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La ville de Blizzard dans le Kentucky est une ancienne cité minière. Ce territoire rural est peuplé de rednecks disséminés dans la campagne. La plupart sont démunis et logent dans des mobil-homes ou des maisons décaties. Tout le monde se connaît dans ces collines ; donnez votre patronyme et votre interlocuteur vous parlera des exploits de votre père ou de votre grand-oncle. Mais cette communauté a des règles qui sont proches de celles d'un village corse ou sicilien : l'omertà et la vendetta. Boyd, le frère de Virgil, a été assassiné. Si les raisons de ce meurtre restent floues, tout le monde – excepté les institutions judiciaires - en connaît l'auteur : Billy Rodale. Et toute la communauté attend de Virgil qu'il venge son frère. Mais le jeune-homme a une existence tout tracée : il doit devenir dans peu de temps chef d'équipe d'un service de collecte des déchets et il doit épouser Abigail. Et comme le lui a soufflé un vieil homme reclus dans les bois : « le problème avec le fait de tuer, (…) c'est que t'as peur d'être tué à ton tour. Souviens-toi juste, quelqu'un va te pister. » L'été s'achève et Virgil se prépare activement à venger son frère. le voilà contraint de bouleverser son destin. Mais il apprendra qu'une malédiction ne s'arrête pas aux frontières d'un Etat.

La nature et les saisons façonnent les principales parties du récit. le Kentucky en été étouffe de chaleur, tout est plus lourd à l'image du poids de l'honneur qui pèse sur les épaules de Virgil. Il y a ensuite la vigueur de l'hiver au Montana où les gens passent la moitié de leur existence à se battre contre les éléments. Ils se cloîtrent dans leur maison et si certains s'en sortent dépressifs ou alcooliques, pour Virgil, l'isolement sera l'opportunité d'une mue. L'été, dans ce même Etat, les vastes forêts s'embrassent dans de gigantesques incendies qui se rapprochent chaque jour symbolisant un danger de plus en plus pressant. Le texte est parsemé de phrases sur les arbres, le gibier. Les personnages sont plus à l'aise dans une forêt qu'en ville et ont appris à vivre à l'écoute de leur environnement.

« le bon frère », c'est l'histoire de Virgil, un jeune-homme honnête et travailleur qui est écrasé par la personnalité charismatique de son défunt frère et par la dette qu'il doit honorer aux yeux de tous. Il est chez lui, au sein de sa communauté, mais il va être contraint de choisir sa vie. La liberté a un prix, il doit quitter sa famille et sa terre. Mais peut-on vraiment fuir son passé et changer d'identité ? L'opossum empaillé offert par le vieux Morgan et que Virgil tentera en vain d'enterrer symbolise ce passé qui finit malgré tout par resurgir.

Chris Offutt dresse aussi un état des lieux des Etats-Unis. Il évoque les «white trash » habitant les zones rurales. Dans ces villages isolés, il n'y a ni emploi, ni commerce, seul le bureau de Poste vivote encore pour quelques années. Virgil est adulte mais il n'est jamais entré dans un centre commercial et n'a encore jamais croisé d'Afro-américain. L'agent administratif qui le reçoit, devinant ses origines, lui parle comme à un enfant. L'auteur évoque aussi un autre type de communauté qui revendique une liberté totale et qui partage l'amour des principes fondamentaux de l'Amérique la religion et les armes à feux. L'ennemi commun, c'est l'Etat fédéral qui saisit les maisons et les armes et restreint les libertés. « le bon frère » a été publié en 1997, quelques années après le siège de Waco au cours duquel le gouvernement américain fera donner un assaut meurtrier contre une communauté religieuse extrémiste.

Un personnage en crise, une nature magnifiée placée au coeur du roman, le portrait d'une Amérique trouble, pas de doute, « le bon frère » a tous les atouts pour intégrer l'écurie Gallmeister. Cette nouvelle édition dans la collection Totem est une belle opportunité pour (re)découvrir un auteur qui peut être comparé à d'autre grands tels que Larry Brown ou Ron Rash.

