L'Académie n'altéra pas la simplicité naturelle de Chardin : un an encore après sa réception, il se laissait employer par Meissonier à des travaux de châssis destinés à Versailles ' et fastueusement payés huit livres par jour. Habitué à. ces prix, Chardin n'y regardait pas de si près. Il avait en ces matières la naïveté et l'ignorance d'un enfant. Ce fils de commerçant ne savait pas allumer l'acheteur. Au plus fort de sa vogue, ses meilleurs tableaux ne dépassèrent jamais quinze cents livres. Il livra quelquefois pour un morceau de pain et moins encore des toiles qui lui avaient coûté une peine infinie. Ses amis connaissaient sa faiblesse et ne se gênaient pas pour en abuser.
La vie de Chardin a été simple, tranquille et honorable. Elle s'est écoulée tout entière au milieu de la petite société bourgeoise où le hasard l'avait fait naître et d'où il ne fut pas tenté de sortir quand la réputation lui fut venue. Rien ne fait plus d'honneur au peintre que cette discrétion qui ne fut pas de l'effacement et qui ne risquait pas de trouver parmi ses pareils beaucoup d'imitateurs : rien n'explique mieux aussi, comme nous le verrons, le caractère original mais fortement limité et un peu étroit de son oeuvre.