La force de
Joyce Carol Oates, outre son indéniable don de créatrice et son incontestable talent de plume, c'est, pour moi, sa capacité à se réinventer en permanence... quitte à se "planter"... ce qui, convenons-en, fait plutôt figure d'exception dans son oeuvre magistrale et variée.
Fi des romans fleuves dépassant largement les 1000 pages de lecture, - Zombi - paraît presque "minuscule" à côté de ce que l'écrivaine nous propose fréquemment.
Que sont en effet pour cette habituée des trails littéraires que 185 pages largement "aérées" et agrémentées de nombreux dessins à l'encre de Chine ?
Rien... a priori...
Mais beaucoup lorsqu'il s'agit d'entrer dans la tête d'un serial killer homosexuel et pédophile, à moins que l'exercice ait consisté à le faire sortir de ses propres entrailles, accoucher d'un de ses propres démons ( s'adresser à monsieur
Freud pour tenter d'en apprendre davantage !), de le faire parler, de lui donner la parole... à moins que ce soit lui qui s'en soit emparé...Et là, je salue l'artiste qui a su ( c'est un de ses nombreux talents ) trouver un verbe, une langue, une syntaxe, un lexique, une grammaire, une ponctuation, un rythme, un souffle tout à fait originaux, voire bluffants, à son personnage.
Le personnage en question est le fils cadet... il a une soeur, Junie, de cinq ans son aînée, proviseure d'un établissement scolaire coté... d'une famille bourgeoise ; des notables nantis qui ont le bras long.
Et il faut posséder un certain pouvoir, avoir les moyens, pour sortir ce fils qui vient d'agresser sexuellement un gamin noir de douze ans, des griffes de la justice.
Une justice qui le condamne à deux ans de prison avec sursis et deux ans de mise à l'épreuve.
La famille qui possède des biens et en l'occurrence un immeuble dont elle loue les studios qui le composent à des étudiants étrangers, donne à Quentin qui s'appelle Q...P, la possibilité de repartir à 31 ans, de zéro, de se refaire, socialement, une "virginité", en travaillant comme gardien de l'immeuble familial, tout en suivant des cours à l'IUT tout proche, espérant faire de leur rejeton un ingénieur en "quelque chose"...
Pour cela, le jeune homme qui a fauté... mais à qui la famille veut offrir l'occasion de se racheter et de préparer son "avenir", compte sur un psy de leurs amis, sur un agent de probation, un groupe de parole et sur l'avocat de la famille, grâce auquel Q...P a bénéficié d'une peine légère.
Ça, ce serait envisageable si Q...P n'en était qu'à sa première "faute", qu'à son premier délit, qu'à sa première agression qu'à sa première victime.
Or, c'est très/trop loin d'être le cas ; et tout le monde est dans l'ignorance.
Il y a déjà d'autres précédents : "YEUX-RAISIN", "PATTES-DE-LAPIN", BALAISE,
SANS-NOM... ÉCUREUIL(?)... d'autres ZOMBIS passés et à venir(?)...
Ce qui obsède Q...P, c'est ce désir permanent, cette pulsion impérieuse de posséder des esclaves sexuels, des ZOMBIS...
Pour ce faire, il a trouvé dans ses lectures, un moyen infaillible : la lobotomie transorbitale.
Comprenez-par là que, substituant au leucotome chirurgical, un pic à glace stérilisé sur la plaque chauffante de sa cuisinière, il se fraie un chemin à travers les orbites de ses cobayes jusqu'aux lobes frontaux de ses victimes, lobes frontaux dont les fibres sectionnées matérialiseront son rêve de zombification de ses sujets.
Et son rêve de zombification, il l'explique ainsi :
"Un ZOMBI ne jugerait pas. Un ZOMBI dirait : "Dieu te bénisse, maître "Il dirait : "Tu es bon, maître. Tu es généreux & miséricordieux." Il dirait : " Encule-moi à me défoncer les boyaux, maître. Il mendierait sa nourriture & il mendierait l'air qu'il respire. Il mendierait la permission d'aller aux toilettes pour ne pas souiller ses vêtements. Il serait toujours respectueux. Jamais il ne rirait ni ne ricanerait ni ne froncerait le nez de dégoût. Il lécherait avec sa langue comme demandé. Il sucerait avec sa bouche comme demandé. Il écarterait ses fesses comme demandé. Il ferait l'ours en peluche comme demandé. Il poserait sa tête sur mon épaule comme un bébé. Ou je poserais ma tête sur son épaule comme un bébé..."
Nul besoin de "psychiatriser". Cette obsession plusieurs fois répétée ( énoncée ) dans le roman, nous dit beaucoup de la psyché de Q...P.
Comme il est de mon habitude, j'essaie autant qu'il m'est possible de ne pas trop dévoiler de l'histoire de cette lecture qui sera peut-être vôtre un jour prochain.
Je tiens cependant à ajouter que, ( c'est un marqueur de l' oeuvre de JCO ), l'histoire de ce serial killer s'inscrit dans un contexte, une époque, un pays, sa sociologie, son histoire, sa culture ses moeurs.
Q...P ne pourrait pas être tout à fait ce qu'il est ni faire tout ce qu'il fait s'il n'était aidé "involontairement" par une famille bourgeoise, qui a pignon sur rue, qui place les apparences en tête des vertus sociales cardinales, et ainsi, à l'insu de son plein gré, par un effet domino, crée les conditions qui permettent à Q...P de vivre sa psychopathologie quasiment dans l'impunité.
C'est amoral ?
Bien évidemment !... à l'image du monde que nous avons créé et auquel nous ne voulons apporter aucune correction.
Une immersion déstabilisante, oppressante, frustrante dans le monde de nos démons.
J'ai néanmoins voulu garder un espoir quant à l'absurde de ce monde, absurde souvent trahi par et pour ce qu'il est.
Q...P a une faille ; il collectionne des "souvenirs" de ses ZOMBIS. Eux et les preuves de leur fin tragique ont disparu. Que deviendront ces "souvenirs" ?...
J'ai aimé.