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EAN : 9782268069289
384 pages
Le Serpent à plumes (01/04/2010)
4/5   10 notes
Résumé :
Nuruddin Farah – Exils

Eclatant. Surprenant. Un texte sur l’exil, sur la culpabilité qu’il peut engendre.
Le personnage principal est un homme dans la colère, et la stupeur, qu’exhorte à l’action une ville de chaos.
Douleur de l’exil car il traverse SA ville dans tous les sens, passe les nouvelles frontières souvent invisibles, toutes faites de violence. Il recherche vainement la tombe de sa mère ainsi que le témoin de ses derniers i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Je me replonge régulièrement dans d'anciennes notes de lecture ou d'étude, datant de périodes où je ne publiais pas encore de chroniques sur les réseaux. C'est toujours un bonheur, fait de souvenirs et de redécouvertes, que de les remettre en forme pour les partager.
Exils de Nuruddin Farah, publié en anglais en 2003 (2010 pour la traduction française), raconte le retour en Somalie de Jeebleh, après vingt ans d'exil aux États-Unis : il revient dans son pays divisé et gouverné par la peur pour trouver la tombe de sa mère et venir en aide à son ami d'enfance Bile dont la nièce a été enlevée.
C'est le cinquième roman de cet auteur, reconnu comme l'un des meilleurs écrivains africains contemporains.

Quand j'ai lu ce livre, il y a déjà quelques années, j'avais choisi comme clé de lecture la manière dont Nuruddin Farah s'était approprié L'Enfer de Dante pour le transposer dans son intrigue. Ma relecture n'a pas réussi à me détacher de la réception contemporaine de ce chef d'oeuvre car la Florence du XIVème siècle et la Mogadiscio du XXème ont beaucoup de points communs ; Dante a préfiguré les enfers futurs. Je continue donc à rapprocher le long poème sacré, « cantica » en italien de trente-quatre chants en « terza rima » du XIVème siècle et ce roman écrit en anglais par un écrivain somalien, empruntant ses codes et sa forme au western. En cela, je suis la posture de l'auteur qui cite L'Enfer en épigraphe de chacune des parties de son livre.

Les correspondances entre les deux oeuvres sont nombreuses…
Nurrudin Farah reprend le thème du voyage, l'interrogation sur le sens de la vie et la nécessité de trouver un guide. Dès son arrivée à Mogadiscio, Jeebleh est mis face à toute une représentation non exhaustive du choc mental qui l'attend et de « son besoin désespéré d'un guide pour circuler dans cette ville en plein chaos ». Il revient en Somalie à un moment où le pays vit ses heures les plus tragiques « moins pour réfléchir à sa condition de mortel que pour y chercher la mort ». Là où Dante suivait l'ombre de Virgile, Jeebleh doit faire confiance à l'inquiétant et mystérieux Af-Laaawe, sorte de marabout sorcier ; il se demandera souvent, et le lecteur avec lui, qui il est en réalité. Il aura d'autres guides par la suite : Dajaal, sans doute un ancien haut gradé de l'armée nationale, et Kaahin, un grossier personnage. Enfin, à la fin du roman, il se laissera conduire jusqu'aux fillettes kidnappées par une bande de jeunes voyous armés.
Tandis qu'un événement surnaturel plonge Dante dans « le haut sommeil », un état qui lui permet de passer l'Achéron sans avoir à emprunter la barque de Charon, Jeebleh est drogué à un moment particulier de l'intrique, ne sachant ce qui l'attend.
La Somalie, ruinée par le pouvoir militaire, ressemble à la « cité dolente » de Dante ; il ne faut pas oublier que ce pays fait partie de la zone du continent africain surnommée le « triangle de la mort ». Il y règne un climat de délation et d'espionnage ; chacun se méfie de son voisin. Les valeurs de fraternité, de charité, de compassion n'ont plus cours. La notion même d'unité familiale a été détournée : la référence est devenue avant tout clanique.
Nurrudin Farah reprend le thème de la « gent perdue » ; en Somalie, chacun devient un exilé, d'où peut-être le titre au pluriel du roman dans la traduction française. Dans ce climat de guerre civile, les notions de bien et de mal sont très floues. En revenant à Mogadiscio, Jeebleh va se retrouver dans la posture du visiteur, du voyeur. Il pourra poser un regard neuf, en partie distancié sur l'horreur qui l'entoure et l'analyser du dehors, du point de vue de l'exilé.

