Ce recueil de sept nouvelles concentre toute la poésie, souvent étrange de
Yôko Ogawa. Cette poésie s'incarne parfois dans l'anecdote, comme dans ces deux micro-nouvelles : d'abord « le crochet argenté », narrant en deux pages nostalgiques le voyage en train de la narratrice, qui part célébrer dans la tradition bouddhiste les treize ans de la mort de sa grand-mère. Elle observe face à elle une vieille femme tricotant…de quoi faire remonter les souvenirs d'enfance au contact de la disparue. Ensuite « Boîtes de pastilles », encore plus courte, à peine plus d'une page. Un chauffeur de bus scolaire de 65 ans, célibataire depuis l'âge de 40 ans et le départ de sa femme, et qui n'a jamais eu d'enfants, trouve son bonheur quotidien au contact de ces enfants parfois turbulents…C'est qu'il a appris à les rendre heureux, tout en s'assurant un parcours tranquille, en trichant un peu pour satisfaire le goût de chacun en matière de petits bonbons.
Le récit éponyme
La Mer est celui qui m'a le moins plu. le narrateur qui est invité pour la première fois chez ses beaux-parents va dormir dans la chambre du petit frère de sa copine. le cadet est dans son monde, et prétend avoir inventé un instrument de musique, le Meirinkin, qui pour être un gros coquillage, vibre en présence d'une brise de mer…
Dans « le camion de poussins », un homme noue une silencieuse complicité avec une petite fille, muette, un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes, mais aussi par un camion qui passe périodiquement, transportant des milliers de poussins colorés. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces myriades de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...
« Voyage à Vienne » met en scène la narratrice et une corpulente femme veuve de la soixantaine, Kotoko, qui a choisi cette destination pour y retrouver la trace de Johan, un ancien amoureux à l'article de la mort dans une maison de retraite…C'était 45 ans en arrière, elle avait 19 ans, lui 34, ils n'étaient pas bien chouettes physiquement, se sont rencontrés dans l'usine de jambon où ils travaillaient, et aujourd'hui elle n'a pas l'air très aidée ni même finalement très emballée à l'idée de retrouver le bonhomme. On sent bien que l'ambiance est foireuse, et elle le sera jusqu'au bout ! Une nouvelle à chute, une ambiance douce-amère qui flirte avec le dérisoire et l'absurde, pleine d'humanité face à l'absurdité de la vie et de notre destin commun.
« le Bureau de dactylographie japonaise Butterfly » est une nouvelle troublante. Une jeune femme se fait embaucher comme dactylo au bureau Butterfly, aux côtés de quatre autres dactylos plus expérimentées. L'ambiance est besogneuse, il y a peu d'occasions de parler. Peu après, un de ses caractères étant abîmé, elle va le faire réparer auprès du gardien des caractères d'imprimerie situé un peu à l'écart dans les locaux. En quelques mots échangés à travers une vitre sombre, des paroles d'expert chargées d'ambiguïtés, la jeune femme devient bientôt sujette au lapsus, à des maladresses...et trouve des prétextes pour renouveler ce contact, quitte à volontairement maltraiter son matériel…Avec cette vague montante de pensées et allusions à la fois ingénues et perverses,
Ogawa fait monter la tension sexuelle, dans une excellente nouvelle qui n'est pas sans rappeler l'atmosphère de ses romans
L'annulaire et
Hôtel Iris.
« La Guide » ponctue joliment ce recueil, grâce à un attachant gamin, admiratif de sa guide de maman. A force de l'accompagner dans les visites de touristes, il en connaît un rayon et se verrait bien reprendre le flambeau, ou plutôt le drapeau vert un peu crasseux que sa mère a perdu et qui lui servait à rassembler son groupe. du coup, un vieux touriste s'est égaré. le gamin va le retrouver, et le temps de quelques heures, nouer une sorte de complicité avec cet ancien poète qui se dit devenu titreur…de souvenirs…
Etrangeté souvent donc, mais aussi des atmosphères au fond tendres, simples et pudiques, un peu mélancoliques, mais néanmoins fraîches et juvéniles, et même teintées d'humour et d'une pincée d'impertinence. Avec tous ces ingrédients réunis, ces récits procurent un grand plaisir de lecture. L'image est peut-être saugrenue, mais cela m'a fait penser au plaisir de la dégustation lente d'un carré de chocolat fin aux accords subtiles. Une fois de plus, ces nouvelles font appel à tous nos sens, toujours sollicités d'une manière ou d'une autre. C'est vraiment la patte magique de
Yôko Ogawa, qui sans effet de style particulier arrive à nous charmer.