémiquent pour exister, « ils crachent leur venin pour faire scandale car c'est leur seul moyen d'exister sur la scène intellectuelle », prétendent que le terrain qu'ils balisent est un terrain neutre et qu'ils sont des « victimes bâillonnées et persécutées » alors qu'ils bénéficient de puissants relais dans l'espace public…

Le dernier chapitre répond à la question « Comment devenir un polémiste « populaire » ». Gérard Noiriel aborde, entre autres, la fabrication d'un best-seller, le rôle ancien des duels, la légitimation de l'idée qu'il existait hier un « problème juif », aujourd'hui un « problème musulman », l'intérieur du petit milieu médiatique qui « se prend pour le centre du monde », l'exploitation des ressources de l'« industrie de l'info-spectacle », la soi-disant neutralité de nombreux espaces médiatiques, les liens entre les scandales et les recettes publicitaires, l'orchestration de la falsification intellectuelle, le ressassement des thèses réactionnaires. L'auteur pose la question de comment répondre, de ne pas céder à l'obligation (mais aussi) à la facilité de parler la même langue…

Je rappelle ce qu'écrivait Audre Lorde : « Car les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maître. Ils nous permettront peut-être de le battre temporairement à son propre jeu, mais ils ne nous permettront jamais d'apporter un véritable changement ».

Dans sa conclusion, « Vous n'aurez pas ma haine », Gérard Noiriel imagine, à partir d'un commentaire d'une fan d'Eric Zemmour, en six articles, « que la conception de l'histoire que défend et que met en oeuvre Zemmour dans ses livres ait force de loi ». Un scénario qui paraitra sans doute absurde à beaucoup. Et pourtant… L'auteur revient, entre autres, sur Edouard Drumont, les discours antisémites, Georges Bernanos, la dénonciation des soi-disants « bien-pensants », la politique de l'enseignement et de la recherche du gouvernement de Vichy, Eric Zemmour, Laurent Wauquiez, la mise en oeuvre d'une certaine « grammaire », le partage entre le vrai et le faux, les yeux rivés sur l'audience médiatique, la banalisation des propos identitaires, « Tous ces discours s'organisent autour d'un principe identitaire mettant en scène non pas des individus réels mais des personnages qui s'affrontent à partir du clivage « eux » / « nous » ».

L'ambition civique passe aussi par le titre choisi pour cette conclusion, « Vous n'aurez pas ma haine »…

Quelques éléments me paraissent plus que discutables, ils ne sont cependant pas centraux dans les analyses présentées. Je n'en évoque qu'un.

Si je partage l'insistance de l'auteur sur l'abandon de la question sociale (dont pour moi, le droit à l'emploi, le droit aux ressources et la réduction radicale du temps de travail), sa conception de celle-ci me semble réductrice. Les rapports sociaux de sexe (sytème de genre) et les procès de racisation (qui ne sont pas réductibles à la situation des immigré·es) sont, pour moi, parties intégrantes de la question sociale. En faisant l'impasse sur ces questions, les organisations du mouvement ouvrier et bien des courants de l'émancipation se sont interdit à penser l'ensemble des dominations et y répondre. Ils ont renvoyé des composantes importantes, dans le cas des femmes une composante majoritaire, de groupes sociaux à une sorte d'invisibilité, accru les divisions et limité de possibles mobilisations…

Quoiqu'il en soit, Gérard Noiriel nous permet de comprendre les similitudes et les différences dans deux contextes de la « part sombre de la République ». Si les constructions et les réceptions de polémiques alimentées par des « propos racistes, sexistes, homophobes » peuvent s'analyser, une part d'ombre subsiste. Aux explications fournies par l'auteur, j'ajouterai le socle profondément inégalitaire de nos sociétés, la naturalisation de cette inégalité, les classements divers des individus sur des échelles de valorisation – dont la méritocratie « républicaine » -, la concurrence plutôt que la solidarité (aggravée par les politiques néolibérales et le fantasmatique « entrepreneur/entrepreneuse de soi »). Il nous faut donc mettre au centre de nos préoccupations cette égalité sans condition dont parle, entre autres, Réjane Sénac dans son livre « L'égalité sans condition.Osons nous imaginer et être semblables », construire les lieux et les institutions afin que « nous puissions épanouir à égalité notre singularité individuelle »…

