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Claire Cahen (Autre)Aude de Saint-Loup (Traducteur)Pierre-Emmanuel Dauzat (Traducteur)
EAN : 9791035402815
Audiolib (11/03/2020)
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3.68/5   563 notes
Résumé :
Le nouveau roman d’Edna O’Brien laisse pantois. S’inspirant de l’histoire des lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, l’auteure irlandaise se glisse dans la peau d’une adolescente nigériane.
Depuis l’irruption d’hommes en armes dans l’enceinte de l’école, on vit avec elle, comme en apnée, le rapt, la traversée de la jungle en camion, l’arrivée dans le camp, les mauvais traitements, et son mariage forcé à un djihadiste – avec pour corollaires le désarroi, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (166) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 563 notes
C'est un camion qui l'emmènera sur les routes tortueuses d'une jungle épaisse. C‘est dans un camp qu'on la retiendra prisonnière, sur le sol boueux d'un enfer qu'elle ne soupçonne pas. Comme 275 autres de ses camarades soumises à la folie des hommes.

Boko Haram, souvenir brûlant d'une actualité terrible, est resté dans les mémoires pour un de ses actes odieux le plus retentissant : l'enlèvement de 276 lycéennes âgées de 12 à 16 ans, dans la nuit du 14 au 15 avril 2014. Avec l'horreur comme mot d'ordre, ce mouvement sectaire d'obédience islamiste enchaînera durant des mois les exactions d'une violence extrême : rapts, massacres ou viols terrorisent les habitants du Nigéria ou du Mali, dont ils font leurs victimes. Dans une volonté djihadiste d'instaurer l'État islamique d'Afrique de l'Ouest, ce groupuscule mortifère signifie « l'éducation occidentale est un péché ». Les établissements scolaires qui n'appliquent pas la charia font donc partie de leurs cibles favorites. C'est celui de Chibok qui créera un émoi international, rassemblé sous la bannière #Bringbackourgirls, « Rendez-nous nos filles ».
Cinq plus tard, alors qu'une centaine d'entre elles sont toujours portées disparues, c'est la célèbre autrice irlandaise Edna O'Brien qui s'empare du sujet, enquêtant sur place pour récolter des témoignages directs et disséquer le calvaire de ces jeunes filles. "Girl" est l'une d'entre elles, personnifiée par le personnage de Maryam.
« Des hommes s'affairaient, la racaille en treillis, des armes partout, des couteaux à la ceinture et leurs braguettes ouvertes. »
De son supplice, rien ne nous sera épargné : violée, violentée, exploitée, "Girl" supporte son corps brisé et son ventre arrondi par les méfaits de ses tortionnaires. Son bébé sera sa boussole de l'espoir, celle qui lui indiquera le chemin vers la liberté. Mais Maryam, adolescente martyrisée, ne connaît pas encore les intégrismes familiaux qui régissent les traditions de son village. Girl est le roman de toutes les oppressions des femmes.
« J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. »
Un roman coup de poing, au rythme haletant, tout aussi terrible que splendide, qu'on lit le souffle coupé.
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« J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j'ai vue, cette première nuit d'effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l'école. »

C'est à cela que l'on reconnaît les grands écrivains : leur capacité à embrasser une vie qui n'est pas la leur, une souffrance qui n'est pas inscrite dans leur chair, sans perdre en acuité ou véracité. Ce que fait là Edna O'Brien est un tour de force : raconter le calvaire d'une lycéenne nigériane enlevée par Boko Haram, son enlèvement, ses viols répétés, son accouchement, sa fuite puis son retour chez elle avec le poids du déshonneur et de la honte, sans que jamais le lecteur ne se sente voyeur ou n'y voit qu'une supercherie littéraire factice.

Edna O'Brien ne prétend pas raconter le drame des lycéennes nigérianes en mode journalistique ( survenu 2014 – médiatisée avec le hashtag #bringbackourgirls ), bien qu'elle ait enquêté sur place, recueillant des dizaines de témoignages. Non, elle se glisse dans la peau d'une rescapée, ses mots en bandoulière pour nous proposer un roman comme un hurlement dans la jungle, un roman furieux, suffoquant. le simple témoignage d'une personne ayant vécu le drame est transcendée par la forme. Récemment, je m'étais plongée dans 19 femmes, les Syriennes racontent, de Samar Yazbeck, tout aussi terrible, mais trop répétitif, trop sec pour aller au-delà de la simple compassion. Avec Girl, on est dans de la littérature dans ce qu'elle a de plus universel et de plus nécessaire.