Comme dans le poème de Dante, dans Exils, il faut châtier, montrer et nommer les coupables. Nurrudin Farah ne reprend pas la classification exhaustive de Dante et ne propose pas une hiérarchie évidente des fautes. Les épigraphes de chaque partie invitent cependant à une lecture ciblée, mais sur l'ensemble du roman car les parties et les chapitres d'Exils n'ont pas l'étanchéité des cercles et des girons de L'Enfer. Farah va surtout mettre en relief les hérétiques, les hypocrites, les voleurs, les fraudeurs, les fauteurs de troubles et de discorde, les traitres et les usuriers.
L'auteur démontre comment ces fautes entrainent la violence sous toutes ses formes, violence contre son prochain et contre soi-même, violence contre Dieu. Jeebleh se souvient d'une réflexion de son épouse avant son départ : que signifie l'expression « accomplir l'oeuvre de Dieu dans un pays comme la Somalie ? ». Nous pouvons aussi remarquer deux inscriptions intéressantes ; la première est sur une plaque à la porte de l'appartement de Bile : « affranchis-moi du sang, O mon Dieu » ; ce verset est issu du psaume 51, « le Miserere » ou psaume de repentance. La seconde est affichée à l'intérieur de l'appartement : « le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang » et peut provenir de plusieurs livres de la Bible.
L'Enfer et Exils sont avant tout des textes centrés sur le châtiment des coupables. le « contrapasso » est un principe qui fixe la peine frappant les coupables par analogie ou par opposition avec les fautes qu'ils ont commises.
On trouve des exemples de « contrapasso » dans Exils : par exemple, accompagné de son guide Af-Laawe, Jeebleh croise la route d'un mendiant ; il s'agit de Xaar-Cune, un homme qui a été un haut fonctionnaire, un tortionnaire sous les ordres de Caloosha, connu sous le surnom de Bouffe-Merde parce qu'il « prenait un plaisir sadique à priver les prisonnier politiques de nourriture jusqu'à ce qu'ils en arrivent à bouffer de la merde ». Accusé de trahison, il a été à son tour humilié et contraint de manger des excréments et a sombré dans la démence après que sa mère soit morte de chagrin. Jeebleh souhaite ardemment que Caloosha subisse le même sort.
Peu à peu, Jeebleh, comme Dante, va devenir celui qui décide du châtiment. Après de longs développements sur les autres coupables et leurs agissements, le silence autour du châtiment de Caloosha montre par effet de contraste le dégoût de Jeebleh d'avoir dû faire justice par lui-même comme bras armé ou commanditaire du crime et la difficulté pour l'auteur, même dans l'artifice de la fiction romanesque, d'écrire l'impossible à exprimer.

Dans Exils, Nurrudin Farah place l'homme face à son libre arbitre et aux conséquences de ses choix et lui demande comment accepter l'inacceptable sans se perdre.
Le personnage de Jeebleh est une manière pour Nurrudin Farah de se mettre un peu en scène dans son roman. L'auteur a étudié en Inde, en Angleterre et en Italie. Il a appris le somali, l'amharique, l'arabe, puis l'anglais et l'italien. Il a commencé sa carrière comme enseignant à Mogadiscio. le personnage de Jeebleh dans Exils lui ressemble beaucoup : il a étudié à Padoue en Italie, faute d'université en Somalie, avec Bile et Seamus et travaillé sur Dante pour son mémoire. Contrairement à son créateur, Jeebleh a accepté d'aller vivre aux États-Unis comme professeur résident dans une université, loin de l'Afrique, mais il est aussi partagé entre plusieurs cultures
La politique dictatoriale et autocratique du général Mohammed Siyaad Barré sert de toile de fond aux premiers romans de Nurrudin Farah. Il est le premier écrivain somalien à rompre avec la tradition orale. Il écrit en anglais, langue cosmopolite par excellence, des romans mais aussi des essais et des articles.
Dans sa réécriture romanesque de L'Enfer de Dante, Nurrudin Farah joue avec les pronoms personnels comme pour montrer combien Jeebleh se sent étranger dans son propre pays. le titre original, Links, devient tout de suite plus parlant au sens de liens, rapports, connexions ou maillons d'un chaine. le JE ne semble plus distinguer les individus : les JE ne s'agrègent pas en NOUS collectifs et solidaires mais plutôt en ILS qui désignent des groupes et des clans. Les clans annihilent l'individu ; paradoxalement, les liens du sang favorisent une forme d'anonymat dans un « NOUS inclusif ». Cette question des pronoms finit par obséder Jeebleh : le NOUS symbolise pour lui les somaliens pris ensemble en tant qu'individu mais en aucun cas un système clanique quel qu'il puisse être.
Mais en refusant d'adhérer au NOUS qui lui est proposé, Jeebleh s'exclut du groupe et exclut le clan de son univers. Ainsi il se fait l'ennemi du clan et devient un homme à abattre.

