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Coup de coeur pour la boue ! ( Mud en anglais )

Avril 1965. Imaginez...une petite fille d'à peine cinq ans, une toute petite fille accrochée à sa poupée en caoutchouc, précipitée par sa propre mère, marginale à moitié folle, dans la boue froide des marais de la Blake Snake River dans les Adirondacks pour se débarrasser d'elle. L'histoire tragique de Mudgirl commence ainsi, aspirée par cette boue qui pénètre dans sa bouche, ses yeux, ses oreilles, l'étouffe, promise à une mort certaine si un homme ne l'avait pas découverte in extremis et sortie de ce cloaque.
Mais...elle a été un rebut sans identité dont même sa mère ne voulait plus. Finalement recueillie par un couple de quakers qui reporte sur elle l'affection qu'ils n'ont pu donner à leur propre fille morte prématurément, elle poursuit des études brillantes et devient la première femme présidente d'une prestigieuse université de l'Ivy League, la désormais célèbre Meredith Neukirchen, dite M.R., professionnelle irréprochable aux idées progressistes, bourreau de travail, qui ne s'accorde que de rares parenthèses dans les bras de son amant astronome peu présent - l'amant ( secret ), facétie de l'auteur qui ne le mentionne que de cette manière, façon originale de le mettre réellement " entre parenthèses ".

Octobre 2002. Meredith a 41 ans et revient dans la région de son enfance pour prononcer un discours à un congrès. Mais on n'échappe pas aisément à son passé surtout s'il est aussi tragique que celui de Mudwoman. Ses souvenirs profondément refoulés l'assaillent, elle commence à perdre imperceptiblement ses repères, fait des cauchemars, tombe...À l'université, elle doit lutter contre la misogynie et l'immobilisme conservateur de ses collègues et souvent adversaires. Elle lutte courageusement comme elle a toujours su le faire depuis son enfance, mais lassitude insidieuse et/ou solitude dévorante, elle commence à perdre pied.

Comment survivre à un tel traumatisme, une telle absence d'amour finalement ?

C'est véritablement le propos de ce roman de Joyce Carol OATES centré sur M.R., Meredith Neukirchen. Un beau portrait de femme, complexe, dont l'analyse psychologique est très aboutie, subtile. J'ai trouvé particulièrement intéressante la descente aux enfers de M.R., l'engrenage des événements et de ses réflexions intimes, comment elle frôle la folie et flirte avec la perte de contrôle : du OATES au top de son art. Une aventure prenante finalement ce roman, un peu à la manière d'un thriller.
Pour mieux appréhender la psychologie de l'héroïne, et ne pas lasser le lecteur avec une trâme linéaire classique, les chapitres consacrés à Mudgirl et à Mudwoman alternent, scandés par des titres sybillins teintés d'humour grinçant " Mudgirl a un nouveau foyer ", " Mudwoman précipitée sur terre ", " Mudgirl accouplée ", " Mudwoman in extremis ". Presque un sommaire de livre pour enfants ! Un comble ! Bien sûr, il ne s'agit pas d'un roman léger, mais OATES, selon moi, dédramatise ainsi ce roman sombre par touches, s'amuse à sa façon. Jusqu'aux citations d'ouverture de roman : Nietzsche, Whitman et un certain André Litovik qui énonce : " le temps terrestre est une façon d'empêcher que tout n'arrive en même temps. " Tiens donc, qui est ce Litovik, me suis-je dis en ouvrant le bouquin, jusqu'à ce que je réalise bien plus tard qu'il s'agit de l'amant ( secret ). Astucieux clin d'oeil pour se citer soi-même Madame OATES !

