Il faut que j'aille dans l'antimonde et que je discute avec des antipersonnes et que de l'anti-lumière se répande sur les anti-objets ; il faut que j'entre dans un antihomme, voilà la seule contrefaçon probante de me sortir d'ici. Dorénavant : nonobstant : désormais !
Je donnais l'ordre au vocabulaire de ne plus frayer avec la grammaire, j'interdisais aux chiffres de se compter, je demandais que tout soit fait pour fournir amplement à la musique de quoi s'taire ! Je donnais également des noms à ce qui est en vrai : la table ici, la pomme ici, le bruit ici, l'automobile ici, le cercle ici, la négative ici, le oui ici – et d'autres noms, tout ce qu'il y a de plus faux, à ce qui est faux : le vindilecte, l'hirlisie, le ruliet, l'éliomphe, la nitraine, le futrule, le janducle, le perciant, l'hilerpe, l'urnulet, le sictase…
Peu fier d'avoir un corps qui se voit, j'avais surtout grand'honte d'avoir après ma mort à vous laisser un corps qui reste ! Rien que d'y penser de le voir en dépouille j'en avais déjà honte pour lui ! Ma mère disait : « Donne-le à la terre ! » Je pensais : « Mais pourvu qu'elle accepte ! » J'aspirais à être en bois bref, ou rubifan, plastique élastifié ou en métal métalluré, et non en chair qui va nulle part.
Ma vie s'est bâtie sur le chiffre onze : je suis né un onze, j'ai été opéré un onze, le chien de mon grand-père a été perdu un onze et on m'a retrouvé un jour avec un couteau de vingt-deux coupé en deux, j'ai été déçu par les gens onze cent onze milliards onze cent septante et onze mille millions de onze cent soixante-deux.
La vie est déserte. Elle est morte pour les morts. A la fin, on devient des animaux… Comment peux-tu parler, si tu es mort, redis-je-redis-je à mon cada – alors que mon corps est là, seul, qui vit dans c't'amertume ?…
Lecture par André Marcon, Dominique Reymond & l'auteur
Musique : Anssi Karttunen (violoncelle)
Pour cette carte blanche, Valère Novarina a choisi de faire entendre des extraits de trois textes. La clef des langues paru cette année aux éditions POL : « roman nominaire » et large estuaire où se croisent les quatre fleuves de noms, de verbes, d'actions et de dessins. Dominique Reymond puisera dedans pour faire entendre la liste des définitions de Dieu.
Valère Novarina lira lui-même des extraits de Pour Louis de Funès, essai sur l'acteur qui pourrait être aussi un « Pour André Marcon » puisqu'il est né de l'observation quotidienne et presque chirurgicale du travail d'André Marcon dans le passage impensable du plateau à la salle lors de la création du Monologue d'Adramélech au théâtre de la Bastille en 1984.
Monologue d'Adramélech qui aura été préalablement lu ce soir par André Marcon accompagné de Anssi Karttunen au violoncelle.
À lire – L'oeuvre de Valère Novarina est éditée chez P.O.L.
Son : Lenny Szpira
Lumière : Patrick Clitus
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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