Si nous considérons chaque partie d'Exils à la lumière des cercles de L'Enfer de Dante, nous ne pouvons que remarquer la même construction en spirale, en entonnoir ou en pyramide inversée. Mais chez Nurrudin Farah, c'est la réduction textuelle qui donne cette impression et non pas la géographie de la ville ou les évènements relatés. En effet la première partie compte environ cent quatre-vingts pages et couvre trois jours et trois nuits ; la seconde partie ne comporte déjà plus qu'une centaine de pages pour deux nuits et deux jours de récit ; la troisième partie est réduite à soixante pages pour deux jours et une nuit riches en événements puisque Jeebleh retrouve les fillettes enlevées ; enfin, la quatrième partie n'a plus que cinquante pages pour couvrir environ quarante-huit heures consacrées au retour de Raasta dans sa famille et à la mort de Caloosha.
Nous pouvons noter aussi l'importance régressive des guides. Après les hommes de mains, c'est à une troupe d'adolescents que Jeebleh fait confiance…
Enfin, si chaque « cantica » de Dante se termine par le motif de « l'étoile », symbolisant l'espoir, Nurrudin Farah a placé dans son récit le havre de paix métaphorisé par le Refuge, lieu conçu par Bile et son ami Seamus pour accueillir les enfants, les femmes victimes d'abus sexuels, les affamés et les réfugiés fuyant les zones de conflits armés. Au Refuge, on apprend aux enfants « à se regarder droit dans les yeux » et à « oublier toute rancoeur » en prenant le repas traditionnel autour d'une seule assiette pour sept ou huit personnes.
Dans l'Enfer, Béatrice est évoquée comme « une âme » digne de servir de guide à Dante au paradis, puisque Virgile, en son état de païen ne peut y aller. Pour Dante, elle représente l'idéal féminin.
Dans Exils, les voix féminines, pourtant essentielles et toujours très présentes dans l'oeuvre de Nurrudin Farah, se font discrètes. Shanta affirme que « c'est le lot des femmes de rétablir la paix entre les hommes », qu'au contraire des hommes, elles sont « prêtes à des compromis pour avoir la paix », « qu'il est rare qu'une épouse étale sa souffrance comme le ferait son mari », qu'elle ne le fait qu'en dernier recours.
Farah cite Shirin Ramzanali Fazel, somalienne d'origine perse, comme lui contrainte à l'exil et réfugiée en Italie, auteur d'un petit livre en italien, Lontano da Mogadiscio, que Jeebleh aperçoit chez la mère de Raasta ; Jeebleh insiste sur le fait que l'auteure n'est pas membre d'un clan.
Nurrudin Farah rêve d'un pays réconcilié grâce aux femmes ; c'est une Somalie qui n'existe pas encore et que préfigurent les fillettes enlevées. Raasta est un « symbole de paix », elle a « tout pour devenir un mythe » et représente « l'espoir d'une coexistence harmonieuse ». Elle est dotée d'une intelligence exceptionnelle. le personnage de Raasta peut et doit être lu et perçu comme une réminiscence du motif de l'étoile qui termine chaque « cantica » de la Divine Comédie de Dante. Son amie Makka, l'enfant trisomique, « déborde d'amour » ; « prodigue de baisers, de caresses, elle est confiante par nature », a « toujours le sourire » et est aimé de tous. Les deux fillettes sont complémentaires, factrices d'unité : Makka vit dans le présent et ne sait pas d'où elle vient tandis que Raasta a appris très tôt à quel clan elle est rattachée