N'ayant plus rien à prouver, elle brouille les pistes et se permet des facéties de présentation pour le plaisir de ses aficionados.
Je persiste : à quand le prix Nobel de littérature pour cette grande dame de la littérature américaine ?
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Dans les méandres boueux de la Black Snake River, perdue au milieu de l'immensité sauvage des Adirondacks, une petite fille, de la boue dans la bouche, de la boue dans les oreilles, jusqu'à de la boue dans les yeux, gît là, abandonnée avec sa poupée comme morte. Recueillie par une famille dite d'accueil, puis par des « parents » aimants, dans le genre couple de quakers, Mudgirl grandit, s'affranchit, et devient Mudwoman, une femme reconnue mais qui reste solitaire, pas vraiment par choix. Elle devient la première femme présidente d'une université de prestige, reniant pratiquement tout son environnement, sa famille, son passé, son histoire. Même son amant « secret » se fait extrêmement discret. Un corbeau noir dans le jardin l'observe à travers les persiennes de son manoir de fonction. Un cri perçant dans la nuit, un nuage dérive sur la lune, les ombres s'effacent dans le noir de jais d'un ciel sans étoiles.

Meredith Ruth doit lutter contre les préjugés, la misogynie de ses paires, la méfiance du conseil de gouvernance, l'hésitation des généreux donateurs. Fière de ses idées progressistes, voulant remettre en question le conservatisme de cet immense paquebot universitaire pour lequel on lui a octroyé la barre, M.R. ne ménage pas son travail, telle un bourreau, ne flanchant jamais devant la tâche et les obligations. Un congrès la ramène dans sa région d'enfance, ces routes isolées qui serpentent au milieu des Adirondacks, les souvenirs remontent à la surface, le goût de boue en bouche resurgit de sa mémoire. le cri des corbeaux devient menaçant.

Un nouveau portrait de femme, Mudgirl devenu Mudwoman, sous la plume de la prolifique Joyce Carol Oates. Grandeur de la femme, socialement parlant, avant la décadence, la chute irrémédiable tourmentée par les fantômes de son passé. Il a suffi d'une conférence sur les lieux de son enfance pour que l'histoire vire au « thriller » névrosé. Les pages ne se comptent plus. Certaines sont en trop mais elles apportent une ambiance, l'atmosphère des lieux, le cri perçant du corbeau, le roi des corbeaux. Les pages défilent, comme les feuilles mortes sur un campus universitaire livrées au vent. le temps passe, les années circulent, les yeux plongent dans ce roman, dans cet univers qui flirte avec – comme souvent – des instants gothiques.

Toujours aussi noire, cette plume de corbeau.
Toujours aussi sombre, cette histoire glaçante.
Toujours aussi froide, cette boue sombre et noire.
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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Regarde en toi-même et tu y trouveras la lumière...
Difficile de croire cette maxime des Quakers pour une femme dont l'enfance a été jetée dans la boue des marais des Adirondacks, par sa mère de surcroit.
Il lui en a fallu du courage et de la volonté pour s'en sortir ! Recueillie par un couple quaker qui l'a dorlotée mais peut-être mal aimée, elle creuse sa voie intellectuellement et arrive sur les plus hautes marches de l'Université en étant élue première femme présidente.
Mais la boue est tenace et s'est insinuée dans les moindres recoins de son âme, faisant de sa vie privée un ratage complet et empiétant même sur sa vie professionnelle. Meredith Ruth alias M.R. ou ...Jewell ou....Jedina ? pourra-t-elle sortir de ce qui l'englue ?

Joyce Carol Oates, un de mes écrivains préférés, a fait fort avec « Mudwoman » car elle a réussi à m'engluer dans cette atmosphère délétère. Quand la maltraitance sur une enfant atteint ce summum de l'horreur, la folie guette.
Oui, l'intelligence peut sauver, oui, la volonté entraine vers le haut, mais arrive toujours un moment où le passé fétide remonte à la surface et fait des dégâts.
C'est donc très lent, nous entrainant dans une spirale de mort, mort à soi, mort aux autres. Une chronologie bouleversée, un ressassement continuel.
Des cauchemars, des hallucinations, des épisodes véridiques et consternants.
Non, Oates ne nous a rien épargné.
Oui, Oates est encore la reine du roman psychologique, quitte à nous perdre parfois dans les labyrinthes traumatiques.

