Pour en savoir un peu plus sur l'auteur :
Regard lucide
L'écriture de
Nuruddin Farah, précise, imagée et chaleureuse, est un régal. L'auteur donne aux quatre chapitres de son roman une tonalité distincte mais l'amour et le don en sont la toile de fond commune. Comment accepter de recevoir sans se sentir redevable ? Comment donner sans attendre en échange de la reconnaissance ou " quelque chose qui corresponde à ce que nous avons offert " ? Telles sont les questions lancinantes qui hantent Duniya et finissent par constituer la problématique réelle de l'écrivain appliquée à la politique, à la religion et aux rapports hommes-femmes.
Nuruddin Farah, s'il n'a plus voix au chapitre dans son pays puisqu'il est exilé depuis 1972 pour raisons politiques, porte, à travers
Dons, un regard aiguisé sur les problèmes de la Somalie et plus généralement des pays d'Afrique et de leurs peuples. " N'avons-nous pas, nous, dans le Tiers-Monde, perdu notre fierté et notre autosuffisance à cause de la soi-disant aide que nous recevons sans discuter du soi-disant Premier-Monde ? " fait-il dire à son héroïne.
La lucidité de l'auteur fait alors entrevoir le cynisme d'une certaine forme de don qu'on nomme " l'aide alimentaire ". Car c'est bien par cette " aide ", véritable atout des dominants, que les pays du Nord s'imposent à ceux du Sud.
Au final, seul l'amour réussit à échapper à cette logique calculatrice. L'amour généreux que Duniya donne à Bosaaso, et inversement. (source : http://www.afrik.com/article5480.html)
Né en 1945 à Baidhabo en Somalie,
Nuruddin Farah a grandi dans l'Ogaden en Éthiopie; il a étudié en Inde et en Angleterre. Premier écrivain somalien à rompre avec la tradition orale, son oeuvre, traduite dans une quinzaine de langues, est considéré comme l'une des plus importantes de l'Afrique contemporaine.
Au cours de sa jeunesse, il a appris le somali, l'amharique, l'arabe, puis l'anglais et l'italien.
Entre 1969 et 1972, il a contribué à la mise en place de la transcription du somali selon l'alphabet latin (le somali n'avait, jusque là, d'existence qu'en tant que langue orale).
Il publie son premier roman, From a Crooked Rib, "
Née de la cote d'Adam", en 1970, un an après la prise de pouvoir par le général Siyad Barre, qui devint ensuite sa bête noire et dont la politique dictatoriale et autocratique servit de toile de fond à sa première trilogie, publiée entre 1979 et 1983.
Après plusieurs années passées à étudier en Inde, en Angleterre et en Italie, il publie, en 1975, un second roman, A Naked Needle, qui lui vaut les foudres du régime et l'oblige à s'exiler définitivement, menacé à mort.
Entre 1975 et 1992, il poursuit une vie d'errance, s'installant tour à tour dans plusieurs pays africains (Kenya, Éthiopie, Gambie, Nigeria) et refusant, comme certains de ses confrères, de s'installer aux États-Unis, où de nombreuses universités l'invitaient pourtant.
Après la chute du dictateur et l'effondrement de l'État somalien, il revint à deux reprises en Somalie, mais toujours en courant de grands risques personnels.
Il a publié deux trilogies romanesques qui constituent, à ce jour, l'essentiel de son oeuvre.
La première comprend les romans Sweet and Sour Milk (1979),
Sardines (1981) et Close Sesame (1983), et évoque les combats d'un groupe clandestin contre la dictature militaire de Siyad Barre.
La deuxième, dont le titre général est Blood in the Sun ("Du sang au soleil"), comprend les romans Maps (1986), Gifts (1992) et
Secrets (1998).
Il est aussi l'auteur d'un essai fondamental sur la diaspora des années 1990 (Yesterday, Tomorrow, 2000), et de plusieurs
pièces de théâtre, jouées mais non publiées. Il a confié en 2003 qu'il ne les ferait paraître qu'une fois qu'elles auraient été jouées à Mogadiscio.
Son oeuvre est l'une des plus importantes de l'Afrique anglophone, et même de la littérature de langue anglaise. Son approche de sujets complexes au travers d'une langue habitée, poétique et refusant les conventions romanesques, lui a valu l'estime de la critique et d'un lectorat de plus en plus nombreux. Ses romans sont traduits dans une quinzaine de langues, et il a obtenu, en 1998, le prestigieux Prix Neustadt.