Je remercie Babelio et les éditions Gallmeister pour l'envoi de ce roman dans le cadre d'une Masse Critique.
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Le bon reuf.

Chris Offutt en a vu du pays, c'est marqué son visage, qu'on dirait buriné par un orang –outang épileptique, et ce vécu se ressent particulièrement dans cette oeuvre.

Il nous sert ici un roman un peu bancal par rapport au reste de sa prod de haut-vol. Nuits Appalaches était d'une attention émouvante et son recueil Kentucky Straight criant de sincérité sans jugement.

Ici on retrouve l'appétence de l'auteur à servir une histoire sur les white trash de l'Amérique profonde qu'il à l'air de connaître sous tous ses travers.

Grosse sensibilité une fois de plus, Chris nous pond un héros attachant à souhait embarqué, brossé avec finesse, embarqué dans une galère irrésistible. Victime d'un destin que les moeurs immuables fondé dans l'entre soi choisissent pour lui. Lui comme d'autres, lié à un combat qui n'est pas le sien

Hé porte le ton fardeau, garçon, car l'opprobre te pend au nez.

Ok ca sent le déjà-vu mais c'est sans compter la maestria du chef du chef Offutt, qui à une large palette narrative et sait assaisonner avec goût les scènes du quotidien entre prolos qui se vannent autour d'un café crado de distributeur, tout en te vendant la nature avec une érudition et une tendresse qui ferait palir n'importe quel elfe qui se mettrait à lire le bouquin.

Mais alors c'est ou c'est-y donc que ca coince ? La mécanique était pourtant rôdée mais le moteur du bouquin après un départ sur les chapeaux de roues, commence à s'essouffler, puis rame franchement sur le deuxième tiers avant de finir fougueusement, ca me rappelle les copains qui finissaient leurs Solex en foutant de l'éther dans le réservoir, pour une ultime perf avant de jeter la brêle après avoir fendu la bise devant les nanas.

Pis y'a aussi ce coté politisé du bouquin qui m'a ennuyé. Qu'est ce que ca vient foutre la Chris ? Moi j'étais bien content avec tes punch-lines du tonnerre et ta plume qui transpire l'amour pour le genre humain et la nature, t'avais pas besoin de ramollir ton bouquin avec ces éléments perturbateurs qui ne s'intègrent pas bien au récit, ca n'a pas comblé les quelques longueurs du milieu et ca m'a pas incité à dévorer ce roman aussi vite que les autres.

Heureusement il me reste un de tes recueils de nouvelles, style dans lequel tu assures le bousin; Et ce n'est pas ce petit mordillement de ligne blanche qui m'empêchera de m'y coller.
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Deux Gallmeister chroniqués aujourd'hui, deux coups de coeur ! Voilà un de mes petits bijoux de l'année, une découverte : celle d'un auteur, d'un univers... Belle claque littéraire !

L'histoire en elle-même me rappelle un de mes films préférés : Les Brasiers de la colère au travers d'une histoire de vendetta, de fraternité dans un coin paumé des Etats-Unis. J'attendais cette sortie avec grande impatience et je peux vous dire que j'ai été servie : c'est un drame d'une grande force narrative, d'une puissance stylistique avec une montée crescendo de la tension du lecteur.

Vous allez peut-être me demander ce que ce livre a de plus que les autres dans le même genre ? Je dirai que Chris Offutt fait partie des plus grands, il est l'héritier des légendes du roman noir, il en est un des membres. Le Bon frère est la quintessence de tout ce que j'aime dans la littérature américaine : il donne autant d'importance au cadre spatio-temporel, à l'histoire et aux personnages. Ils ont tous un rôle à jouer jusqu'au grand final !