Affolant. Mais addictif.
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J'abandonne ma lecture un peu avant la 200ième page. Je ne peux plus, je me suis embourbée et enlisée dans l'écriture de Joyce Carol Oates. Trop de détails, trop de réminiscences... Je n'arrive pas à suivre le fil conducteur de l'auteur. Je n'accroche pas et je passe donc à autre chose.
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Jaume Cabre dans Confiteor glisse dans la bouche d'un de ses personnages, écrivain de son état, qu'un bon roman ne se livre à sa lectrice ou son lecteur, qu'après plusieurs lectures. Faut-il appliquer ce principe à Mudwoman de J.C Oates ? Pour moi, ce fut presque le cas...
J'ai lu le roman en apnée mais éprouvé le besoin de le parcourir à nouveau pour détricoter la toile d'araignée dans laquelle je m'étais laissé entraîner par l'auteure. La suivre c'est accepter d'être déstabilisé et d'entrer dans un labyrinthe où l'on se perd, se retrouve pour mieux se perdre ensuite. Présent et passé se mêlent dans un subtil entrelacs au fil des chapitres et parfois dans le même chapitre. Heureusement, n'échappent pas à notre attention les signaux essaimés çà et là et qui sont autant de petits cailloux semés habilement sur notre chemin. Une phrase leitmotiv par exemple scande littéralement tout le roman : "préparée, tu dois être préparée" et crée une sorte de martèlement et de tension dramatique parfois très forte. Idem pour le thème récurrent de la chute décliné sur différents modes et qui là aussi marque des moments forts et déterminants dans le parcours de Mudwoman .
Même jeu du chat et de la souris avec le rêve et la réalité, le rationnel et l'irrationnel. Un événement conté de façon très réaliste dérape soudain vers un rêve souvent cauchemardesque de l'héroïne. Et -cerise sur le gâteau- la réalité est elle-même souvent mise en doute, notamment dans la scène finale narrée de façon à basculer presque dans le fantastique, tant et si bien que l'on se pose la question de sa réalité. Pas étonnant alors que le conte soit si présent dans le roman : il contamine par exemple la réalité au point qu'un événement réel est raconté avec les codes du conte , comme l'épisode du Roi des corbeaux où la trame du conte est utilisée pour raconter le sauvetage de l'héroïne de la boue où l'avait jetée sa mère.
J.C. Oates joue donc beaucoup avec les genres, le changement de perspective, les tonalités. Elle joue aussi avec les limites, nos limites, notamment au niveau de l'intolérable et de l'inacceptable. La scène inaugurale du roman par exemple est glaçante d'horreur puisqu'elle évoque un geste abominable, celui d'une mère en proie à un délire mystique jetant son enfant, l'héroïne principale, dans la boue, au bord de la Black Snake River.
Pourquoi alors, outre le plaisir ambivalent d'être dérangée dans mon confort de lectrice, ai-je beaucoup aimé ce roman ?
Je pense que la première raison est qu'il pose de façon magistrale la problématique suivante : comment survivre à l'horreur et même vivre sans porter constamment un masque, sans jouer le rôle que la société attend de celle qui a été sauvée miraculeusement et qui doit payer son dû. Comment ne plus vivre dans une forme d'imposture qui devient au fil des années insupportable. C'est ce défi que doit relever Mudwoman, sauvée de la boue et de la folie meurtrière de sa mère et devenue Présidente d'Université. C'est sa formidable capacité de résilience que J.C Oates sait si bien mettre en avant et c'est aussi ce qui m'a permis d'accepter toutes les scènes d'horreur très présentes dans les cauchemars de l'héroïne. Pas de complaisance, ni de voyeurisme, simplement une plongée dans les tréfonds tourmentés de la psyché humaine. Mais c'est parfois très éprouvant tout comme l'humour noir dont l'auteure fait souvent usage. Un humour grinçant ravageur, comme dans cette scène onirique où Mudwoman se marie avec un vétéran affreusement mutilé et dont elle décrit avec une précision clinique toutes les blessures. On serre les dents bien sûr, mais en même temps on est confronté de plein fouet avec la folie meurtrière des hommes et de la guerre.
J'aurais pu aussi évoquer d'autres richesses de ce roman mais je m'en voudrais d'abuser plus longuement de l'attention de mes lectrices et de mes lecteurs.
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Un bain de boue, ça vous dit ?
Il paraît que c'est bon pour la peau.
Pour la peau, oui. Mais pour le moral ?
Attention, le bain de boue qui vous est proposé ici a été concocté par Joyce Carol Oates. Celle dont le New York Times écrit : "Oates est un écrivain dangereux au meilleur sens du terme, un écrivain qui prend des risques de manière presque obsessive, avec vigueur et délectation."
Délectation, c'est bien le mot qui convient. On sent toujours dans les romans de Joyce Carol Oates qu'elle prend un plaisir fou à remuer son lecteur, à l'interpeller, à le surprendre, à le bousculer, à le malmener.
Et dans celui-ci, elle se montre exceptionnellement perverse.
Elle nous plonge dès le départ dans une atmosphère glauque et poisseuse. Elle nous embourbe dans son histoire. Et tout au long de l'ouvrage, elle fait naître chez son lecteur de l'inquiétude, de l'indignation, de l'effroi... toute une palette d'émotions.
Comme toujours, lire Joyce Carol Oates, c'est accepter de la suivre dans les méandres de sa pensée, de sa folie ; c'est accepter de s'embarquer pour un voyage qui sera tout sauf ordinaire.