Je me suis replongée avec infiniment de plaisir dans cette lecture, j'y ai retrouvé naturellement les allusions à Dante, autant les évidentes données en épigraphes que les plus discrètes. C'est un texte sur lequel j'ai beaucoup travaillé il y a déjà quelques années et qui résonne souvent en moi, d'où la longueur de cette chronique…
L'Enfer de Dante, comme réceptacle du mal sous toutes ses formes, annonce les enfers modernes. le recours à Dante est en effet le plus souvent sollicité dans des moments de crise historique. Que peut le poète ou l'écrivain en temps de détresse ? le recours à Dante apparaît comme une réponse. Dante donne un itinéraire individuel et collectif dans les périodes de détresse : l'enfer religieux devient un enfer historique, sécularisé, et les questions que le poète médiéval formulait sur la signification du mal, les châtiments à appliquer aux coupables et l'expression de l'indicible sont reprises avec une terrible actualité par des auteurs comme Nuruddin Farah.
Dans Exils, il évite de tomber dans le pathos et le misérabilisme. Tous ses personnages, des plus odieux au plus vertueux, sont travaillés avec le même talent entre compassion, justesse et ironie. Il traite ici un sujet complexe en s'affranchissant des codes romanesques habituels et revisite le thème universel de l'enfer sur terre.
Un roman exemplaire, à connaître.
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Somalie. Pour la plupart, le nom de ce pays évoque des images de famine, de guerre civile, de miliciens perchés derrière une mitrailleuse à l'arrière d'un pick-up, d'attaques terroristes ou de piraterie. Lorsqu'il y a 25 ans, j'atterrissais à Hargeisa, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Je n'ignorais pas que la capitale du Somaliland était différente de Mogadiscio et que la partie nord du pays vivait dans une paix relative, en dépit de toute absence de reconnaissance internationale. Mais tout de même, j'étais un rien anxieux à l'arrivée. L'aéroport aurait bien mérité l'ancienne appellation de « champ d'aviation ». Lors de l'approche, une longue bande de terre battue se distinguait dans une pâture plus ou moins plane aux extrémités de la ville, tandis que le bureau d'immigration où mon passeport reçut ses tampons « Entry » et « Exit » n'était en réalité qu'une tente militaire kaki au bout de la piste.
Mon séjour de deux trois jours fut pourtant calme et tout à fait pacifique, même si la ville gardait encore quelques marques des combats et destructions de 1991. L'activité commerciale était typique d'une bourgade africaine de taille moyenne : les boutiques avec leurs portes en métal ouvertes, les marchés où se rendent les femmes dans leurs boubous aux couleurs vives, les écoles qui s'équipaient de leurs premiers ordinateurs.
J'ai récemment lu la trilogie du « Past Imperfect (Passé Imparfait) » de l'écrivain somalien Nuruddin Farah, composée de trois tomes « Links », le seul qui soit traduit en français sous le titre « Exils », « Knots (Noeuds) » et Crossbones (Os croisés) ». Même si l'écrivain ne cache rien des drames et de la violence de son pays, les trois romans de Farah ouvrent aussi une fenêtre sur une société somalienne beaucoup plus riche et complexe que les clichés réducteurs véhiculés par les médias.
Dans « Exils », Jeebleh, un universitaire somalien exilé à New-York où il a épousé une américaine, revient, après de nombreuses années, à Mogadiscio suite au décès de sa mère. A son arrivée à l'aéroport, une bande de jeune miliciens désoeuvrés s'amuse à tirer vers une famille embarquant dans un avion. Un jeune garçon meurt. Jeebleh doit apprendre à naviguer cette ville coupée en deux par les factions de deux seigneurs de la guerre rivaux. Il retrouve son ami d'enfance Bileh, qui comme lui a été un prisonnier politique et qui maintenant a la charge d'un refuge pour orphelins et enfants abandonnés. Mais il doit aussi se méfier de Caloosha, demi-frère de Bileh qui est à la tête d'un gang qui trempe dans tous les trafics.