Je n'avais jamais lu cette auteure et j'ai été très impressionnée par son écriture, notamment lorsque Mariam fuit dans la forêt : le monologue se fait hallucinée avec des envolées quasi fantastiques. C'est très puissant. Tellement sonnée par la magnifique style que, parfois, je suis passée à côté des émotions. La fin m'a cependant cueillie. Les vingt dernières ligne sont sublimes et j'ai pleuré sous cette lumière inattendue dans un récit glaçant qui étreint l'horreur jusqu'à l'os.

Un roman impressionnant sur la résilience et la force des femmes à se relever de l'oppression pour accéder à leur propre liberté. le roman d'une guerrière de 88 ans.
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Je ne note pas ce livre à sa valeur, mais par rapport à mon ressenti.
Il m'a été conseillé par mon libraire et mon amie bibliothécaire.
Il a été encensé par la presse et par les lecteurs de Babelio.
Il est de grands sujets forçant un respect inconditionnel qui s'étend aux romanciers qui les élisent pour thèmes : ce sont ceux qui traitent du viol systématique de toutes les valeurs relatives à la dignité humaine.
L'auteure, âgée aujourd'hui de 89 ans, a pourtant consacré plusieurs années de sa vie, avec honnêteté et persévérance, à l'histoire cruelle et sordide de ces lycéennes nigérianes enlevées par les troupes de Boko Haram afin de servir d'esclaves sexuelles aux soldats combattant pour le djihad.
On peut voir son travail comme un hommage aux souffrances et au courage des victimes. Il y a du vrai dans cette vision des choses.
Mais quelque chose en moi se rebiffait à l'idée de cette lecture universellement recommandée : je n'avais pas envie de m'immerger dans un univers que j'avais déjà l'impression de ne connaître que trop par de nombreux articles et témoignages qui m'avaient considérablement affectée (je ne sais même pas si les hauts faits des hommes me révoltent encore, tant ils sont universaux, récurrents, sortes de potlachs qu'ils s'offrent à eux-mêmes avec les vies et la dignité d'autrui dans la liesse de leurs fêtes exterminatrices, comme s'ils étaient au maximum de leur être dans le sang, la violence ou le sacrifice : non, je ne suis plus qu'atterrée.)
A tel point que je me demande parfois si l'injonction de se tenir informé(e) comme relevant d'une obligation citoyenne et morale est bonne pour la santé et ne contribue pas essentiellement à accentuer la mainmise des médias sur nos vies, nos humeurs, nos comportements, à nous rendre tous sensibles aux mêmes choses au même moment, créant une uniformité morose et triste.
Car tous nous subissons ce flot continuel d'images mortifères de l'agonie de notre prochain, et nous indignons en permanence, mais peu d'entre nous, et c'est bien compréhensible, avons la trempe, comme mère Teresa ou soeur Emmanuelle, de tout laisser là et de courir au secours de nos frères. Nous en sommes donc réduits à remâcher notre impuissance dans un conformisme délétère. Nous courons le risque de peu à peu nous endurcir. Le malheur des autres devient notre pain quotidien, nous vivons avec lui dans une grisaille permanente mais jusqu'ici préservés du pire.
Non que je prône l'ignorance comme souverain bien et cataplasme pour nos nuits tranquilles. Ce serait absurde et tout aussi consternant.
La solution ne consisterait-elle pas en une information moins intrusive, non continue, permettant une implication plus active de chacun ?
Mais je reviens à "Girl".
Je n'avais pas l'envie de lire sous une forme romancée cette affreuse épopée, de me soumettre à l'obligation d'approbation systématique de l'opus dénonçant l'abomination sous sa forme la plus bestiale : car comment avoir le front de ne pas aimer les oeuvres qui ont choisi le camp du Bien ou de les critiquer ?
Je suis comme la mule qui refuse d'avancer ; le chameau qui blatère et conteste (est-ce qu'un chameau conteste ?)

