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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Étrange.
Comme un roman d'atmosphère.
Comme un sentiment indéfinissable.
Fascination ou simple extravagance littéraire ?

Une jeune femme découvre sur la porte d'un édifice entre délabré et abandonné une offre d'emploi pour devenir la secrétaire de M. Deshimaru, taxidermiste de « spécimens ». Dans le mot « spécimen » se cachent tous vos désirs d'oublis et de chagrin. Il n'est pas juste question d'emmener son animal mort pour le faire empailler. M. Deshimaru s'occupe de tout : des ossements, des notes de musique, des champignons… Un roman de Yoko Ogawa mystérieux et envoutant.

En confiant leurs « précieux » objets au taxidermiste, les visiteurs – ou clients – espèrent ainsi se décharger d'une partie de leur peine ou de leur angoisse. Comme de leur enlever le poids d'un deuil ou d'une blessure profonde inscrite en eux. Alors que les demandes se succèdent, régulièrement, que les objets à naturaliser s'entassent dans des tubes à essais, M. Deshimaru semble exercer sur sa jeune secrétaire un étrange envoûtement.

Il est le maître du jeu, elle se soumet totalement à ses désirs, à ses caresses, à ses demandes surprenantes dans la salle de bain désaffectée, lieu de rencontre dans l'intimité de ces deux êtres solitaires. Fascination ou malaise, je n'arrive pas à définir la frontière entre ces deux perceptions de l'amour. Mais peut-être est-ce au-delà de l'amour, vers un abandon total de la jeune femme vers cet homme.

Un roman – que je trouve – étouffant presque oppressant. Je suis un fidèle de Yoko Ogawa, depuis ses premiers romans. Je suis fasciné par ses histoires si banales et si étranges à la fois, comme envouté ou ensorcelé suivant le degrés pervers ou malsain qu'elle distille dans sa plume poétique. Mort et sexualité, perte et possession, des thèmes qui se rejoignent ici, derrière la porte du laboratoire du taxidermiste.

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L'annulaire, joli symbole pour commencer la littérature japonaise.

Au japon, cette symbolique peut être perçue de manière différente et plus ambiguë. L'union, chez le plus commun des mortels, mais la mutilation de ce doigt gauche est un signe d'humiliation très ancré dans la pègre japonaise et d'appartenance chez les prostituées. Dans ce court récit, seule l'image de l'appartenance flotte comme une légère brise malsaine qui surplombe l'ambiance. Un sentiment de gêne, d'inquiétude et d'étouffement, règne tout au long de ce roman.

La narratrice, une jeune japonaise de 21 ans, amputée d'une infime partie de son corps, se retrouve par le plus pur des hasards, enfin est-ce vraiment le hasard ou le destin, à travailler chez un taxidermiste du souvenir. L'immense laboratoire, un ancien foyer de jeunes filles, abrite les spécimens. Mais dans ce laboratoire tenu par cet étrange M. Deshimaru pas d'animaux empaillés, les cas sont souvent de matière inorganique. Les visiteurs viennent se libérer d'une réminiscence, d'une souffrance, d'une cicatrice, d'une mélodie qui les empêche d'aller de l'avant. Après avoir naturalisé et préparé cérémonieusement la trace du délit, M. Deshimaru les enferme dans un tube à essai. Les cas sont référencés et soigneusement conservés par son assistante. En cas de nostalgie, les clients peuvent venir leur rendre visite, ce qui est rare car « le sens de ces spécimens est d'enfermer, séparer et d'achever ». Entre M. Deshimaru et son assistante, une étrange relation s'installe empreinte de sensualité, de désirs, de malaise, de mutisme et de trouble. le tout baigné dans une odeur nauséabonde de formol et un lourd climat d'anxiété qui règne dans ce long couloir et cette mystérieuse porte fermée à double tour.