Peut-on surmonter les blessures de son enfance ? Quel adulte devient-on lorsque l'on a subi un traumatisme ? Voilà les questions soulevées par ce livre. Et comme a son habitude, Joyce Carol Oates n'y va pas de main morte pour illustrer sa réflexion.
Comment grandir et devenir adulte quand votre propre mère a tenté de vous tuer, et d'une manière sordide au possible : en vous abandonnant "comme un objet de rebut" dans un marécage dont vous ne pourrez vraisemblablement pas ressortir vivante ?
Comment Mudgirl, petite fille jetée dans cette boue qui l'étouffe et envahit son nez, ses yeux, sa bouche et ses oreilles, va-t-elle grandir et devenir Mudwoman ? Comment Mudwoman peut-elle exercer de très hautes fonctions administratives, qui exigent en permanence concentration et précision alors qu'elle a une personnalité si tourmentée ?
Peut-on échapper à son passé ? Doit-on l'oublier pour avancer ?
Si vous voulez le savoir, lisez ce roman !
Joyce Carol Oates a dressé un portrait de femme saisissant : une femme complexe qui dévoile petit à petit ses multiples facettes et dont on suit avec horreur, (mais avouons-le, délectation !) la descente aux enfers.
Mudwoman regorge d'humour grinçant, déborde d'ironie, vous surprend, vous horrifie et vous ravit à chaque page. Le court chapitre "Mudwoman mariée." est à lui seul un chef-d'oeuvre du genre.
Plongez à votre tour, mais couvrez-vous d'un bon tablier et chaussez vos bottes de caoutchouc pour ne pas vous faire éclabousser par cette boue omniprésente dans le récit : Joyce Carol Oates est à la manoeuvre, plus machiavélique que jamais.
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M.R. Neukirchen est directrice d'université , haute performance dans un milieu machiste au possible. En se rendant à un colloque dans l'est de l'état de New York, son enfance remonte et elle part à la recherche des secrets de sa jeunesse. Car M.R, alias Mudwoman, a été enfouie dans la boue par sa mère avant d'être miraculeusement sauvée.

