Car j'écris souvent, en rêve. Ma prose s'y déploie en queue de paon, s'y gonfle, s'y pavane, quelle musique ! Elle s'y permet aussi des folies de vitesse, des arrêts pile, des sécheresses exquises. Au matin, le chef-d'œuvre est envolé.
Depuis le temps que je me mets à table, je devrais avoir vidé mon garde manger. Aussi n'est-ce pas en fouillant dans mes secrets que j'écrirai le recit qui commence ici,mais en jetant sur le papier, ambiguë, encore palpitante, une aventure vécue il y a quelques mois et dont les révélations me harcèlent.
Si l’on éprouve tant de mal à parler à ses enfants, c’est aussi qu’on ne peut rien leur dire.
Les enfants très beaux sont faciles à aimer, comme le sont pour d'autres raisons les petits malheureux qu'une disgrâce majeure laisse sans défense et livre aux compensations de notre tendresse.
Qui veut rompre choisit en général la mobilité, le départ...
Depuis quelques années, je dors ma vie. J'en ai pris conscience depuis peu. Toute une mise en scène, et les commodités de la solitude permettent de sauver les apparences.
(...) je me sentais, à y réfléchir, dans la peau d'un courailleur vieillissant qui s'émeut de trouver chez une donzelle les facilités et les appétits qui lui feraient horreur chez sa propre fille. A la maison, la vertu! Ailleurs, un peu de feu me réchauffait.
(...) comment et quand le petit garçon grave des étés à Argentières et à l'Ile de Ré était-il devenu cet adolescent longiligne, toujours maigre mais comme alangui, dont le visage évoquait moins le loup traqué de son enfance que la ruse d'un renard pilleur de poulaillers? Les traits de mon fils s'étaient amenuisés. Ils me paraissaient être devenus à la fois pointus et flous. Chacune des photos était nette mais leur ensemble donnait l'impression du "bougé". Et loin de laver son visage à grande eau comme fait ordinairement la gaieté, le sourire y posait, depuis deux années surtout (les photos d'Ibiza et d'Irlande), je ne sais quelle sournoiserie, ou méfiance, ou tout simplement de la tristesse, - une tristesse qui me désolait. Comment saurais-je décrire un être que je ne reconnais plus?
Nous traversons l’aride pays. Rien ne pousse plus sur notre tendresse.
On croit inutile de noter les événements, de dater les souvenirs. On est sûr de se rappeler chaque détail de la vie, qu’en vérité huit jours dissipent à jamais.