Pourtant j'ai quelques arguments :
Je pense (ou plutôt ressens) par une sorte de respect devant l'horreur vécue, que cette barbarie, cette atteinte à l'humanité, ne se prêtent pas au roman, ou pas encore. Oui, c'est trop tôt pour qu'on s'en empare comme d'un vulgaire fait divers, qu'on l'utilise comme le sujet d'un livre. D'autant qu'il s'agit là d'une récidive et que l'auteur a déjà traité le sujet des crimes contre l'humanité à travers son livre "Les petites chaises rouges" ( Crimes de Sarajevo et Srebenica).
Je pense (ou plutôt ressens) que le malheur avec un M aussi majuscule que possible, est un sujet trop commode : les manifestation de l'horreur ne manquent pas dans l'actualité et il suffit de se baisser pour se servir. Et l'on est presque assuré(e) du consensus autour de l'oeuvre : qui aura le front de critiquer celui, celle qui s'est placé(e) d'office du côté du bien ?
J'attends pour l'évocation des crimes contre l'humanité des témoignages comparables à ceux de Primo Levi ou de Charlotte Delbo qui seuls, en tant que victimes, possèdent la légitimité de narrer l'inénarrable des camps avec les moyens qu'ils ont choisis : sobriété, réserve pudique pour Primo Levi ; sidérant chant poétique célébrant subtilement la vie au milieu de la machine de mort broyeuse d'êtres, pour Charlotte Delbo.
Ce droit à l'expression romancée, Scholastique Mukasonga entre autres, bien que résidant en France au moment du massacre perpétré au Rwanda, le possède aussi, elle dont 37 membres de sa famille furent assassinés en 1994 durant le génocide des Tutsis.
J'attends que des écrivaines, des poétesses nigérianes surgissent, qui expriment ce qu'elles ont vécu avec leurs mots, la fibre unique de leur être : quelques jeunes filles ont déjà témoigné. J'espère que d'autres suivront.
Ce livre ne m'a apporté aucun élément factuel que je ne connaissais déjà. Maryam, l'héroïne fictive imaginée par Edna O'Brien pour représenter toutes les captives de cette secte sanguinaire, est une "femme puissante" selon l'acception de Marie NDiaye , une femme au destin hors du commun et qui résiste, et qui survit. Mais son récit, matériellement irréprochable puisque élaboré par une auteure qui a longuement investigué, et donc véridique , est justement trop accaparé par la description de l'enchaînement inéluctable et prévisible des évènements ; il ne contient pas, précisément parce que Maryam est une héroïne-type, la voix singulière de chacune de ces femmes. L'angle de la narration ne retrace que l'épopée collective. S'il s'agit bien là d'un génocide, chacune eut son propre vécu de la nuit noire en plein jour : il mérite d' être restitué par leur chant personnel, dans toute l'horreur de la solitude intérieure. Le reste appartient à l'histoire.
La folie des hommes, leur barbarie, on en a eu tant de compte-rendus que l'imagination supplée sans peine aux intervalles restés disponibles, et l'imagination ne se trompe guère.
Je dis là ce que je ressens, que nul ne s'en offusque. Ce roman ne m'a pas plu, il était comme une relecture d'une barbarie sans cesse recommencée et déjà connue.
Est-il possible qu'un jour une nigériane nous offre un chant de douleur atroce et de beauté rédemptrice ? Je le souhaite de tout coeur.
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Dans un cri halluciné, une jeune nigériane raconte son calvaire et celui de ses camarades enlevées dans leur classe par le groupe armé djihâdiste réputé être le plus féroce du monde. Des jeunes filles qui pour les quelques survivantes qui échappent à leurs bourreaux sont confrontées à leur retour au village à l'opprobre des leurs.

À presque quatre-vingt-dix ans, parce qu'elle est allée enquêter sur place, au Nigéria, Edna O'Brien réussit à traduire la souffrance assourdissante de très jeunes femmes, victimes d'un combat qui bien sûr les dépasse, mais aussi de traditions qui veulent qu'une fille violée est une fille souillée indigne d'une quelconque considération.
Même s'il se termine sur une note lumineuse, le roman d'un supplice qu'on pense ne plus jamais pouvoir l'oublier.
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Maryam fait partie des lycéennes nigérianes enlevées par Boko Haram en 2014. Emmenée dans un camp loin de son village, elle devient esclave sexuelle avant d'être mariée à un combattant de l'organisation et de tomber enceinte. Lorsqu'elle parvient enfin à s'enfuir, son retour, après un périple dont elle réchappe par miracle, ne se passe pas du tout comme elle s'y attendait : son village a été détruit, nombre de ses proches ont été tués, les survivants la suspectent elle-même de radicalisation, craignent des représailles liées à son évasion, et traitent en paria cette fille désormais objet de honte.