Lorsque le nature writing rencontre le roman noir, lorsque le drame rencontre la folie, lorsque le sang appelle le sang : des paysages grandioses sont dépeints sous une plume poétique mais aussi tranchante qu'un couteau (bravo à Freddy Michalski pour la traduction). Virgil est l'antithèse de son frère : c'est un être rangé, calme, serein et qui souhaite par dessus tout vivre une existence paisible en communion avec son environnement. Pourtant un choix terrible va l'amener à sortir de sa léthargie quotidienne : il doit venger la mort de son frère. Un dilemme est au coeur de l'histoire, un dilemme existentiel qui changera la vie de notre héros à jamais.

J'ai eu le coup de coeur pour ce roman car j'ai vécu aux côtés de Virgil, j'ai senti ses hésitations, ses peurs, ses pensées; j'ai vu ces sublimes rivières et ces magnifiques vallons; je me suis plongée dans ce livre en oubliant tout et en vivant l'Amérique grandeur nature. Les éditions Gallmeister ont le pouvoir de publier ces livres qui nous font voyager, qui nous font respirer au rythme des protagonistes et de la nature.

En définitive, la collection Totem a accueilli un nouveau maître du genre en son sein : Chris Offutt et son grand roman Le Bon frère !

P.S. : Cette couverture est juste magnifique, je crois que je n'ai jamais eu autant le coup de coeur pour une couverture ! (Je tenais à le dire ^^)
Lien : http://leatouchbook.blogspot..
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Chris Offutt
Le Bon Frère

QUEL CHOIX
J'ai aimé la suite Lonesome Dove de Larry McMurtry. Mais cela fait quand même quatre ou cinq bouquins, et pas des minces. Je ne me sens plus taillé pour m'embarquer dans de telles veillées. Heureusement que je l'ai lue avant.

Là on n'a que quatre cent pages fois une au lieu de cinq fois six cent. C'est à dire si vous me suivez bien 400 au lieu de 3000. Tout ça pour le même le même plaisir. Y a pas à hésiter.

On retrouve le style facile. Les expressions souriantes. Les descriptions poétiques. Les paysages montagneux ou verdoyants. Les armes, un peu mais elles parlent. Départ du Dixiland, Kentucky-Texas, pour le même Montana. Et des américains réfractaires épris de libertés. Deux épopées, un siècle d'écart, celle ci est en condensé.

Mais vous avez le choix Messieurs Dames. Suivez votre coeur pour un moment de bonheur.




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L'avantage de vivre dans des communautés où tout le monde se connaît, c'est que lorsque vous donnez votre nom à quelqu'un, il peut vous parler de votre arrière-grand-père, des frasques de votre papy, et ainsi de suite…

Inconvénient ? C'est quand les gens n'ont rien de mieux à faire que de s'occuper de vos affaires et de vous dire ce que vous devez faire !

Comme ce fut le cas lors de la mort violente de Boyd, le frère aîné de Virgil : tout le monde sait qui a fait le coup, et tout le monde s'attend à ce que Virgil aille descendre le mec qui a fait ça.

Tout le monde le pousse à le faire, en plus ! de sa mère, en passant par sa soeur, ses collègues, les gens dans la rue, et pire, même le shérif !

Ces gens-là avaient-ils l'idée de ce que cela peut occasionner comme traumatismes de tuer un autre homme ? Ou simplement de savoir que tout le monde attend ça de vous et que personne n'arrive à comprendre que vous n'avez pas envie ?

Personne ne sait que lorsqu'on se venge de quelqu'un, il faut creuser deux tombes ? Une pour lui, une pour vous… La mère avait-elle seulement pensé que si Virgil tuait l'assassin de son frère, elle perdrait son second fils ?

Non, personne n'y avait songé, sans doute… Dans cette partie du Kentucky, dans cette ville paume qu'est Blizzard, les gens pauvres vivent chichement dans les collines, dans des cabanes de rondins ou dans des mobil-home, tout le monde se parle, tout le monde sait tout sur tout le monde et tout le monde s'occupe des affaires des autres.

