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Critique de Lenocherdeslivres


Kentucky Straight, c'est une série de claques violentes et brutales, comme de fortes lampées de bourbon. Neuf textes, puissants, qui vous prennent à la gorge tant les sentiments y sont forts. Qui vous ravissent, aussi, tant les paysages semblent vivants, emplis d'odeurs, de sons, d'images fascinants. Chris Offutt, en quelques mots, en quelques phrases, campe le décor et y place ses personnages, souvent d'une pauvreté hallucinante, parfois plongés dans une détresse sans fond. Mais pas tous : nombreux sont ceux qui, malgré tous ces handicaps, surnagent avec force, avec brio.
Attention, je divulgâche un peu dans certains commentaires…

« La sciure » : une famille au fond des bois. Un père qui vire dans la folie totale. Un refus local de la culture : il faut se servir de son corps, pas de son cerveau. Pourtant, un jeune garçon, Junior, passe son temps dans les livres. Et il se donne un but : passer le certificat. Se prouver qu'il en est capable. Malgré la jalousie et la haine des autres pour ce type de diplôme, malgré la défiance inspirée par ceux qui tentent de sortir du modèle. Un personnage fort et tellement réaliste. J'étais placé juste à côté de lui, à observer la nature avec ses yeux, à la lire avec sa connaissance des plantes et des animaux ; mais aussi à affronter le regard des autres. Un texte d'ouverture d'une grande efficacité.

« Élévation » : un homme tente d'installer son mobile-home en haut d'une colline, alors que des pluies diluviennes s'abattent sur ce coin d'Amérique. le camion s'embourbe. Il fait appel à un grutier. le drame, brutal, sanglant, montre la rudesse des gens habitant ce coin, leur relation à la mort bien différente de la nôtre. Idem pour la souffrance. le seuil de tolérance est bien plus élevé. Bien plus…

« Ceux qui restent » : Vaughn, un jeune garçon, se promène dans la forêt et croise Lije, un vieil homme qui dit être son grand-père. Mais sa mère lui avait dit qu'il était mort. Mort pour Jésus, en fait. Ce qui est la même chose pour cette mère très croyante. Vaughn va accompagner son grand-père dans son dernier voyage, au milieu des arbres. Une évocation très poétique, mais qui m'a moins touché.

« Mauvaise herbe » : un type effectue des travaux de maçonnerie pour tenter de gagner de quoi vivre. Il a une femme et trois enfants. Mais une maison isolée dans les bois, sans eau courante. Il ne peut même pas se payer ses outils et est obligé de les louer. Pour survivre, il fait pousser du chanvre, activité illégale. Or, un employé vient de repérer ses cultures. Heureusement pour William, il a été mordu par un serpent venimeux. William le sauve, assurant ainsi son silence. Progrès notoire, car ses père ou grand-père auraient sans doute tué le témoin. Rudesse, toujours du coin et de ses habitants.

« Dernier quartier » : une histoire dans une histoire. Un homme, ancien criminel notoire, se met au service de Dieu. Et tente de convaincre un vieillard. Trop tard. Il trouve son cadavre déjà en partie rongé par les vermines. Mais il découvre une cassette audio, sur laquelle le vieillard a raconté une histoire de ses ancêtres. Un ours aurait décapité un bébé. le père veut tuer l'ours et part avec deux frères. Un seul reviendra, car l'autre, blessé lors de l'affrontement contre l'ours, sera tué par le père. Pour lui éviter d'être dévoré vivant par un puma. Sang-froid et froideur. Quand on ne peut rien à son destin, on serre les dents et on agit. Une autre époque, un autre monde. La fin de la nouvelle est un peu trop pleine de pyrotechnie pour moi.

« Le fumoir » : Des hommes se retrouvent pour une partie de carte dans le fumoir de l'un d'entre eux. En pleine montagne, en plein tempête de neige. Dans un froid formidable. Les tempéraments, entiers, amènent des échanges parfois violents. Mais cette nouvelle est presque clémente par rapport aux précédentes. Certes, les personnages sont bruts de décoffrage et ça doit puer atrocement, dans ce fumoir. Mais j'aurais bien aimé y faire un tour.

« Blue Lick River » : Encore une histoire d'enfant qui, si on oublie le style, la poésie et l'humour latents, est atroce. Un gosse semble-t-il assez doué, mais paumé dans un coin d'Amérique isolé de tout, dans une famille encore plus paumée que ce trou. Et de la violence. Et de la crasse. Et de l'ignorance. Difficile de rester insensible.

« Tante Granny Lith » : Encore une histoire de femme qui doit être plus forte, plus endurante que n'importe où ailleurs. Pour survivre, voire vivre dans ce coin, il faut s'accrocher. Et elle l'est, forte, Beth. Qui se choisit un mari et se débrouille pour le garder, malgré l'apparition d'une vieille « sorcière ». Un texte finalement pas si noir.

« Le billard » : Everett ne supporte plus sa vie ; il ne supporte plus la ferme où il habite avec son père ; il ne supporte plus les cochons qu'ils élèvent. Heureusement pour lui, le billard existe. Et il est doué. Et il aime ça. Et il y a aussi sa soeur, Sue, qui est allée avec presque tous les hommes du coin. Et on sent bien qu'Everett regrette un peu d'être son frère. Et il ya surtout l'envie de partir de ce coin sordide, paumé, arriéré.

Chris Offutt, à travers tous ces portraits, offre une vision dure et brutale d'une partie de ce pays si vaste et si attirant. Il sait, en quelques pages, créer une ambiance, faire vivre des personnages attachants, faits de fêlures et de contradictions, parties intégrantes de la nature qu'ils côtoient, mais pressés de la quitter. Une belle lecture, forte, qui donne envie de se plonger dans les romans de l'auteur.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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