J'avais pour règle en lisant ce livre de ne pas avoir peur de ne pas aimer. Beaucoup de négations mais ce fut libérateur afin de pouvoir le lire en toute sérénité. Ce roman m'a laissé une empreinte étrange tel celle d'un haïku : On aime la poésie qu'il s'en dégage mais il est difficile d'en expliquer le pourquoi. Ce récit a effleuré et caressé mon âme. Les deux personnages m'ont envoûté et absorbé dans leur existence dès la première seconde. Il n'y avait plus que ce petit livre, ma conscience et ce doux parfum de cerisiers du Japon. Je n'ai désormais qu'une envie, comme une urgence, replonger dans l'univers troublant de Yôko Ogawa. Cette auteure a ce don particulier de rendre les gens ordinaires extraordinaires et sa plume lyrique et troublante rend ce récit tout simplement beau et touchant.


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''Recherchons employée de bureau aide à la fabrication de spécimens expérience, âge indifférents, sonnez ici.''
Une jeune fille fraîchement débarquée de sa campagne tombe par hasard sur cette petite annonce collée sur un pilier devant un immeuble vétuste. Elle arrive en ville après un incident dans l'usine où elle travaillait. Un petit bout de son annulaire est tombée dans une cuve de limonade, perdu à tout jamais. Quand elle sonne, c'est M. Deshimaru qui ouvre la porte. Vêtu d'une blouse blanche, franc et poli, l'homme lui explique le fonctionnement de son laboratoire. Il s'agit de préparer et de conserver des ''spécimens''. La jeune fille n'y comprend pas grand chose mais elle devient l'assistante de M. Deshimura et se familiariser avec l'endroit et le travail. le laboratoire est un ancien pensionnat de jeunes filles, désormais voué à la conservation des souvenirs douloureux que les clients viennent déposer. Consciencieusement M. Deshimura naturalise des champignons microscopiques, une mélodie, une cicatrice...Si tout cela reste un mystère pour son assistante, elle s'intéresse aux clients et à son patron avec qui elle entretient une relation charnelle dans la salle de bain désaffectée de l'établissement.

Un roman énigmatique, suffocant, teinté d'érotisme dans la veine des autres romans de Yōko Ogawa. On y retrouve cette atmosphère étrange, éthérée, parfois malsaine, ses personnages froids en apparence, aux sentiments troubles, ses lieux bizarres qui sont sa marque. Ici, le malaise s'installe d'emblée à cause sans doute de ces ''spécimens'' qu'on a du mal à appréhender et de la personnalité de Monsieur Deshimaru qu'on soupçonne du pire dès les premières pages, trop poli pour être honnête. Très vite, il domine son assistante, pervers manipulateur, sans jamais abandonner ses bonnes manières, et sans qu'elle ne réagisse. Complètement à sa merci, elle a conscience du danger mais ne cherche pas à se révolter. Par faiblesse, imprudence, apathie, désespoir ? Là où les clients se délestent du poids qui les écrase, mauvais souvenirs enfermés pour toujours dans les tubes à essai de Deshimaru, la jeune fille semble incapable d'un sursaut salvateur, paralysée par le malheur des autres, soumise à une atmosphère et à un homme, malgré une lucidité exacerbée...Un roman tout simplement fascinant.
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La narratrice se fait engager comme secrétaire et assistante d'un M. Deshimaru, unique technicien d'un curieux laboratoire qui crée des "spécimens". C'est une sorte d'activité de taxidermie, de naturalisation, non seulement d'objets, mais aussi de choses immatérielles, de souvenirs (une partition de musique, une cicatrice...), qui permet d'apaiser les clients.
La jeune femme avait quitté son emploi précédent, ouvrière dans une usine produisant des boissons, après y avoir laissé un morceau de son annulaire gauche à la suite d'un petit accident.
Le bâtiment de travail comporte des dizaines de petites salles qui servent à conserver les spécimens, le laboratoire proprement dit, auquel seul M. Deshimaru se donne le droit d'accéder, et une salle de bain. Très vite, une relation étrange va s'instaurer entre les deux personnages, la jeune femme, par ailleurs employée modèle, éprouvant une attirance indéfinissable pour cet homme, mais mêlée de curiosité non dénuée d'un certain malaise. Ce maître va lui offrir des escarpins collant à ses pieds à la perfection, lui demander de les garder en permanence même lorsqu'il prend l'habitude de la prendre nue dans la baignoire de la salle de bain. Ces escarpins sont bientôt le symptôme, et le symbole d'une forme d'emprise exercée par Deshimaru sur cette femme. Une voisine et un cireur de chaussures âgés viennent à demi-mots évoquer des faits passés étranges qui sonnent comme une prémonition du destin de la narratrice. Mais celle-ci est devenue comme prisonnière de son maître, d'ailleurs peut-être pas nécessairement contre son gré, travaillée qu'elle est par le désir qu'il fasse du souvenir de son bout d'annulaire manquant un spécimen...Jusqu'où ira-t-elle pour cela ?

