Titrer un roman "Viol" annonce d'emblée la lourdeur du contenu.
Mais ce n'est pas tout.
Faire suivre ce mot de l'expression "une histoire d'amour", vous avouerez qu'il faut être un peu pervers... ou sacrément culottée et talentueuse comme l'est
Joyce Carol Oates.
Parce qu'après ce titre coup de poing, il faut que la suite soit à la hauteur.
Et elle l'est, vraiment !
D'emblée,
Joyce Carol Oates m'accroche par une entrée en matière saisissante.
C'est sa marque de fabrique, je ne suis pas étonnée, mais là, c'est vraiment percutant et ça soulève le coeur.
Après une scène de viol particulièrement atroce, le lecteur peut se dit que, tout comme la victime, il a passé le plus difficile. La suite va n'être que compréhension, compassion, aide, gestes et paroles d'humanité. La suite, logiquement, va lui faire du bien, tout comme à la victime.
C'est bien mal connaître
Joyce Carol Oates, c'est bien mal connaître la société qu'elle décrit.
Et c'est là que la lecture devient terrible.
Les rumeurs nauséabondes fleurissent dans la petite ville. Cette Tina un peu marginale n'a-t-elle pas eu ce qu'elle voulait ? "Elle le cherchait, cette garce. Habillée comme une pute." Tina, fatiguée, qui avait eu la malheureuse idée de traverser le parc pour gagner du temps. "Qui sait ce qui se passait dans ce parc en pleine nuit ?"
À partir de là, pour Tina, face à ses agresseurs, ce sera "sa parole contre la leur". Et la parole de Tina ne pèse pas bien lourd, elle ne fait pas partie de l'establishment, elle.
Dans un court récit dans lequel elle s'adresse à la fille de la victime,
Joyce Carol Oates nous entraîne dans le calvaire de Tina et de l'enfant.
Il leur faut subir les ragots, les réflexions malveillantes. Voir les violeurs rouler sous leurs fenêtres, les provoquer en toute impunité. Elles ont peur, la petite fille particulièrement : elle a peur que les coupables reviennent finir leur travail de démolition. Elles doivent subir les horreurs déversées par la presse à sensation, prête à tout pour vendre du papier. Il leur faut subir également le procès, pendant lequel rien ne leur sera épargné. Tout revivre, faire face à un avocat de la défense particulièrement vicieux.
Stop ! Assez ! Cette inversion des rôles est insupportable. Tina et sa fille sont les victimes tout de même !
J'ai lu ce roman avec l'envie permanente d'arriver à la fin. Non parce qu'il ne me plaisait pas et que je voulais vite m'en débarrasser, mais parce que les souffrances de Tina et de sa fille étaient insoutenables et que j'avais envie qu'elles cessent le plus vite possible.
Joyce Carol Oates pousse là un grand cri de colère à la face de la société américaine.
Le viol se déroule le 4 juillet, jour de fête nationale, jour de barbecues entre voisins, jour de grandes réjouissances. Mais cette belle unité de façade cache des dessous nettement moins reluisants. Une société intolérante, qui n'aime pas cette victime pas assez comme il faut. Une société injuste, qui n'accepte pas que la justice fasse son travail, les agresseurs étant des fils de bonne famille.
Joyce Carol Oates dénonce. Avec force. Avec détermination. Avec talent.
Mais les travers qu'elle dénonce sont-ils exclusivement américains ?
La réponse est clairement non, et son livre a une portée universelle. Hélas !
Un court roman d'une intensité incroyable, qui m'a profondément remuée.
La quatrième de couverture parle d'une histoire "racontée avec une éblouissante violence" : c'est tout à fait ça.