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Critique de domi_troizarsouilles


J'avais repéré ce livre depuis un moment… grâce à un swap pour tout dire, car il était dans la wish-list de ma swappée ! ;) Il m'avait beaucoup intrigué, à tel point que je l'avais choisi parmi ceux à lui envoyer, et je l'avais aussitôt mis dans ma propre WL. Il y a ensuite dormi (comme tant d'autres), jusqu'à ce qu'il soit proposé en lecture commune dans plusieurs challenges auxquels je participe : c'était le moment de m'y lancer.

On a là une histoire délicieusement hivernale, qui nous fait croiser quelques héroïnes fortes et intéressantes, dans ce qu'on pourrait croire – à première vue – une réécriture de contes et/ou légendes slaves, mais à mon avis c'est autre chose pourtant, et plus que ça ! D'ailleurs, cette histoire typiquement « fantasy » trouve des racines dans l'Histoire de la Lituanie, qui n'est donc pas slave, mais l'un des trois pays baltes (et donc de langue et culture baltes, qui ne sont pas slaves, malgré d'évidentes influences).

Je vais commencer par cela, car c'est ce qui m'a interpelée en premier lieu, sans doute parce que j'ai participé à un voyage culturel organisé dans les trois pays baltes pour mon voyage de noces (eh oui !), il y a maintenant un peu plus de 15 ans, et même si je n'en ai plus que des souvenirs épars, certains choses m'ont sauté aux yeux. D'abord, les Juifs y prennent une grande place, eux à qui on réserve les métiers dont les bons chrétiens ne veulent pas (être prêteur notamment…), que l'on respecte s'ils sont riches mais que l'on ghetto-ise de toute façon – bon ok, ce n'est pas typique de la région, mais ça m'a quand même fait aussitôt penser à la Russie… ou un pays proche.
J'en profite pour souligner que ce livre parle effectivement beaucoup des Juifs, mais jamais de façon partisane de quelque nature que ce soit. Les Juifs sont présentés sans concession, un peu cliché peut-être parfois : ce sont effectivement eux les prêteurs, et certains en sont devenus particulièrement riches… mais même ainsi leur maison reste ouverte – à la famille avant tout, mais aussi à ceux qui ont osé ne pas les juger sur leur seule judaïté et leur ont donné leur confiance et/ou leur amitié. Ainsi, j'ai eu le doux sentiment que l'autrice voulait faire passer un message de tolérance universelle : que l'on soit riche ou pauvre, que l'on soit juif ou chrétien ou autre, que l'on soit du Lithvas ou d'un autre pays, on a tous nos forces et nos faiblesses, nos rêves d'une vie meilleure aussi, et on est tous suffisamment humains pour pouvoir s'entendre avec un peu de bonne volonté. En dire plus serait du spoil…

Mais revenons-en à mon identification de ce roman-fable et son ancrage dans l'Histoire de la Lituanie : cette impression n'a fait que se confirmer au fil des pages. Pour citer quelques exemples : le royaume qu'Irina veut protéger à tout prix, le Lithvas, quand on le lit à haute voix ça ressemble quand même follement à Lietuva (la Lituanie en langue originale). de même, le gros bourg de Vysnia évoque à s'y méprendre la capitale actuelle, Vilnius. Mais surtout, toutes ces magouilles politiques, organisées par le père d'Irina, un duc (c'est important), puis par Irina elle-même, pour préserver l'intégrité et la survie de ce fameux Lithvas, convoité tant par le puissant tsar que par un certain Ulrich… c'est l'histoire éternelle de la Lituanie (et de la Pologne, à qui elle a fini par s'unir, mais ceci ne fait pas partie de l'histoire) ; la Lituanie donc, qui soit dit en passant a été un Grand-Duché à une période de son histoire (tiens, tiens !), a été sans arrêt dans la ligne de mire entre ses trop puissants voisins la Russie à l'est et la Prusse à l'Ouest… Ce sont toutes les pièces d'un puzzle historico-fantastique qui s'emboîtent, avec çà et là des distorsions, mais après tout on est dans un roman-conte, pas dans une roman historique fidèle à la réalité. Et, après vérification, s'apercevoir que le père de l'autrice était lituanien (et sa mère polonaise) : bingo !

Tout ça pour dire que, indépendamment de ces bribes de culture que j'ai l'impression d'étaler plus que de raison, j'étais infiniment heureuse de retrouver ces quelques éléments qui évoquent de beaux souvenirs – bien au-delà de l'aspect culturel d'ailleurs, c'était mon voyage de noces après tout ! – et une culture trop méconnue car trop souvent écrasée par ses voisins toujours affamés, avec lesquels elle aurait pu se perdre, et pourtant elle a (presque) toujours réussi à garder la tête haute, tout comme notre personnage principale-principale, en tout cas ma préférée : Miryem, qui serait peut-être bien la parabole de cette Histoire, avec tout ce que l'imagination de l'autrice lui a ajouté.

