On pourrait en déduire que ma mère de sang n'était pas une bonne mère. Ce qui est faux. Celle que je nomme maman est une mère exceptionnelle, je sais mon privilège d'être sa fille. Mais le coeur est multiple et de même que l'on peut tomber amoureux plus d'une fois , on peut identifier plus d'une femme à la mère idéale. C'est le gage de plus d'émotion, de plus d,attachement et de plus de deuil.
La mémoire est une aventure bizarre.
La vérité est que je fais tout de travers. Même naître : je suis née à l’envers. Mes parents attendaient un garçon, Jean-Baptiste. Naître par le siège fut ma manière de les avertir sans tarder de leur erreur
L'avion est en train de survoler les sommets de l'Himalaya, dont la blancheur suffit à éclairer les ténèbres.
Certes, Tokyo est quatre milliards de fois plus moderne que Kyoto, mais c’est sa vocation de capitale et elle la maîtrise. Kyoto donne une impression de schizophrénie : la juxtaposition des époques y crée d’énormes différences de potentiel sans qu’aucun échange entre elles ne paraisse possible. Imaginez une ville qui soit à la fois aussi mystique et sublime que Pagan, aussi riche et bourgeoise que Bordeaux, aussi technologique et chaotique que Seattle : pour autant qu’une telle mixture soit imaginable, c’est ce qui évoque le mieux Kyoto.
Nez au hublot, j'énumère les régions réelles ou fantasmatiques que survole l'avion : Tibet, Népal, Ladakh, Cachemire, Pakistan - monde grandiose que le nôtre!
Habitée par mon sentiment, j'affirme avec la foi des fous de Dieu que les désespérés sont des crétins bornés. Le prochain malheureux que je rencontre, je lui dirai: "Everest! Himalaya!" Et s'il trouve le moyen de ne pas guérir après de telles paroles, c'est qu'il aura mérité de souffrir.
Si le temps mesure quelque chose chez un être humain, ce sont les blessures.
Tout ce que l'on aime devient une fiction.
Hélas, il n'est pas vrai qu'il n'y a personne : il y a moi, que je ne parviens jamais à abolir. Et aussitôt j'intervins : "Jure-toi, Amélie, que tu n'auras plus jamais de chagrin même de mélancolie; qui a frôlé l'Everest n'en a pas le droit. Le maximum que j'autorise, désormais, c'est la nostalgie heureuse". P146
Tout ce que l'on aime devient une fiction.
La première des miennes fut le Japon. À l'âge de cinq ans, quand on m'en arracha, je commençai à me le raconter. Très vite, les lacunes de mon récits me gênèrent. Que pouvais-je dire du pays que j'avais cru connaître et qui, au fil des années, s'éloignait de mon corps et de ma tête ?
À aucun moment je n'ai décidé d'inventer. Cela s'est fait de soi-même. Il ne s'est jamais agi de glisser le faux dans le vrai, ni d'habiller le vrai des parures du faux. Ce que l'on a vécu laisse dans la poitrine une musique: c'est elle qu'on s'efforce d'entendre à travers le récit. Il s'agit d'écrire ce son avec les moyens du langage. Cela suppose des coupes et des approximations. On élague pour mettre à nu le trouble qui nous a gagnés.