Voilà un roman qui mêle habillement le roman noir avec tous ces personnages qui vivent dans un contexte social pas facile, le roman politique, parce que nous allons ensuite croiser la route de gens qui pensent que le Gouvernement les espionne, et le nature writing, car dans toute cette misère sociale, dans les fumées des cigarettes et des joints, dans les vapeurs de l'alcool de contrebande, il y a aussi la force de la Nature et le fait de vivre en harmonie avec elle.

Oui, ce roman c'est l'Amérique grandeur nature, avec ses magnifiques paysages et ces gens un peu bas de plafond, des Blancs suprémacistes qui pensent que les autres se sont des macaques (dit texto dans le roman), que le Gouvernement les piste, qui refusent de payer leurs impôts mais n'ont aucun scrupules à utiliser les routes payées par les impôts des autres.

Si j'ai aimé Virgil, sa couardise, ses réflexions, ses peurs, ses questionnements, si j'ai suivi sa vie durant un bon moment, il est des personnages dans le roman avec lesquels j'aurais aimé avoir une conversation et leur expliquer un peu l'Histoire, mais pas sûr qu'ils auraient voulu la comprendre.

Pour certains points, ils n'avaient sans doute pas tort, je sais qu'il existe plus d'argent "numérique" que physique et qui si tout le monde demandait le remboursement de leur $, ce serait impossible, l'argent ne reposant plus sur la valeur or depuis longtemps.

Un roman noir politico-nature-writing sur fond de vengeance non voulue qui prend son temps, qui s'installe à son aise, qui vous pose dans l'environnement et dans la vie de Virgil, qui, comme la nature, va piano, sans rythme fou, avec juste un moment un peu plus chiant, quand Virgil est blessé, sinon, tout le reste (400 pages) se savoure et se digère avec délectation et lenteur.

C'est l'histoire d'un mec qui n'était pas comme son frère, mais qui a sur les épaules l'horrible tâche de le venger, parce que ici, c'est ainsi qu'on fait, et personne ne se soucie de savoir qu'il a collé une tempête dans le crâne de ce pauvre Virgil qui voulait juste vivre en paix.

Le portrait d'une Amérique profonde, où les clivages sont importants, que ce soit par race ou par niveau social, où l'appartenance à un clan ou une famille est importante, où tout le monde peut virer paranoïa, le tout porté par une écriture qui oscille entre la poésie brutale ou le brut poétique.

États-Unis, ton univers impitoyable !

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Qu'en est-il de la liberté individuelle quand l'honneur de la famille est en jeu et qu'en reste-il de cette liberté quand l'honneur a été lavé ?
C''est à cette double injonction qu'est confronté Virgil Caudill, homme modeste et honnête.
Travailleur Virgil aime sa région, .
, son vallon, ses cours d'eau et ses bois épais. Il vit en paix avec les siens jusqu'au jour où son frère, brillant et charismatique, est assassiné.
Dans ce Kentucky rural, enclavé et abandonné, beaucoup vivent dans des mobile homes à l'écart des villes, beaucoup sont illettrés, drogués, chômeurs ou vivant d'aides sociales. Pour eux l'honneur de venger un frère est une affaire personnelle.Virgil devra faire justice lui-même.
À contrecoeur il va faire ce que l'on attend de lui tout en se ménageant une porte de sortie, une fuite vers une autre vie vers l'Ouest. Ses errances le mèneront jusque dans le Montana.
Il vivra reclus, aux abois, solitaire dans ces montagnes abruptes et inhospitalières.
Lorsqu'on vit en marge de la société fatalement on rencontre d'autres marginaux, parfois accueillants, souvent mystérieux et inquiétants. À la recherche d'un sens, ces communautés ne se reconnaissent plus dans l'Amérique qui les a laissées au bord du chemin et qu'ils rejettent.
Que devient la liberté recouvrée dans ce nouvel environnement ? Les menaces sont omniprésentes.
La première partie du roman jusqu'à la fuite et l'installation en Montana est captivante. Pendant le long et rude hiver le héros ressent un coup de mou, le lecteur aussi un peu mais assez vite le récit rebondit et devient à nouveau passionnant. Il se lit comme un roman policier. On a hâte de connaître le fin mot de l'histoire.
Voilà un bon héros positif. Il est austère et a ses faiblesses mais dégage beaucoup d'humanité, de tolérance et d'empathie pour ses contemporains. Une belle rencontre assez rare en littérature.
20 ans avant la vision actuelle d'une Amérique redneck désemparée si souvent présentée, ce roman s'attache avec tendresse aux hillbillies du Kentucky et inquiétude aux marginaux illuminés.
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Une nature encensée et magnifiée dans laquelle on déploie les rapports humains au coeur de ces immensités sauvages pour nouer des tragédies silencieuses qui s'achèveront dans une violence sourde et assumée tout à la fois, en passant des forêts vallonnées du Kentucky aux massifs abrupts du Montana, le Bon Frère de Chris Offutt s'inscrit dans ce fameux courant littéraire de nature writing en décrivant la longue errance d'un personnage enfermé dans cette logique du devoir à accomplir.