Avec le deuxième volume, « Knots », c'est une jeune femme, Cambara, qui débarque à Mogadiscio de son exil à Toronto pour essayer de récupérer la maison familiale, occupée par un chef de guerre. La ville s'est quelque peu apaisée, mais Cambara doit cependant se faire accompagner d'une escorte armée dans tous ses déplacements. Son protecteur s'appelle Dajaal, un ami de Bileh. Grâce à leur aide et celle d'autres amis, elle écrit une pièce de théâtre qu'elle monte pour un réseau de femmes qui oeuvre pour rétablir la paix.
Le troisième et dernier volet de la trilogie nous amène vers une période plus récente. L'Union des Cours Islamiques fait régner l'ordre dans Mogadiscio, des jeunes Somaliens du Minnesota viennent grossir les rangs des extrémistes Shebab, tandis que plus au Nord, au Puntland, les pirates rançonnent les navires de commerces dans le Golfe d'Aden. Deux frères, Malik et Ahl, arrivent des Etats-Unis. Malik est un journaliste qui rêve d'un reportage sensationnel sur la piraterie moderne. Il est accompagné de son beau-père Jeebleh, qui l'introduit dans un cercle de vieux amis, parmi lesquels Bileh et Cambara, qui, tombés amoureux, vivent ensemble. Sans être mariés, cependant, ce qui leur attire les foudres des cours islamiques. Ahl, lui, est au Puntland où il recherche la trace de Taxliil, le fils de sa femme, un jeune somali recruté par les islamistes de Shebab mais qui pourrait bien se retrouver à bord d'une embarcation de pirates. Il découvre ainsi les liens entre extrémistes et pirates. Il apprend aussi que la piraterie au large des côtes somaliennes trouve son origine dans les réactions violentes des petits pêcheurs locaux face aux bateaux de pêche industriels venant piller en toute illégalité mais parfaite impunité les réserves de poisson du pays.
Couvrant trois périodes différentes de la longue guerre civile dans laquelle la Somalie n'en finit pas de vivre depuis 1991, les trois tomes de la trilogie suivent le même schéma, celui d'un exilé revenant au pays, s'y confrontant avec la violence née des différents avatars du conflit, mais y trouvant pourtant ses racines : Camara y a trouvé l'amour et a choisi d'y vivre, Jeebleh, l'exilé du premier roman, revient à Mogadiscio dans le troisième. Difficile de ne pas voir là, en pointillé, l'ombre de Nuruddin Farah lui-même, auteur exilé depuis des années, mais qui dit « écrire sur son pays pour le garder en vie ».
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Chaque chapitre d'Exils, de Nuruddin Farah, s'ouvre par une citation de L'enfer de Dante. On ne saurait trouver mot plus approprié pour décrire Mogadiscio, capitale d'une Somalie exsangue et en proie à la guerre civile depuis des années : Enfer. Dans cette ville de mort et de désolation, Farah raconte dans une langue claire et réaliste les sensations d'un exilé de retour dans son pays, lui qui est désormais plus américain que somalien, quoique ... Rien n'est sûr, surtout pas les amis d'hier, dans cette jungle urbaine où les seigneurs de guerre règnent en maître (la Somalie n'a plus de gouvernement à proprement parler depuis le début des années 90). le roman de Nuruddin Farah ne vaut pas que pour son aspect documentaire et politique (qui s'intéresse aujourd'hui à la Somalie ?), il est aussi un remarquable thriller, certes chaotique et parfois très sinueux, mais d'une implacable efficacité et passionnant. Et comme toujours chez l'écrivain somalien, ce sont les femmes qui représentent le seul espoir possible pour l'avenir de son pays natal. Même si cet espoir est ténu et fuyant comme une balle traçante dans la nuit.
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Après de nombreuses années d'exil, Jeebleh revient dans son pays, en Somalie, et débarque à Mogadiscio pour quelques jours. Dès son arrivée à l'aéroport, la situation dramatique du pays lui saute aux yeux alors qu'il est témoin du meurtre gratuit d'un enfant de dix ans par une bande de jeunes. Qu'est-il venu faire dans ce pays de misère, de violence et de sang où chaque faux-pas peut être synonyme de mort, lui, qui mène maintenant une vie si tranquille aux États-Unis avec sa femme et sa fille ? Deux objectifs : aider Bile, son ami d'enfance, à retrouver sa nièce kidnappée et se recueillir sur la tombe de sa mère. Ça, c'est la version avouable, l'officielle, celle qu'il sert à ceux qui l'interrogent. Mais, au fond de son coeur, mûrit également un tout autre dessin...