Roman fortement teinté d'étrangeté, d'onirisme et de sensualité, explorant des thèmes comme la mémoire, le pouvoir de l'esprit, de l'emprise psychique sur l'autre, où on retrouve bien les codes de la société japonaise...C'est une très belle lecture que ce récit au format de longue nouvelle (90 pages). A lire d'une traite pour s'évader le temps d'une demie-journée vers un monde mystérieux où on se laissera porter.
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C'est amusant de découvrir tout ce qu'on peut avoir à dire à propos d'un roman de moins de cent pages ! Mais le talent de Yoko Ogawa engendre des aspects remarquables dans ce livre dont la minceur ne me permettais pas d'en deviner l'existence.

Une jeune femme qui a perdu son annulaire dans un accident du travail est embauchée dans un laboratoire installé dans un ancien foyer de jeunes filles défraîchi, par M. Deshimaru, mystérieux taxidermiste du souvenir qui passe sa journée avec ses spécimens. La jeune femme entre bientôt avec cet homme dans une relation malsaine et dangereuse...

Ce roman est intéressant car il s'inscrit dans la lignée de Yoko Ogwa en abordant des thèmes majeurs de l'oeuvre de l'auteur, toutefois il présente certaines particularités intéressantes.

On retrouve dans L'annulaire le thème d'un malaise ambiant qui par petites touches et événements grandit jusqu'à atteindre son paroxysme à la toute fin du livre. C'est le schéma adopté par Les abeilles ou Hôtel Iris.
D'une situation qui apparaît assez anodine avec des personnages principaux eux aussi plutôt ternes, un malaise se forme qui bouleverse l'univers familier et établi des personnages, les plongeant dans des sentiments troublants ( peur, confusion, apathie ... )

L'annulaire ne fait pas exception à cette construction "ogawaienne", mais il s'en différencie ici du fait que la jeune narratrice perçoit immédiatement l'étrangeté du monde dans lequel elle met les pieds, mais surtout que le malaise est plus immédiatement perceptible que dans les autres oeuvres car dans la description de sa rencontre avec le propriétaire du laboratoire, la narratrice a cette réflexion : "Néanmoins, je ne sais pourquoi je sentais l'imminence d'un danger qui me rendait réticente." le lecteur est donc prévenu ici que l'homme que le personnage principal va côtoyer est au moins d'apparence ou d'attitude menaçante. Rien de cela n'est perceptible dans les autres romans, ou du moins aussi clairement établi. Dans Hôtel Iris, le vieillard qui va se révéler devenir pour la jeune femme un maître sadique manipulateur, si il apparaît dans la première scène en colère, se montre exquis avec la jeune femme dans les premiers temps de leur relation. Dans L'annulaire, le scientifique qui embauche la jeune femme apparaît distant, mystérieux et peu rassurant dès le début de l'oeuvre.

Un autre thème récurrent de l'oeuvre de Yoko Ogawa que l'on retrouve dans ce livre, c'est celui du souvenir et surtout du moyen de le préserver. Cette question posée avec brio par l'auteur dans son beau roman Cristallisation secrète, trouve ici une réponse dans ces spécimens. Par ce travail scientifique qui devient dans l'ambiance du roman presque une tâche ésotérique, les objets sont stockés dans des tubes à essai remplis de solution, eux même stockés dans des chambres du laboratoire, et restent là à prendre la poussière dans le pénombre, sans pour autant être jamais détruits. J'ai trouvé cette métaphore du souvenir magnifiquement bien mise en place. Pour Ogawa, nos souvenirs sont stockés, oubliés mais demeurent toujours une part même inconsciente de nous, à l'image de ces spécimens plongés dans du liquide pour être conservés selon la volonté des propriétaires pourtant désireux de les abandonner dans le laboratoire. Yoko Ogawa rend cette réflexion sur la mémoire captivante d'autant plus qu'elle est multiple, chaque roman offrant un nouvel élément de réflexion concernant ce thème.

