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EAN : 9782848764221
811 pages
Philippe Rey (09/10/2014)
3.71/5   166 notes
Résumé :
En juin 1905, dans la petite communauté anglo-saxonne de Princeton, Annabel Slade est enlevée le jour de son mariage.
Le coupable pourrait être le diable en personne. D'autres événements surnaturels ont lieu dans ce qui fut un havre de paix.
Les victimes qu'ils soient politicien, directeur d'université ou écrivain sont sujettes à des visions maléfiques.
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,71

sur 166 notes
Minuit, dans le jardin du bien et du mal. Deux noirs sont lynchés par des sympathisants à la cagoule blanche. Nous sommes au début de l'année 1905 et le Ku Klux Klan a ses entrées dans le domaine universitaire de Princeton. le lieu de cet épais roman de Joyce Carol Oates, pensionnaire du même collège. Elle connait donc bien les moeurs et son histoire. Et quelle étrange histoire son esprit a fomenté dans les marécages de ses environs. Une histoire de démon et de malédiction centrée autour de la personne de Woodrow Wilson, président de l'Université de Princeton, avant qu'il n'engendre des fonctions bien plus hautes et méritantes.

Mais après tout, deux noirs au bout d'une corde, on s'en balance un peu… Non ? Il y a plus important : la Malédiction ! Une jeune femme, bien sous tous rapports, la fille du pasteur, enlevée lors de son mariage par un « être », plus proche du diable que de l'humain, parait-il, pourtant on a fumé le cigare ensemble le mois dernier, mais je lui ai trouvé un air louche quand même, surtout après le second bourbon pris dans le fauteuil en cuir de la bibliothèque.

Un garçon qui se recueille auprès d'une tombe et qui se transforme lui-même en gargouille de pierre. Un autre respire les pétales d'une fleur de Lys et s'en trouve empoisonné. Les événements s'enchaînent dans le tempo des pages qui défilent. Il faut dire que plus de 800 pages pour décrire ces « Maudits », il faut de la matière…

Alors, du coup, il y a quelques digressions, des pages mêmes, des chapitres entiers. Des trucs qui ne servent à rien dans l'histoire. A lire en option, les esprits du malin diront. Joyce Carol Oates laisse vagabonder son esprit. Des parties inutiles… qui auraient méritées d'être coupées au montage pour en faire un film de 120 minutes au lieu d'une série de 22 épisodes… oui, sauf que toutes ces digressions font de ce roman foisonnant de richesse une atmosphère indéfinissable. Je reste pris dans l'engrenage, et si j'ai envie de bailler, je me sers un double bourbon, et me retrouve à nouveau basculer dans ce monde de ténèbres où les marécages sont illuminés par la face obscure de la lune.

Et sous l'obscurité de la lune, entre pâle et bleue, les rencontres se succèdent au coin d'une rue, dans une taverne aussi bruyante que puante, odeur de marécage, odeur du vice, délice de la vie, vie ouvrière et bourgeoisie bien-pensante. En plus du futur président des États-Unis, je fréquente l'activiste Upton Sinclair, l'un des pères fondateurs du socialisme dans ce pays, je lis les premiers poèmes d'Émilie Dickinson, je découvre un Mark Twain sur une plage des Bermudes et un grand Jack London, grand par son mépris et son ivrognerie. En plus du Diable. de l'élite aux pauvres, des noirs aux femmes, J.C.O tisse la toile sociale des États-Unis en ce début de XXème siècle, un roman d'une incroyable richesse, foisonnante de détails, plus de 800 pages de littérature gothique.
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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« Grandiose » est le terme qui me vient spontanément à l'esprit quand je repense à « Maudits » de Joyce Carol Oates.
En effet, ce roman contient plusieurs romans et donc plusieurs niveaux de lecture (je me suis d'ailleurs sentie impressionnée, durant toute la lecture, à l'idée de rédiger une critique !).

