Après avoir réussi à maîtriser le feu retors et déterminé, il me gronda furieusement pendant dix bonnes minutes, me traitant d'andouille décérébrée, rejeton d'éleveurs de cochons - "Mon père est bûcheron !" m'exclamai-je.
- De feignasse de manieurs de hache ! se corrigea-t-il alors.
La maison me manquait cruellement, comme si j'avais un grand vide en moi. Elle me manquait depuis que nous avions quitté la vallée pour traverser les montagnes. Des racines... oui. Il y avait des racines plantées dans mon coeur, aussi profondes que pouvait l'être la contamination.
Incipit :
Notre dragon ne mange pas les filles qu'il emporte, malgré les histoires que l'on raconte à son sujet en dehors de notre vallée. On le entend parfois, quand des voyageurs passent par chez nous. Ils en parlent comme si nous sacrifions des êtres humains à un véritable dragon. Naturellement, rien de cela n'est vrai : il a beau être magicien et immortel, il n'en reste pas moins homme, et nos pères se ligueraient pour l'éliminer s'il venait dévorer l'une d'entre nous tous les dix ans. Il nous protège contre le bois, et nous lui en sommes reconnaissants, mais pas à ce point.
S'il ne trouvait pas quelque chose dans un livre, c'était que ça ne pouvait exister, alors que s'il l'y trouvait, c'était la vérité sans fard.
Je ne veux plus être raisonnable ! m'exclamai-je. (Mon éclat de voix résonna dans la pièce autrement silencieuse.) Pas si cela m'empêche d'aimer qui que ce soit. Si je ne peux plus me raccrocher aux gens, à quoi bon ?
La plupart des courtisans placent les paysans un degré au dessus des vaches et bien en deçà de leur monture préférée dans la hiérarchie des êtres vivants.
(le Dragon à Nieshka)
Nos doigts s’étreignirent fortement , et je m’efforçai de ne pas penser au fait que les filles du Dragon ne voulaient jamais revenir.
J’avais le sentiment que L’Invocation n’avait d’ailleurs pas vocation à être lancée en solo, comme si la vérité ne signifiait rien si elle n’était pas partagée : il était vain de passer sa vie à la hurler aux quatre vents si personne n’était là pour écouter.
Nos voix peinèrent d'abord à s'unir l'une à l'autre, semblant terriblement désaccordées et discordantes. Notre sort vacilla comme la tour de galets d'un enfant. Je cessai alors d'essayer de lire comme lui et me contentai de lire avec lui, me laissant guider par mon instinct : je me surpris à l'écouter simplement scander les mots; tandis que j'entreprenais presque d'en faire une chanson, isolant un mot ou une phrase pour les répéter à deux ou trois reprises, me contentant parfois de fredonner, tapant du pied pour donner la cadence.
Il commença par résister, s'en tenant un instant à la précision impeccable de son incantation, mais ma magie sembla inviter la sienne à la rejoindre, et il se mit peu à peu à lire, peut-être moins abruptement , mais au rythme que j'imposais. Il ralentit pour me permettre d'improviser laisser libre cours à mon accompagnement. Nous tournâmes la page ensemble et poursuivîmes sans marquer de pause. Au milieu du parcours suivant, une phrase réellement musicale franchit nos lèvres, sa voix prononçant sèchement les paroles tandis que le mienne les chantait, dans les aigus ou dans les graves, et soudain, étonnamment, tout fut facile.
Mais même les rois ne sont pas opposés au partage une fois morts.