Entrer dans ce roman a été très difficile pour moi et ce, pour plusieurs raisons. D'abord parce que je ne connaissais absolument pas l'histoire de la Somalie ni sa situation politique et sociale. Ce que je savais sur ce pays avant cette lecture pouvait se résumer en quelques mots : pays situé dans la corne de l'Afrique, pauvre, dont les habitants souffrent de la faim et d'une situation politique instable. Un peu maigre comme références, vous en conviendrez.
Ensuite, j'ai très souvent eu l'impression d'avoir sauté des lignes (voire des pages !) tant certains points, apparaissant sans doute comme une évidence pour un non-novice, m'ont paru obscurs (par exemple je n'ai toujours pas compris quelle erreur avait commise Bile, médecin, en aidant sa soeur à accoucher; je n'y vois aucun mal et il est médecin après tout)... de plus, Jeebleh, le narrateur, nous livre ses dialogues, ses rencontres telles qu'il les vit, sans vraiment de liant entre elles, avec des interruptions brutales parfois, ce qui renforce l'impression d'avoir loupé des paragraphes.
Enfin, je n'étais sans doute pas prête à réembarquer dans une lecture si lourde après Paulo Lins qui m'a tout de même laissé quelques séquelles...

Malgré cela, ou à cause de cela pourrais-je dire, j'ai trouvé Exils très intéressant. En effet, au-delà du roman, Nuruddin Farah s'applique à nous donner un très bon aperçu de la situation politique et sociale de son pays : la misère y est évoquée bien sûr mais aussi et surtout la guerre des clans, qui, selon Nuruddin Farah est le vrai fléau de la Somalie. Après une dictature, une guerre civile ayant entraînée une intervention catastrophique des États-Unis (voir la Bataille de Mogadiscio de 1993 qui a inspirée Ridley Scott pour son film La Chute du faucon noir), le pays ne peut se reconstruire tant que les clans existeront, du moins, c'est ce que nous donne à entendre l'auteur. Alors, quelle est la solution : il ne semble malheureusement pas y en avoir pour le moment et le peuple souffre en silence. Tout au long du roman, l'auteur s'attache à nous relater les faits historiques qui expliquent la situation actuelle du pays, ce qui éclaire notre compréhension de son état, c'est très instructif mais très triste également et on se sent bien impuissant à la lecture d'un tel récit.

Accompagner Jeebleh dans ses recherches ne m'a pas laissé indifférente. Face au récit d'un pays où l'amitié n'existe plus "Au bout de quelques jours, vous comprendrez vous-même qu'il n'y a plus ici, ni où que ce soit dans ce pays d'"amis" à qui faire confiance. [...] le concept d'amitié n'existe plus" (Le serpent à plumes - p.46), où personne ne semble être ce qu'il prétend être, où le fusil est le meilleur compagnon de l'homme, où la misère n'épargne personne "Nom de Dieu, que faisait-il dans ce pays plongé dans une désolation telle que même les corbeaux crevaient de faim ?" (Le serpent à plumes - p.165), comment ne pas se sentir impuissante, triste et révoltée ?
Lien : http://loumanolit.canalblog...
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Quatrième de couverture :
"Après vingt ans d'exil à New York, Jeebleh décide de retourner en Somalie, son pays. Au programme: trouver la tombe de sa mère et aider son ami d'enfance Bile à récupérer Raasta, sa fille enlevée. Mais quand il débarque à Mogadiscio, Jeebleh se rend compte que la situation a radicalement empiré.
Les clans ont divisé le pays, les adolescents prennent les gens pour des cibles et les Américains ont la gâchette facile. le tâche de Jeebleh est complexe, d'autant qu'on se méfie de lui. A quel clan appartient-il aujourd'hui?
Dans ce monde chaotique où rien et personne n'est ce qu'il paraît, où chaque mot peut être une bombe, la petite Raasta, nommée la Protégée, représente l'espoir. Ses mots, sa présence sont le seul réconfort de ce peuple de vautours gouverné par la peur."

