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Critique de latina


Imaginez un monde où tout à coup, vous vous réveillez le matin, l'air est ‘plus rugueux', et des objets ont disparu. Les parfums, ou les roses, les oiseaux ou encore...quelle horreur ! les livres.

Eh bien, c'est ce qu'il se passe dans cette histoire inventée par la japonaise Yôko Ogawa. Histoire très bizarre, parce qu'il m'a fallu du temps pour comprendre, (enfin, c'est un grand mot !) ces « disparitions ». Est-ce à dire que les objets se volatilisent tout à coup ? Non ! En fait, les habitants de cette île, soudainement, ne ressentent plus rien face à ces choses. Et ils se sentent donc obligés de s'en débarrasser en les brûlant, en les jetant à l'eau...
Cela donne lieu donc à de grands autodafés, en ce qui concerne les livres notamment.
Manifestement, la majorité de la population se coule dans ce moule, y compris l'héroïne, qui est romancière ( !).
Mais certains refusent ! Et ils sont donc poursuivis et traqués par la police secrète : nous voici dans une allégorie d'un régime totalitaire. Si l'héroïne se laisse faire, obéit, elle n'en cache pas moins son éditeur chez elle, dans une chambre secrète.
Et les disparitions continuent, régulièrement...

Ce livre fait réfléchir, je ne peux dire qu'il soit extrêmement captivant, mais il met mal à l'aise.
D'abord, je me suis demandé comment je réagirais dans un régime pareil, où la population doit cesser de vivre par rapport au passé, sinon le souvenir des jours heureux la hanterait et la pousserait à se rebeller ; un régime totalitaire aussi marqué par la grisaille (ah oui, le printemps, aussi, a disparu ! ) et la difficulté de se débrouiller au quotidien.

Et puis on s'interroge sur la permanence des souvenirs, et donc sur la permanence du coeur. Si les souvenirs disparaissent, si toutes les choses auxquelles on tient s'en vont, parce qu'on est obligé de s'en débarrasser, est-ce qu'on en est moins humain ? La narratrice est perpétuellement angoissée par cette question. En voici d'ailleurs un extrait, lors d'un dialogue avec son éditeur, qui lui, refuse de se séparer des objets et donc des souvenirs :
« - Quelle impression cela fait de ne rien perdre de ce que l'on a au fond du coeur ?
- C'est une question difficile, me dit-il.
- Est-ce que cela ne serre pas le coeur, si fort qu'on en est mal à l'aise ?
- Non, il ne faut pas s'inquiéter de cela. le coeur n'a pas de contour, pas de fond non plus. C'est pourquoi il est capable d'accueillir n'importe quelle forme pouvant descendre à une profondeur infinie. C'est pareil pour les souvenirs, vous savez.
- Les choses qui ont disparu de l'île jusqu'à présent sont toutes restées complètement au fond de vous, n'est-ce pas ?
- Complètement, je ne sais pas. Parce que les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
- de quelle manière est-ce différent ?
- Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une douleur, une joie, une larme. »

La narratrice sera-t-elle capable de ressentir ce tremblement, cette douleur, cette joie ? Je préfère ne rien dévoiler, car c'est la progression de son coeur qui est la trame de ce roman lent, profonde descente dans les abîmes de l'être humain sous l'emprise d'un pouvoir étrange et absolu.

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