Princeton, 1905. Une jeune femme, Annabel Slade, est enlevée au moment même de ses noces par Axson Mayte, un mystérieux inconnu (qui serait peut-être bien le diable en personne !). Cet incident tragique apparaît être le point d'orgue d'une série d'événements étranges qui se sont produits quelques semaines, jours, auparavant. Josiah Slade, le frère d'Annabel, part à sa recherche désespérément. La retrouvera-t-il ? le récit de l'enlèvement et de la recherche de Josiah est narré par un historien de Princeton, en alternance avec le journal intime d'Adelaide Burr, l'une des dames de la bonne société de la ville.
En parallèle de cette histoire principale, sont également racontés l'affrontement farouche de Woodrow Wilson, le président de l'université, contre son administrateur, ainsi que la vie d'Upton Sinclair, un jeune écrivain socialiste qui tente de connaître le succès par l'écriture d'ouvrage promouvant le socialisme.

Joyce Carol Oates signe donc avec « Maudits » un roman foisonnant, dense, érudit. S'il s'ouvre avec l'histoire d'Annabel Slade, via laquelle l'auteur s'est amusée à utiliser tous les codes du roman gothique, il emprunte également, pour les autres histoires, ceux du roman historique et socialiste, qui lui permettent de critiquer le rigorisme moral de cette société universitaire et aisée de l'époque, ainsi que son racisme et sa misogynie profondément enracinés.

Ces différentes histoires ont leur propre rythme, très rapide pour le roman gothique, plus lent pour le roman historico-socialiste, ce qui crée à mon sens un petit déséquilibre. En effet, si je me suis passionnée pour la séduction, l'enlèvement et la détention d'Annabel, ainsi que pour les conséquences de celui sur son entourage proche (son frère Josiah, sa meilleure amie Wilhelmina Burr ou encore son jeune cousin), j'ai été moins passionnée par les thèses socialistes d'Upton Sinclair.

Il n'empêche néanmoins que cet ouvrage, par la complexité de sa narration, ses différents niveaux de lecture, l'imagination débridée de l'auteur, est un chef d'oeuvre de la littérature américaine. Un grand bravo à la maestria de Joyce Carol Oates.
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Bon, ça y 'est. C'est parti. Je m'attèle enfin à cette chronique. La chronique d'un pavé de 802 pages. Je ne vous cache pas mon appréhension avant de commencer la lecture et cette inquiétude était toujours présente au début du livre pendant les quarante premières pages, où les personnages et le style narratif de l'auteur prêtent à confusion. Et j'ai pris des notes, oui, car c'est dense, complexe mais intense! Une lecture qui n'est pas de tout repos et qui ne laisse pas de marbre.

La première chose qu'il faut savoir c'est que ce livre ne laisse pas le lecteur impassible. Il met en colère, surprend, effraie, émeut. C'est tout ce que l'on demande à un livre, n'est-ce pas ? A travers le regard et la plume vive et intelligente de l'auteur, nous retournons dans un passé trouble. En cela l'oeuvre de Joyce Carol Oates est une oeuvre qui va aux fondements de l'Amérique, qui en prend les racines et les tord et les entortille pour mieux transgresser les codes du roman et nous promener à gauche et à droite sans nous lasser.

Il y a des moments majeurs dans ce roman dont l'efficacité est indéniable et la puissance littéraire incroyable ! Ce que j'ai absolument adoré dans ce roman c'est que l'auteur se joue des codes de la chronique historique. Ce thème si bien utilisé dans des romans du mythe faustien chez Goethe et Thomas Mann que j'ai adoré étudier à la fac !