Des passages pour l'ambiance générale:
"Où était le danger? Qui était un ami, qui était un ennemi? Il avait été habitué à l'arbitraire d'un régime dictatorial où une simple rumeur vous envoie en prison, à une anarchie civile telle que votre vie pouvait dépendre d'un jeune armé d'un fusil pour la simple raison que vous apparteniez à un autre clan que le sien."
"Qui était-il (Af-Laawe) en réalité? Un médiateur de conflit grassement rémunéré par l'Union Européennne? Une escroc de haut vol qui avait planqué son magot dans une banque suisse? Un philanthrope dont l'ONG se chargeait d'enterrer des corps non réclamés? le gardien d'une villa désertée par une famille en ruine?"

Mes impressions :
Suivre Jeebleh dans Mogadiscio aux mains des chefs de guerre nommés Strongman North et Strongman South s'avère une totale découverte des réalités somaliennes et de la vie -ou survie- de tous les jours où la mort rode (et les vautours survolent le tout). Comme lui, on se demande qui est qui, à qui faire confiance. Les réponses ne sont pas vraiment explicitées, des forces cachées sont à l'oeuvre et sans doute à l'origine du dénouement, à nous comme à Jeebleh de deviner. Les dialogues nombreux passent parfois du coq à l'âne ou s'interrompent brusquement, comme dans la vie, d'accord, mais c'est un peu désorientant dans un roman. Ceci étant, on arrive quand même quelque part, en dépit de tous les secrets et les non-dits.
Le titre original est Links (liens), moins parlant qu'Exils pour les lecteurs francophones, bien sûr, mais il gomme les allusions nombreuses au pouvoir de la famille et des clans en Somalie. Au point que Jeebleh s'interroge sur l'emploi des "je", "nous", ils"..."

Une bonne occasion de retrouver Nuruddin Farah dans une Somalie mal en point (la dernière fois, c'était sous une dictature), et d'imaginer à quel point Mogadiscio était une ville superbe.
http://farm1.static.flickr.com/123/366571059_dabe2069a0.jpg "Je n'ai pas de champs cultivés à vous offrir
Ni d'argent, ni d'or!
Le Pays n'est que broussailles.
Si c'est du bois et de la pierre que vous cherchez,
Vous en trouverez en abondance,
Ainsi que des nids de termites.
...
Tout ce que j'ai à vous donner, c'est la guerre
Si c'est la paix que vous voulez, quittez mon pays."
Sayyid Mohammed Abdullah Hasan, poète somalien du début 20ème siècle.
Lien : http://en-lisant-en-voyagean..
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
"Pour quelqu'un comme vous [...], nous sommes tous dingues, des fous furieux. Vous devez penser que nous nous battons pour pas grand-chose. Vous avez envie de nous dire : Regardez, votre pays est en ruine, et vous continuez à vous battre pour rien ! Ceux d'entre nous qui sont restés et qui ont combattu l'envahisseur s'estiment trahis. Nous nous sentons rabaissés quand vous, qui êtes partis, qui avez un bon boulot, une maison avec l'eau courante et l'électricité, qui vivez dans un pays où règne la paix, vous tenez ce genre de propos. Ne vous est-il jamais venu à l'esprit que certains d'entre nous portent un pistolet, à seule fin de se battre et de mourir au non de la justice ?" (Le serpent à plumes - p.43)
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"Qu'il le veuille ou non, il se trouvait dans un pays où les démons ne chôment pas, ils s'y entendaient à mettre de l'huile sur le feu, et à s'assurer que chacun avait bien reçu sa dose de malheur." (Le serpent à plumes - p.284)
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Peut-on aimer une terre que l'on ne reconnaît plus ?
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