Si Maryam est un personnage fictif, tout est véridique dans ce roman construit sur une longue et sérieuse documentation, à partir de multiples rencontres et témoignages. Le récit, éprouvant, n'épargne rien du calvaire de ces filles. L'indicible est dans chaque page et c'est les dents serrées et le coeur bien accroché qu'il faut traverser l'enfer à leurs côtés.


Aucune n'a pu jusqu'ici s'exprimer. Ce livre leur donne la parole, exposant au grand jour la barbarie terrifiante dont elles sont les victimes, mais aussi, les difficultés de leur reconstruction dans une société où elles n'ont plus leur place : un livre courageux, porté par la belle écriture d'Edna O'Brien, dont l'oeuvre a prouvé son engagement pour la cause des femmes en général. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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critiques presse (6)
LeJournaldeQuebec
02 décembre 2019
Un livre qui nous fait tomber les écailles des yeux et qui nous oblige à regarder en face la réalité de quelques jeunes Nigérianes.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Telerama
23 septembre 2019
La lecture de Girl est une marche chancelante au bord d’un précipice, agitée par deux élans contradictoires. Si éprouvante qu’elle exige des haltes précipitées, pour pouvoir respirer. Si terrifiante qu’elle appelle une course effrénée, pour sortir du cauchemar.
Lire la critique sur le site : Telerama
Bibliobs
20 septembre 2019
Avec « Girl », la doyenne du roman irlandais livre un puissant requiem pour une enfance assassinée.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaPresse
13 septembre 2019
Girl, son 19e roman, est un véritable tour de force : l’écrivaine de 88 ans nous fait vivre la captivité des otages de Boko Haram de l’intérieur. [...] Girl reste un livre très dur qu’on lit le souffle coupé, les larmes aux yeux. L’écriture est efficace, puissante.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeMonde
12 septembre 2019
Un long hurlement dans les ténèbres. Un cri qui vous glace et vous poursuit. Ce cri, c’est celui d’Edna O’Brien – ou plus exactement de son héroïne – dans Girl, bouleversant récit à la fois atroce et magnifique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
12 septembre 2019
L’auteure irlandaise Edna O’Brien raconte la vie brisée d’une jeune Nigériane enlevée par Boko Haram et sa lente reconstruction. Superbe et terrifiant.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Il ouvre un battant des doubles portes. Je vois un monde d'hommes, tant d'hommes, à vélo, conduisant des chèvres, portant des marchandises sur la tête, tous absorbés par une corvée ou une autre et ne me prêtant aucune attention. Oui, j'ai peur d'eux. J'ai peur de ce qu'ils pourraient me faire. J'ai peur d'aller au-delà des confins de ce grand mur.
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Avril 2014. Deux-cent-soixante-seize lycéennes nigérianes sont enlevées par Boko Haram dans l’enceinte de leur établissement. Elles traversent la jungle en camion, terrorisées. Parmi elles, Maryam. Pour elle le camp, les viols, le mariage forcé, l’accouchement, la fuite avec le bébé, enfin le retour à la maison, la honte et le chagrin.
En 2019 Edna O’Brien enquête sur place alors qu’une centaine de jeunes filles n’ont toujours pas été retrouvées. Elle rencontre des rescapées, écoute leur calvaire, prend des notes et donne naissance à Maryam, qui est une mais qui les représente toutes, toutes les captives de la secte.
Maryam subit des viols répétés dans le camp puis est mariée de force à un combattant. De force, oui, mais c’est une sorte de soulagement pour elle. Mieux vaut un que toute une armée. D’ailleurs les autres aussi préfèreraient être choisies. D’esclave sexuelle elle devient épouse puis mère. Le mari n’est pas si cruel au fond. Lui non plus n’a pas eu le choix.
Maryam parvient à s’enfuir avec le bébé. Une sorte de miracle, un coup du sort. S’en suit un périple avec la petite et une camarade qui meurt en chemin. Maryam survit avec l’enfant.
