Sans en faire une obsession, j'essaye de découvrir les auteurs consacrés par le prix Nobel ; c'est ainsi que je suis tombé sur ce livre. Il est longtemps resté au chaud dans une pile, je ne savais même pas qu'il s'agissait de nouvelles.
Pour vous éviter de devoir chercher ailleurs (ce que pourtant vous devriez faire si cet auteur peut vous intéresser), je vous copie la présentation de l'éditeur :
"Les trois nouvelles rassemblées dans ce recueil appartiennent à la première période littéraire de
Kenzaburô Oé. Elles ont pour protagonistes de jeunes ou très jeunes gens confrontés à une situation extrême, exprimée en termes métaphoriques ou réalistes, sexuels, psychologiques ou politiques. C'est dans une morgue, une maison de redressement, une famille en décomposition, un lycée et un groupuscule d'extrême droite que se développe cette violence, sous des formes diverses : la mort, la nausée, la mauvaise foi, la manipulation, la culpabilité règnent et brouillent l'univers mental des jeunes anti-héros".
Ce qui m'a frappé c'est la violence du propos opposée au raffinement de la langue : utiliseriez vous des termes rares et précieux pour décrire une morgue et des cadavres anciens? Comment choisiriez-vous votre vocabulaire et vos tournures de phrase pour évoquer une maison de correction pour adolescents tourmentés par leur culpabilité et leurs hormones? Associeriez-vous le style le plus littéraire à la naissance d'un fasciste monstrueux? C'est, vous l'avez deviné, ce que fait le tout jeune auteur, et je parierais volontiers que c'est ce qui l'a rendu célèbre. (Vérification faite, le pavillon d'or de Mishima a été publié juste un an avant la première de ces nouvelles : Mishima lui aussi célèbre dans une langue fastueuse les troubles des jeunes de cette génération profondément désorientés après le désastre de la guerre).
Je ne suis pas sûr d'avoir aimé ces textes, parce que c'est une lecture perturbante, mais je les ai admirés. Belle maîtrise à 22 ans, pour oser parler de la vie et de la mort, d'amour et d'avortement, de masturbation solitaire ou mutuelle, de la culpabilité ressentie, voire espérée, du trouble éprouvé à la vue d'une blessure ou d'un cadavre d'animal, de la fascination qu'exerce un discours fascisant sur un esprit torturé par le doute... et pour captiver son lecteur! Peut-être ce recueil est-il un catalogue de tout ce que l'adolescence peut avoir de douloureux, voire de morbide, catalogue animé par un tout jeune auteur qui ressemble à un chirurgien de l'âme tourmentée.
En tous cas, une découverte intéressante.