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Critique de tilly


tilly
19 février 2013
C'est une belle histoire de filiation et de transmission réussie qui nous vaut la révélation de ce recueil posthume de chroniques littéraires écrites entre 1962 et 1978 par un " liseur appointé ", car c'est ainsi que François Nourissier se définit lui-même. Nourissier, surnommé Nounours dans les rédactions pour lesquelles il travaillait, parce qu'il avait disait-on (à raison), une sacrée patte !

Pas étonnant alors que la fille de l'écrivain, Paulina Nourissier-Muhlstein (était-elle, enfant, une Petite Ourse ?), ait baptisé sa maison d'édition tout nouvellement créée : La Grande Ourse. En juin 2012, la nouvelle éditrice déclarait ainsi :
“ Une [...] facette de mon activité sera axée sur le désir de perpétuer la mémoire de l'oeuvre littéraire de mon père, François Nourissier. L'étude des archives qu'il a léguées à la BnF feront l'objet de plusieurs publications dans le futur. ”

D'après l'universitaire Elisabetta Bonomo qui signe la préface du Cycliste, François Nourissier aurait retenu la parution du Cycliste à plusieurs reprises parce qu'il souhaitait reprendre pour l'approfondir son analyse de la fonction de critique littéraire. Et aussi parce que le dernier éditeur approché remettait en question le choix des auteurs et de la période couverte ! Ensuite, la maladie a malheureusement cruellement réduit les forces de l'écrivain qui les a consacrées dans les dernières années à son oeuvre romanesque et autobiographique.

François Nourissier témoigne d'un temps où les blogs, les réseaux sociaux, le mail n'existaient pas encore. Quand on était chroniqueur littéraire pour un hebdomadaire dans les années 60-70, le journal faisait encore passer un coursier pour ramasser votre copie du week-end et la transmettre au marbre.

Dans l'avant-propos au Cycliste, François Nourissier établit malicieusement le bilan comptable et financier d'une passion finalement peu lucrative : “user sa vie à lire et à commenter autrui”. Dix ans, à raison d'une chronique par semaine grosso modo, cela fait plus de cinq cents articles. En d'autres nombres : deux à trois mille feuillets, une centaine de semaines de quarante heures, deux années pleines sans vacances. Alors que travailler à un roman l'a souvent rempli d'angoisse, avoue-t-il, c'est toujours avec infiniment de délectation, et jamais d'ennui, que Nourissier s'attelait à sa tache de critique littéraire.

Toujours dans cet avant-propos, François Nourissier, décidément prince de l'understatement, parle de son “petit livre” ! A qui espère-t-il faire croire que sa sélection de 88 articles (sur 500) faisant 4 pages en moyenne n'est qu'un simple échantillonnage, et qu'elle doit surtout au hasard et à la négligence ? — Nourissier dit avoir égaré (!) nombre de ses chroniques faute de soin. C'est au contraire un tout cohérent et conséquent qu'il nous offre, une peinture pointilliste de la vie littéraire à une époque choisie soi-disant arbitrairement par ce grand témoin se décrivant peu soucieux d'exhaustivité.

François Nourissier, décidément taquin, brouille les pistes en pulvérisant la chronologie. Les articles sont classés par ordre alphabétique du nom de l'auteur du livre chroniqué, quelle que soit la date à laquelle il a été publié. Il faudra que le lecteur fasse effort pour replacer mai 68, par exemple, au mitan-charnière de la période choisie par Nourissier. Et puis après tout si Nourissier l'a voulu, ne faisons aucun effort contraire, et acceptons ces promenades zig-zagantes, d'un écrivain et d'une oeuvre à l'autre, qui font fi de l'actualité mais marquent l'intemporalité (en règle générale) de l'activité littéraire.

La queu-leu-leu d'écrivains ainsi créée est surprenante et formidablement plaisante, qu'on la pense fortuite ou savamment étudiée. On passe du vieux François Mauriac de 80 ans au jeune et prometteur Modiano assez sévèrement tancé pour son second roman. Lorsqu'il écrit l'avant-propos au Cycliste en 1978, Nourissier joue plaisamment le faux-modeste en reconnaissant qu'il n'est finalement pas mécontent “de ne pas flairer mal, et de jouer [son] petit air avant que n'éclatassent les trompettes de la renommée.” En effet, J.-M. G. le Clézio (pas encore Prix Nobel de Littérature), Marguerite Yourcenar (pas encore Académicienne Française), Romain Gary (pas encore double Goncourt), figurent bien évidemment, cqfd.

Comme il n'y a non plus aucune classification des chroniques suivant le genre de littérature abordé, François-Marie Banier suit Louis Aragon, Geneviève Dormann précède Drieu, etc. Faute de se fréquenter, les générations d'écrivains, et les courants littéraires se côtoient d'une chronique à l'autre. Ce qui les rassemble c'est seulement d'être tous des écrivains francophones : la plupart français, quelques uns suisses ou belges. Ils sont 88, je ne peux pas les citer tous !

Je ne connaissais pas tous les écrivains abordés dans ce recueil. Mais cela ne gêne en rien la lecture, presque au contraire. J'avoue avoir plutôt laissé de côté ou survolé (pour écrire cette note de lecture dans le temps imparti !) ceux que je croyais connaître comme Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Jean Giono, André Malraux, Georges Perec, entre autres. J'y reviendrai plus tard, et souvent, grâce à la table des matières et à l'index qui font de ce livre un ouvrage de référence formidable, indispensable, précieux.


note 1 (sur les courants littéraires) - Je lis aujourd'hui un article de Jérôme Dupuis pour L'Express : “Jacques Chardonne, Paul Morand, Lucien Rebatet, le retour des pestiférés”. Dans le Cycliste, on relève en filigrane l'intérêt porté par Nourissier aux oeuvres des bannis de la Libération (Louis-Ferdinand Céline, Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle). On voit aussi qu'il est sensible au courant des Hussards à qui on l'a quelque fois associé (Roger Nimier, Jean-René Huguenin, Bernard Frank, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel Déon, Kléber Haedens, Félicien Marceau, etc.). Pour autant, il dit en même temps son estime pour le travail d'écriture de certains des auteurs du Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet, Nathalie Saraute, Claude Simon, Jean Cayrol, Michel Butor, Marguerite Duras, entre autres)


note 2 (sur les ursidés) - à la page 291 (Michel Mohrt) un ours encore... ou deux, puisqu'il s'agit du roman L'Ours des Adirondacks, mais surtout parce que François Nourissier signale en passant que dans le métier on dit d'un “manuscrit mal ficelé, problématique, pathétique” que c'est un ours !


note 3 (sur l'édition) - coup de chapeau aux éditions de la Grande Ourse qui citent, sur la page de copyright, le nom du relecteur et correcteur du Cycliste : Olivier Godefroy, c'est rare !
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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