Le sang appelle le sang. Tout le monde sait qui a tué Boyd. Mais dans les contrées délaissées des Appalaches où rien ne se règle par le biais des tribunaux, il faudra bien que Virgil fasse le nécessaire pour venger la mort de son frère. C'est en tout cas ce que tout le monde attend de lui, même s'il aspire à une vie tranquille dans ses collines du Kentucky. Mais l'attente est trop forte et personne ne fera en sorte de le dissuader d'accomplir son devoir, bien au contraire. Pourtant, tuer un homme n'est pas une chose aussi simple qu'il y paraît et cette spirale de violence pourrait bien ne jamais s'achever. Il faut donc fuir, traverser les immenses plaines du pays, puis se faire oublier dans les vallées sauvages du Montana pour tenter de panser ses blessures et ses regrets dans la solitude de l'exil.

Sans être trop ostentatoire sur la forme, nous sommes immédiatement saisis par la prose lyrique de Chris Offutt dépeignant les contrées sauvages dans lesquelles évoluent ses personnages. Il y a tout d'abord cette première partie se déroulant dans le Kentucky où l'on perçoit toute l'affection que l'auteur porte à cette région dont il est originaire. Au travers des vallons, des forêts et de cette population locale disséminée, ce sont de somptueuses fresques naturalistes empruntes d'un élan poétique assumé qui nous permettent de nous immerger totalement dans le récit en suivant le quotidien de Virgil. Cette sensation de sérénité va bien évidemment s'estomper au fur et à mesure du périple de Virgil qui devient de plus en plus instable dans cette région du Montana paraissant plus hostile et plus inquiétante dans toute sa magnificence.

Même si les territoires sont immenses, même si certaines contrées sont complètement délaissées, Virgil semble être à la recherche de cette frontière lointaine de l'ouest sauvage dont l'Alaska deviendrait l'ultime incarnation d'une quête de liberté inassouvie. Et pour cause, le paradoxe du roman célébrant l'oubli, la fuite et le renouveau provient du fait que tous les acteurs sont prisonniers de leurs peurs et de leurs devoirs. Pour Virgil, c'est bien évidemment cette nécessité d'accomplir une vengeance dont il ne perçoit pas l'impérieuse nécessité hormis dans le regard de son entourage qui fait pression sur lui. C'est encore plus tangible dans la logique de ces miliciens du Montana qui craignent l'intrusion d'un gouvernement personnifiant désormais cet ennemi invisible contre lequel il va falloir en découdre. Les portraits de ces miliciens sont d'ailleurs saisissants d'humanité avec leurs certitudes de lutter pour le bien commun et de protéger des valeurs qu'eux seuls seraient à même de partager.