Roman dérangeant, tant le talent de l'auteure est immense pour nous faire ressentir les moindres soubresauts de l'âme humaine . Ici encore , JCO étudie au scalpel son personnage , la faisant naviguer entre réalité et rêve ou plutôt cauchemars, où l'amènent ses pulsions . C'est indéniablement brillant
Comme le sont les descriptions des relations humaines , que ce soit dans la sphère familiale ou autre.
Le thème de la solitude , ou de la recherche d'amour et celui de la quête de soi, à travers ses origines sont la aussi terriblement bien décrites, avec ce style très personnel qui met un voile d'angoisse sur tout ce que peut écrire cette auteure.
Pour autant, j'ai eu du mal à entrer complètement dans l'histoire , non pas à cause de l'alternance des chapitres entre présent et passé mais plutôt en l'absence d'une histoire que j'aurais aimée peut être plus consistante en 560 pages. Ce n'était bien sur pas le but de l'auteure.
Une lecture qui parfois peut être dérangeante, qui suscite beaucoup d'empathie pour le personnage principal et qui démontre le talent de l'auteure pour coucher sur papier les comportements les plus obscurs de l'être humain.
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Entrez dans les marais des Adirondacks , frissonnez d'horreur face à ce petit corps d'enfant au crâne rasé, précipité dans la boue par sa mère folle, qui croyait à une demande divine...

Mudgirl, fille de la boue, sauvée miraculeusement, devient Merry pour ses parents adoptifs, quackers aimants et généreux. Adulte, après des études brillantes, elle sera M.R , plus exactement Meredith Neukirchen, célèbre et première présidente d'université. Quel parcours!

Son travail l'accapare, d'autant plus qu'elle est perfectionniste. Et il faut lutter contre le conservatisme universitaire et les attaques misogynes. Une place minime est laissée à l'amour...

Son désir de perfection cache en fait une angoisse de perdre le contrôle et c'est à l'occasion d'un voyage sur les lieux de son enfance que tout ce bel édifice du pragmatisme et de la raison va s'écrouler....

J'ai aimé le choix de l'alternance entre Mudgirl, le passé, et Mudwoman, le présent. C'est l'aspect le plus passionnant du livre: l'écart entre les actions du personnage, son aspect raisonnable aux yeux des autres, et le ravage intérieur, la confusion mentale qui la conduisent à l'épuisement et la folie. Les démons de l'enfance vont - ils triompher?

Ce roman pose la question de la résilience, et surtout de ses limites. Après avoir connu un tel traumatisme, comment vivre, vivre et aimer? Tout l'art de cette géniale conteuse est de nous faire pénétrer dans les méandres de l'âme humaine, dans les méandres de la Black Snake, pour retrouver l'acte initial, celui qui a déterminé toute une vie.

Un roman remarquablement construit, puissant, bouleversant. L'un de mes préférés de l'auteur jusqu'à ce jour.

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Mudwoman, ou le roman de la sortie de terrain, d'une boue insidieuse (à prendre à la fois au sens propre comme au figuré), dont on ne se débarrasse jamais tout à fait.

Meredith Ruth Neukirchen, ou « M.R. », comme elle préfère(rait) qu'on l'appelle, première femme présidente d'une université américaine, à la carrière brillante et irréprochable, est en route pour donner un discours au congrès d'une prestigieuse association d'intellectuels, non loin du lieu où elle a grandi. Ce discours aurait dû être un triomphe de plus pour elle si elle l'avait donné, car à peine arrivée à l'hôtel où elle devait séjourner, elle prit la route, attirée par un zone marécageuse située assez loin du congrès... Premier retour à la boue, premier pas vers le précipice qui attend M.R. et dont elle se rapproche inexorablement.