C'est dans la pratique de l'égalité, dans l'amélioration sensible des conditions de vie des salarié·es et des citoyen·es, dans la mobilisation effective des solidarités, que les discours de haine pourront être repoussés. Cela passe aussi par la mise à jour des ressorts « médiatiques », de amplification algorithmique des sujets, de la responsabilité de ceux qui font argent de la prolifération des insultes, de la démagogie populiste ou fasciste…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Il a de la verve, une éloquence, un talent oratoire, une répartie. Il a une estime et une confiance en lui qui éblouit. Il brille sur la scène médiatique car il y joue à merveille la comédie; celle qu'on attend de lui. Il se donne en spectacle et fait le spectacle. Il éructe, invective, accuse; il assène, affirme et certifie sans jamais démontrer car il y a des évidences qui ne sont pas à discuter seulement à rappeler. Lui l'homme « issu du peuple », le penseur alerte à la parole tranchante sait ce que nous autres ignorons. Il sait la France, son histoire, sa personnalité et son âme. Il sait ce que les autres, pseudos-intellectuels, bien-pensants, détraqués et détracteurs veulent absolument ignorer, il sait la Vérité. Et c'est pour elle qu'il se sacrifie, qu'il déploie toute son énergie. C'est pour elle qu'il vit. Et il vit, à vrai dire, pour dire n'importe quoi.

Et comment s'y opposer ? Gérard Noiriel en est convaincu: il n'est pas possible de combattre Eric Zemmour sur le plan des « idées », si tant est qu'on puisse parler d'idées le concernant, car le format des émissions télévisées ne s'y prête pas. Pour démonter les « évidences » d'Eric Zemmour, il faut du temps; et ce temps les chaînes TV ne veulent pas le mettre à disposition pour ne pas « ennuyer » les téléspectateurs. Elles aiment les clashs, les joutes verbales et l'argumentation posée, raisonnée n'y trouve pas sa place. Que faire alors? Pour l'historien, si le fond ne peut être raisonnablement contesté tant le délire est profond, il faut éclairer sur la forme car l'homme emploie une méthode qui a déjà fait ses preuves avec Edouard Drumont, antisémite notoire qui a publié La France juive. le parallèle est établi, les points communs sont étudiés mais je m'interroge au terme de ma lecture. Et alors? Et alors qu'est-ce que ça peut faire si Eric Zemmour et Edouard Drumont se ressemble? Je ne suis pas convaincue par le travail effectué car il ne changera pas, lui non plus, l'opinion des fans d'Eric Zemmour et ses opposants n'ont pas besoin de lui pour vomir les propos abjectes du personnage. Alors à quoi sert cet essai ? Quelle est sa finalité ? Dire qu'Eric Zemmour n'a pas inventé la lune et qu'il emploie les méthodes déjà usés par le passé n'aide pas à le combattre car la haine qu'il diffuse se fout des analyses de fond et de forme.

Alors que faire pour combattre Eric Zemmour ? Honnêtement, si la seconde guerre mondiale n'a pas servi de leçon, si les millions de morts n'ont pas suffi à éveiller les consciences alors rien, ni personne, ne pourra arrêter le torrent de boue qui se verse avec lui sur l'espace public. Quand les digues s'écroulent et que les supports médiatiques déroulent le tapis rouge à cet homme aux propos abjectes sans jamais le contester, sinon pour amuser la galerie en faisant croire à une pseudo neutralité, sa haine se répand comme une lave - doucement mais sûrement - en se figeant dans les consciences. Car enfin le discours de Zemmour est facile à comprendre, facile à intégrer. Il ne connaît pas les méandres de la pensée complexe. Et aucune étude, même la plus complète, ne saurait l'arrêter car la haine ne connaît pas de raison lorsqu'elle se diffuse si aisément. Gérard Noiriel peut donc contester le fond comme la forme, le comparer à Édouard Drumont sans jamais nuire au personnage ni même l'égratigner. Si d'aucuns sur l'espace public, médiatique et politique, ne prend ses responsabilités, si tous lui déroulent le tapis rouge - il est long et vif - Éric Zemmour aura encore une longue vie devant lui. Malheureusement.
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Replaçant le cas Zemmour dans une perspective historique, notamment dans une certaine continuité du parcours d'Édouard Drumont, Gérard Noiriel analyse la « matrice du discours réactionnaire » développée par ces polémistes, leur rhétorique, leur réception, et proposent des pistes pour combattre efficacement cette démagogie populiste.
(...)
Excellente analyse et très utile antidote pour combattre le venin des discours réactionnaires.

Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
******** POLEMIQUER POUR EXISTER ********

On comprend ( aisément ) , pourquoi les journalistes pamphlétaires comme E Drumont Ou Zemmour sont contraints d'alimenter constamment de nouvelles polémiques . Ils crachent leur venin pour faire scandale car c'est leur seul moyen d'exister sur la scène intellectuelle. Les invectives , les insultes , les propos humiliants ont pour but de faire vibrer la corde émotionnelle afin d'inciter ceux qui en sont victimes à répondre de la même manière . Voilà pourquoi dans la " France Juive " Drumont traite Edouard Meyer de " petit youtre " , et qu'il décrit " le juif " comme un être abject à " la main moelleuse et fondante de l'hypocrisie et du traître " . Voilà pourquoi Zemmour affirme aujourd'hui que " la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes " , voilà pourquoi il stigmatise les prénoms des musulmans , présente Olivier Besancenot comme " l'idiot utile de l'islamisme " , accuse Omar Sy d'ignorer la langue française . Voilà pourquoi , il présente les historiens universitaires comme des "déconstructeurs "à la solde des ennemis de la France .
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Après de louangeurs propos du Figaro Magazine , ou sur Figaro Vox ou Atlantico ou L'Express concernant " le destin français " , Eric Zemmour est de nouveau encensé chez Valeurs Actuelles ou Le Point puis reçu sur France Inter , C8 , LCI , BFM TV , C News et chez les " Grandes Gueules " de RMC .

On voit clairement , grâce à cette petite recension , comment le pôle dominant du champ médiatique est parvenu à orchestrer , sous l'impulsion du Figaro relayé par les chaines d'info en continu la promotion d'un livre totalement indigent sur le plan historique , islamophobe , sexiste et homophobe , qui traîne dans la boue toute le communauté des enseignants-chercheurs en sciences sociales . Ce qui n'empêche nullement les jouralistes qui officient dans ces médias de dénoncer la " montée du populisme " .
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Eric Zemmour tout comme Edouard Drumont avant lui , est un exemple parfait des transfuges sociaux qui ont été tellement fascinés dans leur enfance par le monde bourgeois qu'ils ont mobilisé toute leur énergie pour le rejoindre et lui ressembler . Fortune faite , Eric Zemmour s'est installé " dans un viel immeuble XIX° , à l'ombre de l'église Saint Augustin dans le VIII° arrondissement , ce phare du catholicisme par temps obscurs " et il a scolarisé ses enfants dans des établissements privés .

Comment , dans ses conditions , affirmer qu'on est resté fidèle à ses origines ? La réponse tient dans ce que j'appelle une fidélité dévoyée .Elle consiste à inventer des dominants imaginaires " contre lesquels on mène un combat inlassable au péril de sa vie . C'est ce genre de raisonnement qui pousse constamment Eric Zemmour à dramatiser la situation des banlieues , en prenant les exemples extrêmes pour la règle .
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Après les événements de Mai 1968, la gauche parvint à construire son hégémonie car ses organisations élaborèrent un programme commun qui faisait le lien entre les question sociales et la lutte contre les discriminations. C’est ce lien que la droite s’employa à briser à partir des années 1980 grâce à une stratégie centrée sur ce que j’ai appelé la « mise en concurrence des bonnes causes ». En se focalisant sur l’islam, la droite put reconquérir rapidement sa position dominante sur les questions identitaires. Incapable de résoudre la crise sociale, la gauche contribua elle aussi à l’exacerbation de ces polémiques identitaires en alimentant la stigmatisation des musulmans au nom de la « laïcité ».
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- RACONTER DES HISTOIRES ...POUR AVOIR L'AIR SAVANT -

L'art de la persuasion passe également par la maîtrise du " storytelling " , il n'est donc pas surprenant que les journalistes pamphlétaires soient des fervents adeptes de l'histoire-récit . Si je mettais du venin dans ma plume , je dirais que les histoires de France que nous propose aujourd'hui Eric Zemmour , ce sont des fiches Wikipédia traduites dans le langage des manuels d'histoire , destinés aux enfants de la III° République . Voici , par exemple , comment il raconte à ses lecteurs les premiers contacts entre les Gallo-Romains et les Francs : " Ces petits hommes bruns , râblés et courtauds , de type méditerranéen voient , avec une frayeur mâtinée d'admiration , ces hommes à la virilité ostentatoire de demi-dieux déferler sur leurs terres . " Quelques pages plus loin il compare Clovis à Astérix , " Le petit qui n'a aps peur des gros , comme disait de Gaulle en se comparant à Tintin " .
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Vidéo de Gérard Noiriel
Face au passage en force de la réforme des retraites, la colère sociale ne faiblit pas. Sommes-nous confrontés à une crise socio-politique inédite dans l'histoire de la Ve République ?
Guillaume Erner reçoit Gérard Noiriel, historien spécialiste de l'immigration et de l'histoire de la classe ouvrière, et directeur d'études à l'EHESS.
#actualite #reformedesretraites #politique
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