Un voyage mélancolique au coeur d'une Amérique rurale dépeinte sans ostracisme sur fond de paysages grandioses avec une belle description sans concession de la ville de Missoula, patrie de ce courant littéraire d'écrivains célébrant la nature et dont fait désormais partie Chris Offutt. Une belle écriture pour une intrigue solide sur le renoncement de l'identité et des racines. le Bon Frère incarne le souffle brut de la poésie naturaliste, allié à la tragédie des grands romans noirs.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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Dans un vallon reculé du Kentucky vivent des familles fixées depuis des générations dont une bonne partie n'est même pas allé à la capitale, Lexington. C'est ainsi que pourrait être décrite cette communauté de blancs pauvres vivotant de l'agriculture, des aides sociales et trempée dans un ennui fatal et dépressif.
Virgil Caudill le personnage principal n'accepte pas tout à fait sa condition mais subit la pression sociale. Son frère Boyd a été tué et, malgré son refus instinctif d'appliquer la loi du Talion, il finit par tuer son agresseur comme l'enjoint la communauté et renonce ains ià une mère aimée et éplorée, une fiancée prometteuse, un travail stable, pour fuir avec une nouvelle identité, vers le Montana plus au nord-ouest.
Là, une deuxième vie commence, sous un climat plus rigoureux, auprès de gens qui ne brillent pas par leur hospitalité. C'est peu dire, lorsqu'il reçoit une balle alors qu'il se promène en montagne. Cet accident va paradoxalement l'intégrer dans cette communauté "les Bills" et révéler une Amérique libertarienne, sectaire, raciste. Il va vivre une expérience ambiguë d'intégration communautaire sur une idéologie qui heurte sa conscience et son intelligence.

Le livre offre une réflexion intéressante sur le choix de nombreux américains de voter pour l'idéologie qu'on qualifierait en France d'extrême-droite, qui a fait élire comme président Donald Trump en 2016 et qui lui a fait contester son adversaire en 2020 Joe Biden.
Mais il faut replonger dans un contexte tout autre, celui de l'assaut à Waco par le pouvoir fédéral contre l'activiste d'extrême-droite Timothy McVeight dans les années 1990.

Premier livre de Chris Offutt, un grand de la littérature américaine de ces 30 dernières années.