Son avant-dernier roman publié, Links (2003, édition sud-africaine ; 2004, édition américaine), marque une forme de tournant, dans la mesure où il s'agit d'un récit empruntant ses formes et ses codes au western.
Le plus surprenant, sans doute, est la faible part, dans Links, des voix féminines, toujours essentielles dans l'oeuvre de
Nuruddin Farah, au point même que les éditeurs de son premier roman crurent que l'auteur était réellement, comme la narratrice, une jeune paysanne.
De fait, Nuruddin s'est souvent montré très inventif dans son approche des thèmes couramment abordés par les théoriciens des Gender Studies, allant jusqu'à critiquer, dans Maps, les dérives phallogocentriques du nationalisme à travers la métaphore de la menstruation masculine.
Nuruddin Farah est l'auteur de très nombreux articles. Essayiste et polémiste fin, il adopte un style parfois déconcertant et métaphorique, qui ne l'empêche pas de prendre des positions souvent radicales et ne font pas mystère de ses inimitiés.
Depuis trente ans, cet exilé cosmopolite a trouvé refuge dans la littérature ; il dit se sentir à l'aise dans cette langue anglaise qui lui a offert, semble-t-il, gîte et couvert.
Le second paradoxe tient au fait que cet écrivain sans lecteurs dans son propre pays jouisse d'une réputation internationale non négligeable. le récipiendaire du très convoité Neustadt International Prize for Literature de cette année, délivré par la revue World Literature Today de l'université américaine de l'Oklahoma, est également tenu en haute estime par ses collègues écrivains comme
Salman Rushdie,
Chinua Achebe ou
Nadine Gordimer.
Ce prix bisannuel, décerné seulement depuis 1970, concurrent sérieux du
Prix Nobel (cf. La Quinzaine littéraire, février 1982), récompense pour la première fois un écrivain d'Afrique noire ; et c'est loin d'être une tare, l'unique auteur français distingué restant
Francis Ponge en 1974. A cette occasion,
Nuruddin Farah avait pour parrain le Kenyan Ngugi Wa Thiongo et pour concurrents
Philip Roth, le Haïtien
Frankétienne, la romancière anglaise
Doris Lessing ou les poètes américains
Adrienne Rich ou
John Ashbery pour ne citer que quelques noms.
C'est
Nadine Gordimer qui écrivait justement que
Nuruddin Farah est "l'un des interprètes les plus fins de l'expérience troublée du continent africain" tandis que
Salman Rushdie renchérissait en signalant qu'il est "l'un des plus fins romanciers africains actuels".
Les premiers romans de
Nuruddin Farah sont disponibles en français grâce aux éditions le Serpent à plumes et à 10/18 en France ainsi que Zoé en Suisse.
Dons, son dernier roman paru en France, subtilement traduit par
Jacqueline Bardolph, nous plonge dans un Mogadiscio d'avant la belligérance.
Malgré les pénuries et les coupures d'électricité, les Somaliens se font fort de vivre en toute sérénité. Ils inventent mille stratagèmes pour trouver les denrées les plus élémentaires, du lait en poudre pour les nourrissons à l'essence pour les taxis collectifs.
Mais leurs espoirs, leurs rêves et leur soif de dignité restent intacts : "Contre toute attente, il y avait dans l'air une certaine gaieté. Chacun était prêt à entamer la conversation avec de parfaits inconnus sur n'importe quel sujet, même si la principale préoccupation de tous était la pénurie d'essence et les coupures de courant" (p. 10-11).
En tout cas,
Nuruddin Farah est là pour éviter les écueils du pathos, du misérabilisme et du pauvre-mais-politiquement-correct, autrement dit la position bien confortable de la victime geignante. Toujours, chez
Nuruddin Farah, les êtres gagnent en chair et en profondeur mentale qu'ils écrivent au féminin comme dans certains de ses précédents romans,
Née de la côte d'Adam (Hatier, 1987 ; Serpent à plumes, 2000),
Territoires (Serpent à plumes, 1995) et
Dons ou, gageure non moins exemplaire, qu'il se mette à la place d'un patriarche pieux et asthmatique comme dans
Sésame ferme-toi (Zoé, 1997). Partout, on rencontre la même chaleur, la même compassion et la même ironie à l'endroit de tous ses personnages, des plus odieux aux plus vertueux. (Cette note est en grande partie extraite d'un article d'
Abdourahman A. Wabéri, ami de
Nuruddin Farah et futur préfacier de Une aiguille nue.)
- source : http://www.africultures.com/index.asp?menu=themes&no_rubrique=5