D'ailleurs le mythe faustien n'est pas bien loin. La tentation du Diable, du pacte avec le Diable, l'incompréhension face à la violence des hommes et l'homme face à ses péchés entrainèrent une lecture de la Bible très exigeante et déviant de sa source originale. Parlons des sources. Joyce Carol Oates est maligne. Elle nous entraîne, à travers l'enquête d'un pseudo historien, au coeur de l'Amérique des années 1900. Avec Woodrow Wilson et consorts à l'université de Princeton. Ce milieu universitaire qui ne se suffit plus à lui-même part à la dérive, à l'image même du Faust de Goethe ou celui de Thomas Mann, qui finissent dans le sectarisme et l'occulte (même si celui de Goethe se termine bien). C'est l'histoire d'une décadence américaine, d'un puritanisme outrancier, d'une religion qui ne regarde pas les "autres", les "différents", les Noirs, les faibles, les femmes, les gens de gauche, les pauvres... C'est l'histoire d'une société qui se délite petit à petit (et aujourd'hui mesdames et messieurs, l'Amérique hérite de Trump !). C'est l'histoire de la folie des hommes qui comme à la Renaissance et au Moyen Âge prêtaient des causes magiques et occultes à l'incompréhensible. "L'indicible" comme Joyce Carol Oates l'écrit.

Les personnages sont effrayants, truculents, drôles, émouvants, bizarres parfois. Elle a l'art de nous les faire adopter immédiatement malgré que la plupart soit des monstres...

On retrouve avec délectation des références gothiques dans la grande veine romanesque de l'Amérique. Des références anglo-saxonnes, telles que "La chute de la maison Usher" d'Edgar Allan Poe, avec ces marais qui entourent la demeure du royaume des Marécages où Todd Slade jouera une partie de Dames magistrale ! Des références au Prométhée grec mais aussi à celui plus moderne de l'oeuvre de Mary Shelley, avec un style narratif semblable de mise en abîme. L'auteur se joue aussi des enquêtes du célèbre détective Sherlock Holmes en le faisant "apparaître" dans ce roman, quel plaisir ! On retrouve des références à Jane Eyre et à son Mr Rochester, lecture de femme pour les femmes à l'époque... mais aussi des thème de la Renaissance: le style narratif de la chronique historique, les thèmes de l'occulte, de la magie noire, du puritanisme (comme autrefois Luther contre le Pape catholique), les thèmes de l'hermétisme et du secret, le thème donc faustien dont j'ai parlé ci-dessus, la question philosophique néo platonicienne de l'essence de l'être et du savoir.

Et puis il y a cette malédiction. Qui traîne et traîne tout au long du livre, emportant avec force et démonstration tous les personnages un par un vers la folie ou la mort. On retrouve des aspects de la société de l'époque qui nous frappent aujourd'hui tant ils paraissent arriérés : le traitement des femmes (quasi toujours hystériques, des objets et des ventres pour enfanter), le fait qu'à cette époque un homme qui enlevait une femme pouvait ruiner sa réputation et celle de sa famille entière (un peu à l'image de ce qui arrive aux Bennet de Jane Austen). Mais ce qu'il y'a de bien dans ce roman c'est qu'il contient l'essence de l'Amérique: si tu tombes tu te relèves et ça n'est pas une "malédiction" qui fera chuter l'élite américaine, non. Tout finira par renaître de ses propres cendres. L'Amérique ou le symbole du phénix.

Le style de l'auteur est parfait, passant du narrateur fictif historien, érudit, au journal intime d'une dame un peu parano, en passant par la correspondance écrite d'autres membres importants de Princeton ou encore dans la retranscription de documents divers et variés, avec les codes de la mise en forme du texte de la transcription des véritables historiens (ça m'a rappelé mes propres études!!). L'esthétique du roman est pour une grande part dans la réussite de cette oeuvre gigantesque.

L'excitation arrive à son paroxysme à la fin du roman. Les derniers "chapitres" sont de véritables "page-turners" et en un tour de main, l'auteur nous emmène là où on ne s'attendait pas à se retrouver!

