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Critique de VincentGloeckler


Un livre fait d'un tas de « je ne sais quoi », d'une multitude de « presque rien », une histoire qui aurait enchanté Vladimir Jankélévitch, donc, ou la Françoise Héritier du « Sel de la vie », le Ruben Ogien de « L'odeur des croissants chauds »… Ces « Petites victoires » vous mettent le coeur et l'esprit en fête ! Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant, et même si, pour Clémence, la vieille dame vaguement indigne, dont les gestes orchestrent les mouvements du récit, sa seconde vie commence peut-être quand elle comprend qu'elle n'en a qu'une..., on est loin, avec ce texte, de la mièvre littérature-à-faire-du bien des Gavalda, Grimaldi, Gounelle, Martin-Lugand, Perrin, Valognes, j'en passe et des meilleur(e)s, des tartines lénifiantes et autres pansements pour nos âmes en détresse. Les personnages du récit de Pierre Notte se heurtent sans cesse à la dureté du quotidien, à la lutte des classes ou au carcan familial, à la tristesse des ambitions déchues, des illusions perdues, des espoirs perclus par les horizons bouchés d'une existence en banlieue ou en province. Surtout lorsque, comme Clémence et ses filles, Lydie et Margaux, l'on est une femme, au destin trop souvent dicté par les hommes auxquels on s'est attachée… Ni magie de l'amour, ni miraculeuse résilience, ici, pour se sauver, et quand, à force de désespoir, on cherche refuge dans les paradis artificiels de l'alcool ou des drogues, c'est pour souffrir davantage de la violence de ses propres fantasmes. Et l'Histoire collective n'est jamais estompée dans ce récit, qui, de 68 aux gilets jaunes, en passant par mai 1981, septembre 2001 ou les attentats terroristes de 2015, accompagne, des rêves qu'elle suscite aux traumatismes qu'elle provoque, les existences chaotiques de Clémence, la grand-mère, de ses filles et de Prune, sa petite-fille, de l'homme, enfin, dont la rencontre avec Clémence aura suffi à provoquer, dans l'espace d'une journée, entre petit matin et nuit tombée, cette remontée des souvenirs, l'évocation de ce faisceau de vies… Tout commence quand Clémence, bientôt quatre-vingt ans, et qui voudrait ne pas mourir trop tôt, décide de se remettre à fumer – la première des « petites victoires », oui !-, puis s'arrête, sur la place des Halles, devant l'église Sainte-Eustache, où s'est installé le « bordel à merdouilles » d'une brocante, face au stand d'un homme, la soixantaine bien entamée, « moustache blanche sur visage rond », auquel elle achète une vieille poêle en fonte, avant de l'inviter à boire un café à l'estaminet le plus proche. le vendeur est bonhomme, intrigué par l'étrange enjouement de Clémence, curieux de ses motivations, favorisant les confidences. On comprendra plus tard que la rencontre n'est pas, en fait, le fruit du hasard, mais pour l'instant, elle génère plaisante conversation et travail de mémoire. « La dame parle et fume, libre sous sa légère teinture rousse » (p.16), et nous voici, lecteurs, séduits par son regard espiègle et sa verve, entraînés dans cette formidable exploration d'un destin individuel et familial. A l'instar de la protagoniste et de ses incessants croche-pattes aux contraintes morales ou aux conventions sociales, l'écriture de Pierre Notte vous rit au nez, semble se foutre de tout, riche en formules bien ajustées et en ironie, libre et insolente comme les meilleurs personnages de cette histoire…, une écriture qui se déchausse, tiens, oui, comme Clémence, la vieille dame qui ne se juge pas scandaleuse de montrer ses pieds nus – encore une « victoire » - en sirotant son « Fritz », son spritz – et toujours une « victoire » - à la terrasse très parisienne de ce bistrot des Halles. Et ce roman est aussi une manière, dans ce temps où l'on évoque beaucoup, à plus ou moins bon escient, le « petit peuple » de France, de jeter un regard critique, tendre ici, amusé là, toujours lucide, sur l'histoire de ces populations de la « périphérie », entre les Trente glorieuses et l'ère macronnienne. Alors, oui, on se prend à rêver d'accompagner encore Clémence, son nouveau compagnon et leur liberté retrouvée, sur les chemins de ces petites victoires, on aimerait que cette histoire ne s'arrête pas, odyssée de trois sous à la Queneau ou à la Vian, texte de grande jouissance… Bravo, monsieur Notte !
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