Meredith Ruth… ou bien Jedina ? Ou plutôt Jewell, cette enfant abandonnée de manière sordide par sa mère dans un marais des Adirondacks dont elle a été sauvée miraculeusement car quasiment ensevelie dans la boue, puis adoptée par un couple de quakers qui la rebaptise du nom de leur enfant morte (sans le lui dire) ? Elle-même ne le sait pas, ou ne le sait plus, tant les personnalités se sont accumulées successivement, sans transition, sur la boue originelle.

Beaucoup d'éléments difficiles à charrier, à porter en/avec soi, qui font que M.R., qui ne se sent au final à sa place nulle part, mal-aimée, voire en-dehors de l'amour qu'elle considère comme non fait pour elle, compense par une obsession de la perfection, de la hantise de commettre des erreurs, et construit sa vie comme étrangère à elle-même, comme… morte (« D'une certaine manière elle trouvait étrange ce fait curieux : elle n'était pas (encore) morte », p. 33).

Ainsi, cette obsession de la réussite, alors qu'elle obtient un poste difficile et exigeant, qui l'oblige à défendre à la fois et sa position de femme – la misogynie étant encore très forte dans le milieu universitaire –, et ses idées progressistes – plus discutées alors que le Gouvernement va attaquer l'Irak (le roman se déroule principalement en 2003) –, alliée aux traumatismes non réglés de son enfance qui prennent de plus en plus de place (la boue qui recouvre tout, jusqu'au maquillage qu'elle s'applique maladroitement pour cacher les traces d'une chute due à la fatigue), la plongent peu à peu dans un burning-out… matérialisé par des fantasmes et cauchemars dont on ne sait que difficilement, à la lecture, s'ils sont chimère ou réalité.

Voici donc (pour vous qui vous êtes accrochés dans la lecture de cette critique, bravo !) une introduction laborieuse, mais fidèle (j'espère) à l'ambiance, lente, lourde et embourbée, de l'ouvrage : si on met un peu de temps à entrer dans ce roman et dans la psychologie torturée (tortueuse) de M.R., il vaut ensuite largement le coup par sa passionnante analyse d'une âme en peine de son enfance et d'une identité qui se dérobe sans cesse à elle.
La structure du roman, faite de chapitres courts, portant tous des titres qui font penser à un ouvrage d'aventures pour enfants, et qui contrastent ainsi terriblement avec la noirceur du propos de l'auteur, en est également l'illustration bien pensée.

Bref, un roman magistral, marquant, à lire absolument.

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Une toute petite fille est jetée dans la boue pour y mourir. Un sacrifice à Dieu que consent sa mère qui souffre de sérieux troubles psychiatriques. L'enfant est sauvée in extremis par un simple d'esprit. Soignée à l'hôpital, elle est ensuite confiée à une famille d'accueil.
Des décennies plus tard, M.R. se rend à Ithaca où elle doit donner une conférence. Elle demande à son chauffeur (mais pourquoi s'obstine-t-il à l'appeler madame et non pas M. R. ?) de s'arrêter près d'un pont qui enjambe une rivière.
Arrivée ensuite à son hôtel, très en avance parce qu'elle a toujours peur d'être en retard, elle travaille un moment puis sur un coup de tête loue une voiture et part vers le nord.
La vie de la petite fille, après qu'elle a été sauvée, alterne avec celle de la femme brillante qu'est devenue M.R. le lecteur n'a pas de mal à comprendre ce qui s'est déroulé.

Certaines scènes de Mudwoman sont éprouvantes. On ne sait pas toujours quand elles sont réalistes ou si ce sont des rêves ou une plongée dans la folie. La scène finale vous laisse d'ailleurs le choix entre plusieurs hypothèses.
Je me suis laissée happer par l'atmosphère singulière du livre et par l'histoire de Meredith dont la psychologie est peinte avec finesse.

Lien : https://dequoilire.com/mudwo..
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