Comme je laissais déjà entendre plus haut, j'ai beaucoup aimé ces trois personnages de femmes fortes, qui font leur chemin dans un monde dominé par les hommes (que ce soit le père et/ou le mari), et surtout qui le font sans que ça devienne un combat revendicatif, mais ça se passe tout en douceur et subtilité – que ce soit quand Miryem reprend les affaires de son père pour sortir sa famille de la misère, quand Wanda prend les décisions qui lui permettront d'avoir un avenir pour elle et ses frères, ou quand Irina arrange les choses à sa mode pour le bien du Lithvas. Chacune à sa façon est particulièrement attachante, et le fait que leurs voix s'entremêlent à tour de rôle, toujours à la 1re personne du singulier, rend les choses encore plus vraies, encore plus vibrantes !
Je note au passage que, si le monde de notre Fileuse rappelle curieusement des pans plus ou moins réécrits de l'Histoire de la Lituanie, mêlée de légendes locales (qu'elles soient baltes ou slaves), ça n'en est pas moins un monde en soi, particulièrement foisonnant et extrêmement crédible. L'autrice ne nous épargne pas les détails, sans que ce soit jamais lassant, pour recréer ce monde sous nos yeux – car en plus c'est très visuel et on voit réellement ces routes scintillantes des staryk se dérouler au coeur de l'hiver, on voit les écureuils d'Irina, on vibre même lors de certaines scènes ! C'est une écriture envoûtante plus que cinématographique, mais avec un tel souci du détail visuel (et parfois aussi auditif) qu'on a réellement l'impression d'y être !

Les hommes quant à eux ne sont pas écrasés pour autant, même si les deux plus grands « méchants » de l'histoire en sont bel et bien : entre le démon du feu et l'insaisissable Staryk, roi de l'Hiver, on saisit d'emblée l'antagonisme, qui ne va cesser de croître ! C'est là aussi la magie d'une lecture commune : ces deux personnages ont très vite réussi à susciter l'antipathie chez la plupart de mes co-lectrices, tandis que, pour ma part, j'ai de suite développé une aversion profonde envers le démon, tandis que le roi Staryk –qu'aucune des autres n'appréciait- me faisait penser au bad boy typique d'une romance type MC 1% (pour les non-initiés : ces romances qui parlent de motards borderline, ces « motor club » dont seul 1% serait hors-la-loi ou à la limite, mais même si leurs activités sont répréhensibles, de telles romances les présentent généralement comme en marge de la société certes, mais ayant leur propre code de conduite, leur propre système de valeurs fortes (et finalement pas tellement éloignées de nos valeurs idéales), auquel ils ne dérogent jamais. Bref, dès le début j'ai vu le roi Staryk comme un être mystérieux, à mi-chemin entre une version masculine d'Elsa de la Reine des Neiges et l'archétype glacé dans le style de ces bad boys des romances MC 1%, sur son cerf-monstre glacé en lieu et place d'une moto... autant dire qu'il me plaisait beaucoup, et que j'avais très envie de voir son évolution au fur et à mesure de l'histoire, et notamment envers Miryem, qu'il fait prisonnière certes et qu'il semble mépriser, mais qu'il respecte pourtant à sa façon !

Je pourrais encore beaucoup développer mon ressenti sur les personnages, mais on flirte désormais avec le spoil, donc je vais m'abstenir et passer plutôt à un autre aspect de ce roman aussi étonnant que réjouissant : j'ai beaucoup aimé la très belle plume de l'autrice, qui joue donc avec des images très faciles à visualiser (là je me répète), mais aussi avec une ambiance un peu mystérieuse – cette ambiance que l'on retrouve souvent dans les réécritures de contes slaves, d'où la confusion sans doute. Elle n'en reste pas moins toujours agréable à lire et, si la fluidité n'est pas le premier mot qui me vient à l'esprit pour la caractériser, elle est tout à fait abordable.
C'est surtout le choix d'écrire tout ce roman entièrement à la 1re personne du singulier qu'il faut relever. Cela participe, de façon évidente, à l'attachement qui se crée peu à peu pour les héroïnes, même s'il est inégal parmi mes co-lectrices : je pense que Wanda a remporté l'unanimité, suivie de Miryem, tandis qu'Irina partageait davantage. Mais le fait de donner la parole à quelques autres personnages plus secondaires de l'histoire, tout en gardant cette 1re personne du singulier dans un tour de rôle aléatoire, donne à l'ensemble, tour à tour une profondeur particulière, de l'émotion en rafales (notamment quand la parole est au plus jeune frère de Wanda, enfant battu qui en présente toutes les caractéristiques, que l'autrice a rendues avec une justesse et une délicatesse carrément bouleversantes, sans pour autant tomber dans le mélo), et toujours une dynamique indéniable, prenante et je dirais même enivrante ! En outre, l'autrice a réussi ce tour de force de permettre de reconnaître à quel narrateur on a affaire en moins de 2-3 lignes dans la plupart des cas, plus rarement ça pouvait aller jusqu'à 5 lignes (en caractères agrandis sur ma liseuse cela dit), car il y avait chaque fois l'un ou l'autre détail qui indiquait sans risque d'erreur qui avait pris la parole à son tour.

Bref, j'ai passé un tout bon moment de lecture, parfois « déstabilisée » par une lecture commune presque simultanée. En effet, même en déroulant les parties masquées seulement après avoir lus les passages concernés moi-même, la vision des autres m'interpellait peu ou prou, m'influençait au moins en partie, et décidément on ne lit pas de la même façon seule ou ensemble ! Certes ce n'est pas ma première LC, mais c'est la première fois que je ressens cela aussi fort – peut-être à cause du caractère particulier, à la limite de l'onirique, de l'écriture de l'autrice ? Quoi qu'il en soit, ni ma lecture de ce grand et beau roman, ni le fait de le lire ensemble, ne m'ont déçue un seul instant !
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