À son retour elle retrouve son village détruit. Son père et ses frères sont morts et les survivants se méfient d’elle, la suspectent, la craignent. Ne serait-elle pas devenue une combattante convertie et radicalisée, rentrée à la maison pour les tuer tous ? Ne vont-ils pas subir les représailles de son évasion ? Et puis que faire de son enfant, fille de bourreau, objet de honte ?
Le bien et le mal se confondent, se trouvent des deux côtés. Rien n’est manichéen. Le retour à la maison n’est pas la fin du calvaire mais le début d’un autre. Les peurs et les croyances des gens de son village ne sont pas plus rassurantes que celles de la secte. Maryam est stigmatisée par les membres de sa propre famille. D’ailleurs les siens lui arrachent son bébé quand la secte le lui avait laissé.
C’est un récit techniquement très propre : la vraisemblance des sentiments est irréprochable. Maryam n’est ni héroïque ni désespérée, elle subit et avance pour survivre au génocide. On retrouve d’ailleurs assez précisément le même état d’esprit que dans les nombreux témoignages consacrés aux camps de concentration : survivre, point. Pas de place aux émotions ou à l’apitoiement sur son sort. C’est une sorte de luxe en quelque sorte, un confort réservé aux gens qui ne sont pas dans une situation tout à fait désespérée. C’est à peine une souffrance sur le moment, c’est un combat. Le temps des pleurs viendra après, au retour. On sent le travail d’investigation premièrement, le sérieux de la documentation, et puis la finesse, la véracité, la plausibilité psychologique.
Le style est brutal, dur, solide. Il est calqué sur le registre du témoignage : un peu froid, distant. Des faits, point. C’est presque académique. Ce que le personnage éprouve, ressent, s’apparente à trois fois rien et c’est bien normal : rester en vie coûte que coûte, trouver de l’eau, de la nourriture, subir en silence. Du sérieux, du robuste, du vraisemblable. Le fruit de trois années de travail autant d’investigation que d’écriture. Et cependant quelque chose en fond me dérange un peu, c’est cette sorte d’opportunisme (d’autres ont écrit « fond de commerce », terme assez exact aussi) même s’il s’agit de « dénoncer » ou « d’informer », cette façon d’aller s’alimenter de réel pour construire un roman plutôt que d’user de son imagination.
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Un matin une soldate a gravi la colline au pas de course. La rumeur avait couru que des filles complotaient de s'enfuir. Elle était chargée de nous mettre en garde. De longues années plus tôt, elle aussi avait été enlevée, avec quatre enfants, et un groupe de mères, elles aussi avec des enfants. Elles avaient été enlevées à leur village en l'absence des hommes. Elles avaient dû marcher à travers la forêt épaisse, sans rien manger que des feuilles et à boire que l'eau des fossés. Chaque nuit, quand leurs ravisseurs dormaient, elles priaient, puis elles ont essayé de s'éclipser, sauf qu'elles ont été vite reprises. Allah avait décrété leur destin. Elles ne pouvaient pas savoir à l'époque à quel point elles s’énamoureraient de leur nouvelle vie, comment la vraie lumière les transformerait.
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Comme le bétail dans son enclos. On nous a regroupées sous le grand arbre, frissonnantes, en silence. On nous avait séparées dès notre arrivée. J’étais dans une cabane avec la femme d’un chef, une mégère, qui me réveillait plusieurs fois dans la nuit et me faisait répéter les prières et les versets qu’elle m’avait appris dans la journée.
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Les mères invitées arrivaient par groupes, la poussière du voyage sur les pieds et leurs habits effilochés. Elles m'ont reconnue tout de suite. Leurs yeux se sont posés sur moi, et j'ai vu ces expressions lâches, toutes cherchant des nouvelles des leurs. Comment leur dire la vérité, que certaines filles était mortes en couches, d'autres sous des bombardements, quelques-unes envoyées dans des camps plus lointains et, le plus déroutant de tout, que certaines avaient choisi de rester dans le camp, où elles étaient reconnaissantes d'avoir au moins un repas par jour.
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