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Tout le monde le sait : Billy Rodale a tué Boyd Caudill, le frère de Virgil. Et c'est bien ça le problème. Les gens attendent. A Blizzard, dans ce coin perdu du Kentucky, on ne laisse pas un crime impuni, c'est une question d'honneur. Alors, Virgil se doit d'agir, de venger son frère. Les gens ne parlent pas mais les silences sont lourds de reproches. On sait ce qu'ils ont dans la tête, ce qu'ils veulent. Et puis, il y a la famille : la mère et la soeur Sara. Elles sont gênées. Virgil ne passe pas à l'acte et ça fait six mois que ça traîne, six mois qu'il ne fait rien. « Et on sait tous ici ce que tu fais pas » murmure-t-on à son oreille.
Alors Virgil se met à « envier aux pierres leur existence parfaite. Personne n'attend rien d'elles. » Lui, il doit agir, se convaincre qu'il n'a pas le choix. Mais tuer lui correspond si peu…
Il faut dire, Virgil ne ressemble pas à son frère, vraiment pas. Il aime être tranquille, dans la nature. C'est un contemplatif comme on dit, un taiseux. Il observe les oiseaux, coupe du bois, marche dans les collines, traverse les forêts, pêche et respire. Il connaît tous les coins par coeur, c'est son pays et il y est très attaché. Tout ce qu'il souhaite, c'est vivre dans la cabane en bois de son père et qu'on le laisse tranquille. Il n'est pas un tueur et n'a pas envie d'en devenir un. Supprimer la vie, ce n'est pas pour lui. Ça n'entre pas dans sa philosophie. Et puis, comme il le dit, une fois que c'est fait, c'est fait : « ce n'était pas comme redevenir sobre, il ne pourrait pas arrêter et revenir en arrière. »
Sans compter qu'il a un travail et fréquente une femme qu'il va certainement épouser. D'ici quelques années, il aura même un tas de gamins, c'est sûr ! Son avenir est tout tracé, alors cette histoire de vengeance l'ennuie. Profondément. Finir sa vie en prison, ça n'est pas pour lui, il a d'autres projets. Il veut rester libre…
Son frère, Boyd était très différent : un « fêtard incontrôlable. Il roulait vite, buvait sec, jouait aux cartes et courait les femmes. » Il fascinait ceux qui l'approchaient. Certains disent encore qu' « il fichait la trouille, mais y avait pas d'homme plus aimé dans cette vallée. Et c'est bien ça qui l'a tué, m'est avis. Les hommes voulaient s'en faire un pote et les femmes le voulaient à leur façon. Lui, il était comme la peinture sur une bagnole qu'on vient de repeindre : impossible de résister à l'envie de la rayer d'un coup de tournevis. Les gens voulaient le voir mort et ils le savaient même pas, jusqu'à ce qu'y soit plus là. Il a jamais suivi une seule règle de sa vie. » Un mythe ce frère, quelqu'un qu'on n'oublie pas. Mais de là à devenir un meurtrier, il a beau réfléchir, ça ne passe pas….
C'est pourtant dur de se sentir comme un « tuyau d'arrosage que l'on plie pour étouffer son chagrin. » Ça ronge, ça empêche de vivre… Il faudra prendre une décision, c'est sûr, mais laquelle ?
Le bon frère est un grand texte superbement écrit qui met en scène un homme subissant une véritable « tempête sous un crâne » pour reprendre des termes hugoliens. Il faut choisir entre l'honneur ou la vie, la prison ou la honte. Décision impossible. le bon frère est un homme tragique.
C'est aussi un livre qui nous parle de l'Amérique profonde, une Amérique qui a peur de l'autre, des autres, car ils sont multiples, qui vit armée jusqu'aux dents, persuadée qu'elle est la prochaine victime d'un complot national, voire international qui la laissera exsangue, sans terre, sans racines, perdue.
Des êtres sans repères, en quête d'identité, souffrant dans ce monde moderne où ils ne trouvent plus leur place et revendiquant encore une liberté qui n'est peut-être plus qu'illusion…
Superbe !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Dans la série des romans du "Grand dehors", selon le terme de Michel le Bris, voici une pépite qui vous tiendra en haleine. Une montée en puissance durant les 100 premières pages avant que le récit prenne une véritable ampleur pour se terminer en feu d'artifice.
Mais revenons à l'ouverture. Offutt nous propose une utile mise en bouche : le héros (anti-héros plutôt) vengera-t-il le meurtre de son frère ? Tout son entourage - proches et même vagues connaissances- le pousse à passer à l'acte, jusqu'au shérif du trou perdu du Kentucky où se passe l'action qui lui promet de torpiller l'éventuelle enquête. Ce frère disparu pour qui la petite communauté réclame vengeance est un être instable et lumineux, dévoyé et apprécié dont les excès expliquent la mort violente dont il fut la victime.
Virgile, d'abord velléitaire et tourmenté, s'interroge. Déjà il ne parvient pas à se décider à épouser Abigail qui n'attend que ça. Solitaire dans l'âme, il "aurait aimé pouvoir vivre sur la lune dans la vieille cabane en rondins de son père".
Mais soudain, il franchit le pas, non sans avoir préparé sa seconde vie, celle d'un fugitif qui s'installe avec une nouvelle identité dans un état lointain, le Montana.
Cet exil va connaître de multiples événements parfois douloureux qui vont porter le récit à ébullition.
Offutt met alors toute son énergie narrative au service d'une intrigue explosive qui laisse pantois et dépeint à merveille ce milieu renfermé des petits blancs des zones rurales de l'Ouest, en révolte contre l'État fédéral.
Dans le club des écrivains américains des grands espaces, Chris Offutt a réussi là (c'est son premier roman) une entrée tonitruante. On sait que la suite a confirmé ce grand talent.
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