Ce roman est un chef d'oeuvre. Surtout pour moi qui ai fait des études de littérature et civilisation anglaises et des études d'histoire de la Renaissance, j'ai franchement adoré. Ce qui n'est pas "raisonnable" suscite toujours à travers les âges le mystérieux et la magie, et cela l'auteur l'a très bien retranscrit. Dans ce roman nous sommes en 1900 et des poussières, mais on a vraiment l'impression d'être à la fin du Moyen Âge, dans l'obscurantisme total (vous savez le Ku Klux Klan et compagnie...), avec toujours cette kabbale, cette recherche métaphysique, cette quête inépuisable de l'homme pour atteindre "Dieu" ou plutôt pour être et exister pleinement sur cette Terre cruelle et sauvage.

Lisez !
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J'ai adoré mais même avec du recul, je l'ai lu en juin, je me demande si mon impression est la bonne.
En effet, j'ai tendance à le voir comme une petite fin du monde à échelle locale, nous sommes début 1900 quoi de mieux qu'un changement de siècle pour apporter son lot d'inquiétude quand au futur.D'un côté, il y a l'ancien monde avec ses coutumes, ses conventions, son puritanisme et ses secrets. de l'autre, il y a ce nouveau monde représenté par les jeunes, par un Jack London trés désabusé, un Upton Sinclair plein d'espoir et des jeunes filles qui cherchent à s'émanciper de l'autorité masculine.Tout ce petit monde se retrouve pris dans la tourmente après la disparition d'un des personnages. Ils sont pris d'hallucinations, de visions qui pourraient aussi bien être leur conscience qui les travaille. Quelques uns des plus jeunes vont se retrouver dans un monde intermédiaire apparenté à l'Enfer et en réchapperont. Beaucoup de personnages agés vont disparaitre, laissant la place aux plus jeunes qui vont changer les codes et former un monde plus humain.
Malgré une difficulté à entrer dans l'histoire, une bonne centaine de pages, Joyce Carol Oates fait partie des auteurs que je découvre et que j'ai envie de mieux connaître, j'ai gardé un excellent souvenir de la fille du fossoyeur. Donc si vous êtes ouvert à tout et doté d'une grande curiosité ce livre est pour vous.
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La puissance de Joyce Carol Oates est phénoménale.
A partir de l'université de Princeton entre 1905 et 1906, c'est l'alpha et l'oméga de l'Amérique qui sont dits, voire de l'Occident, du monde. Sortis de ce frêle corps de femme, voilà qui aurait fait sauter sur leurs sièges curules les dignes et affreux messieurs blancs à gros favoris et à gros cigares qui sont, ne leur en déplaisent, l'origine du mal...
Ces gros crétins satisfaits qui décrètent la parole de Dieu, le bien et le mal, le juste et l'injuste, le vertueux et l'immoral, le pur et l'impur, le blanc et le noir...assis sur leur tas d'or obtenu dans le sang des esclaves, des ouvriers...Et qui s'apprêtent à précipiter le XXème siècle dans l'horreur...Puis le XXIème siècle sans doute...
Maudits, ils sont maudits dans ce roman paré de vêtements gothiques.
Le narrateur, historien issu lui-même d'une des grandes familles patriciennes de Princeton, entreprend de relater l'histoire de cette malédiction.
Un démon à différentes formes se promène en ville. Il s'empare de la petite fille du révérend Winslon Slade, des Slade, puissante famille respectant la parole de Dieu entre leur passé d'esclavagistes, leur présent de ségrégationnistes et d'actionnaires des pires usines du pays, des abattoirs où la viande animale se mêle à la chair des ouvriers, horreur dénoncée par un jeune écrivain socialiste, Upton Sinclair.
Puis une forme de folie hallucinogène et paranoïaque s'empare, hommes et femmes, de tous ces princes en leur royaume.
On suit leur destin, on frémit à leurs fautes, à leurs aveuglements, à leurs crimes...Et finalement on a peur pour nous, car c'est aussi écrit pour nous...
