« La dernière fois que vous voyez quelqu'un sans savoir que ce sera la dernière fois. Et tout ce que vous savez maintenant, si seulement vous l'aviez su alors. Mais vous ne saviez pas, et maintenant il est trop tard. Et vous vous dites Comment aurais-je pu savoir, je ne pouvais pas savoir.
Vous vous dites.
Je raconte ici comment ma mère me manque. Un jour, d'une façon qui ne sera qu'à vous, ce sera aussi votre histoire. »
Ainsi débute ce roman, d'une émotion brute, pure et bouleversante.
Nicole (Nikki) Eaton est une jeune femme de trente ans, journaliste et célibataire (quoique fréquentant un homme « sur le point de » divorcer), rebelle depuis son enfance, se refusant à devenir la petite fille modèle qu'elle aurait pu (dû ?) être. Sa soeur, Clare, est aux antipodes de Nikki : mariée à un entrepreneur issu d'une riche famille, ils ont d
eux enfants et une maison à faire pâlir les plus envi
eux.
Leur mère, Gwen, est une femme foncièrement généreuse, dont l'abnégation envers les autres est exagérée, notamment depuis la mort de son mari quelques années auparavant.
C'est donc à reculons que Nikki se rend chez sa mère pour célébrer la fête des Mères, à laquelle Gwen a convié ses filles mais également ses amis et quelques récentes connaissances (des inconnus?) en ce 9 mai 2004. Théâtre de scènes risibles et incongrues, comme bien souvent, il règne une atmosphère douce-amère lorsque Nikki quitte finalement sa mère « Plus de gens ! Plus de gens! Si je n'arrive pas à être heureuse, je les rendrai heur
euxeux! C'est peut être pour ça. Mais il n'y a que la famille qui compte pour moi, tu comptes pour moi. »
D
eux jours plus tard, aucune nouvelle de Gwen. Ni Clare, ni Nikki. Cette dernière, inquiète, coupable, et effrayée se rend au 43, Deer Creek Drive. À tâtons, elle scrute chaque pièce de la maison et y découvre un terrifiant spectacle : la maison est sens dessus-dessous, tiroirs renversés, vêtements étalés, quelque chose s'est passé... Effarée, sans aucune trace de sa mère, Nikki descend au garage et y découvre le
corps inerte de Gwen.
Ainsi commence la déchéance. L'incompréhension. La culpabilité. Les regrets. Avec
Mère disparue, Oates explore non seulement la relation mère-fille, mais également la réaction de l'une face à la mort de l'autre. Ce roman, très personnel, est non sans me rappeler le fabul
eux «
Nous étions les Mulvaney », dans lequel Oates décrit la complexité et l'ambiguïté des liens familiaux.
Comment réagir face à la mort de son parent, d'un être que l'on considère immortel, dont on n'imagine pas une seule seconde qu'il peut nous quitter?
Connait-on vraiment des parents? Peut on dissocier de cette figure l'homme ou la femme qu'un père ou une mère a été auparavant?
Quels sont les risques à découvrir un passé souvent enfoui ou renié?
« Se poser de telles questions revient à regarder en face le soleil incandescent. Vous savez qu'il est là mais vous ne voyez rien. »
Avec beaucoup de justesse, Oates dévoile un roman d'une intense émotion, et d'une vibrante sensibilité sur la figure intouchable qu'est une mère.
« C'était le destin des mères, de se rappeler. Ce que personne d'autre ne savait, ce dont personne d'autre ne se souciait. Et qui, quand elles disparaissent, disparaissent avec elles. »