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critiques presse (3)
LeFigaro
28 novembre 2014
Maltraités par l'élite de la ville, les pauvres, les Noirs, les femmes sont vengés par le diable dans le dernier roman de Joyce Carol Oates.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Chro
25 novembre 2014
Plus de 800 pages pour raconter la Malédiction de Crosswick, qui afflige Princeton au tournant du XXe siècle. Un roman tentaculaire, fruit de la compilation par un historien maison, W. van Dyck II, de l’ensemble des témoignages d’époque ayant conclu à un épisode d’hystérie collective pour les uns, d’horreur sur fond de « meurtres vampiriques » pour les autres.
Lire la critique sur le site : Chro
LesEchos
15 octobre 2014
Le dernier opus de l'auteure américaine touche au génie, par sa construction, sa puissance narrative et sa charge subversive.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Citations et extraits (139) Voir plus Ajouter une citation
N’écoutant guère sa femme, dont il lui fallait cependant l’oreille attentive, Upton l’entraînait du quai sur le ballast de la voie ferrée, aucun train ne s’annonçant ; et sur les rails luisants et leurs traverses de bois. Il parlait de la fascination que les trains exerçaient sur lui depuis l’enfance : les wagons, les locomotives à vapeur, la vitesse et le romanesque de ces monstres de fer et d’acier – un romanesque que le méprisable J.P. Morgan et son trust du rail cherchaient à exploiter par cupidité. Upton aimait les chemins de fer, il l’avouait, les machines étaient pour lui un pur émerveillement – la splendeur, le vacarme, le joyeux panache de fumée noire, recourbé en arrière ; la « musique mélancolique » de leurs appels dans la nuit ; les sifflets, le fracas des roues, le grondement assourdissant, le merveilleux O de la chaudière en avant de la locomotive.
« Lorsque Jack London et moi nous rencontrerons – et il faut que nous nous rencontrions -, je le bombarderai de questions sur les « vagabonds du rail », car je sais qu’il a mené cette vie-là. Je lui demanderai s‘il a jamais assisté à un accident ferroviaire – un spectacle terrible, dit-on. Tout cela est lié à la Nouvelle Fraternité humaine, conquise sur l’Ancienne Tyrannie, disait Upton avec excitation. Car comment pourrait-il en être autrement dans l’histoire dialectique de la lutte des classes ? La vie est un processus évolutionniste simple et clairement défini, où le fort vainc le faible, puis est vaincu à son tour par plus fort encore ; ce qui peut aboutir à la disparition d’espèces entières. Les anciennes croyances – voulant que Dieu ait « créé » le ciel, la terre et tut ce qui y vit – ont été totalement réfutées par Darwin, Nietzsche et leurs disciples ; nos visionnaires sont aujourd’hui Marx, Kropotkine, Bakounine et… Jack London.
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Dans le même temps, le Dr Wilson n’était guère prêt à se rendre ridicule en considérant de simples femmes comme les égales des hommes, encore moins comme leurs supérieures. Il ne pensait même pas qu’on puisse les prendre sérieusement pour des « citoyennes de la république ».
A Mlle Wilhelmina Burr, qui plaidait en faveur du vote des femmes, il avait un jour répliqué vertement, au grand ravissement de son auditoire (femmes comprises), et suscité l’hilarité générale en déclarant que, bien que catégoriquement opposé à l’octroi du droit de vote aux femmes, il se refusait tout aussi catégoriquement à plaider contre – « Pour la bonne raison qu’il n’y a pas d’argument logique qui tienne. »
« Mais alors, pourquoi y être opposé ? avait demandé Wilhelmina, une rougeur lui montant au visage ; et Woodrow Wilson avait amusé l’assistance en disant : « Je vous l’ai dit, mademoiselle. J’y suis ‘catégoriquement opposé’ – sans autre raison logique que d’y être catégoriquement opposé. »
Plus sérieusement, le Dr Wilson expliqua que, en vérité, il n’était pas opposé au vote des femmes en soi, mais qu’il craignait que cela n’eût l’effet pernicieux de « doubler les voix » dans la plupart des foyers et, par conséquent, de « grossir inutilement un électorat déjà trop nombreux et mal éduqué. » Quant à l’argument des féministes selon lequel, les Nègres de sexe masculin étant autorisé à voter (du moins en théorie, dans certaines régions du pays) depuis la libération des esclaves, il s’ensuivait que ce droit devait être accordé aux femmes, le Dr Wilson le réfutait avec humour : « Deux maux ne sauraient faire un bien, mesdames. »
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- Annabel a très peu parlé du grand changement qui se faisait dans sa vie, mais ses actes, ses gestes, ses soupirs, ses brusques accès de rire nerveux en disaient beaucoup. Il me paraissait évident, pendant nos promenades ou dans les moments tranquilles que nous passions en tête à tête, qu’Annabel n’était – peut-être pas malheureuse – mais manifestement pas heureuse comme elle aurait dû l’être. Je me disais que l’idée d’épouser Dabney, qu’elle ne connaissait pas vraiment très bien, ou le mariage lui-même l’angoissaient – elle menait une existence si protégée. C’est curieux, n’est-ce pas, un homme qui se marie doit feindre de n’avoir aucune « expérience » - une femme qui se marie n’en a absolument aucune – dans notre milieu du moins. Et rien ne doit être dit tout haut.
- Annabel était parfois trop heureuse… le jour de ses fiançailles, par exemple, répliqua lentement Josiah. Elle semblait être tombée amoureuse de l’uniforme de Dabney, ou de l’idée qu’elle se faisait de lui, plutôt que de l’homme lui-même. A moins qu’elle ne soit tombée amoureuse de l’image fantasmée que nous nous faisions d’elle, la plus belles des mariées, la plus obéissantes des filles.
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Héritier de la fortune des Slade, Copplestone avait toujours pris la vie du bon côté : que certains se fatiguent l’esprit à s’interroger sur la nature de Dieu ou la divinité du Christ, à se demander si Dieu est dans ou au-dessus de la nature, ou pourquoi les innocents souffrent alors que le mal est récompensé, lui était incompréhensible. « La différence entre l’ « éternité » et un bock de bière est simple : je peux prendre le bock et boire, tandis que si je devais compter sur l’ « éternité » pour me sustenter – je resterais un bon moment sur ma soif.
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L'atmosphère de la taverne, où l'odeur pénétrante du tabac se mêlait aux relents de corned-beef, consommés à une table voisine, devenait de plus en plus oppressante ; Upton fut pris d'un accès de répulsion pour ces mangeurs de viande qui n'avaient aucune conscience de ce qu'ils mangeaient : ni de sa véritable nature - celle de bêtes terrifiées et souffrantes - ni de sa nature dégradée par l'industrie de conditionnement de la viande. Il passa une main tremblante sur ses yeux et, l'espace d'un instant, sentit de nouveau l'odeur crue, rance, écoeurante et néanmoins étrangement sensuelle des abattoirs où il avait vécu pendant deux mois. L'odeur de sang, d'entrailles, d'excréments, de viande crue et de terreur animale... L'air même tremblait et vibrait de la puanteur d'êtres vivants transformés en simples morceaux de viande ; les hurlements de panique, d'horreur animale ; les yeux exorbités par la terreur de la mort, les langues saillantes... La plainte déchirante de l'univers, avait écrit Upton Sinclair dans son roman ; des cris montant jusqu'au ciel, qui ne prêtait pas la moindre attention à ces souffrances. Et si l'humanité en avait conscience, il lui était facile de composer avec sa culpabilité : ce ne sont que des animaux.
De la même façon, les chrétiens sudistes avaient soutenu que les esclaves noirs n'étaient pas sensibles à la douleur comme l'étaient les Blancs.
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