Ce qui est aussi captivant chez Yoko Ogawa, et ce qui fait la particularité de son oeuvre, c'est la manière particulière unique, dont elle réussit à critiquer la société. Au contraire de Murakami Ryû qui dépeint par exemple systématiquement des personnages en marge de la société ou avec des particularités les empêchant d'adopter une attitude sociale normale, les personnages de Yoko Ogawa vivent des vies banales , toutefois ce comportement normal ne les empêche de voir leur univers personnel se fissurer face à une violence psychologique qu'ils subissent sans moyen de riposter. Cette jeune femme dominée par ce scientifique pervers ne se révolte jamais, alors qu'elle a conscience de la possibilité de cet acte, mais, pire encore, elle semble s'adapter à cette situation anormale comme si elle tentait de se forger un nouvel univers stable à tout prix . Je livre là une interprétation personnelle, mais ne se pourrait t-il pas que la recherche désespérée et vaine par les personnages d'un univers familier et rassurant face à des troubles de leur ordre antérieur soit là la critique d'une société humaine par Yoko Ogawa qui blâme la recherche par l'homme d'une routine absurde au prix de sa liberté et pour son malheur ?
Ces escarpins qui vont si bien au personnage principal et qui deviennent une partie indissoluble d'elle ne sont t-ils pas l'image de ces habitudes dont on ne peut plus se séparer même si elles sont dommageables ?

Je conseille à tous ce roman qui se lit vite et qui est un des meilleurs que j'ai lu ( et relu ) de la part de cette écrivain majeur qu'est Yoko Ogawa. du grand art !
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Une nouvelle fascinante
Précédemment, la jeune narratrice travaillait dans une usine de limonade au bord de la mer, lorsqu'une machine a sectionné son annulaire gauche. Elle quitte alors son village et part seule, en ville. Dans un immeuble qui semble vétuste et abandonné, elle trouve un travail d'assistante auprès d'un taxidermiste étrange. M.Deshimaru naturalise des "spécimens". Ce sont des débris de souvenirs douloureux dont les clients veulent se débarrasser : champignons microscopiques ou ailes de moineau, mais aussi mélodie ou cicatrice. M. Deshimaru les enferme dans un tube à essai et les range dans de petits tiroirs. La jeune narratrice accepte le travail et s'acquitte de sa tache consciencieusement. Elle accueille les clients avec douceur et empathie, remplit des formulaires, tape des étiquettes. Bientôt M. Deshimaru lui offre une très belle paire d'escarpins sur mesure. Bien que pressentant l'imminence d'un danger, elle se laisse séduire...
Le récit est très court ( 96 pages) mais passionnant ! D'abord il est construit avec une grande maestria. Le climat est angoissant, entre réalisme et onirisme. La narration est à la première personne mais la narratrice est comme extérieure au récit, on la sent devenir le spécimen d'elle-même au fil du récit. Où sommes-nous ? Dans un entre-deux, un passage, entre la vie et la mort. Les clients viennent se décharger de leur souvenir douloureux, ils terminent leur deuil. Mais peut-on se débarrasser d'une cicatrice, d'une amputation ? Comment vivre après un traumatisme, se reconstruire, s'accepter, s'aimer, vers qui se tourner ? La mort ?
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De la littérature comme immortel fragment de l’existence.

Célèbre novella de la prolifique Yôko Ogawa parue en 1994, traduite du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle pour les éditions Actes Sud en 1999, «L’annulaire» s’aventure au-delà de l’étrangeté habituelle des récits de l’auteur, présente dès ces premiers écrits, pour pénétrer un territoire véritablement fantastique et obsédant.

Une jeune femme, employée dans une usine de sodas, a arrêté de travailler après avoir perdu un morceau de son annulaire sur la chaîne, dans la cuve de limonade. Suite à cet accident sans gravité, néanmoins point de bascule de son existence, elle a quitté son emploi, et son village en bord de mer pour la première fois.

«La seule chose qui m’a fait souffrir, c’est le fait que je me demandais où était passé le morceau de chair arraché à mon doigt. L’image qu’il m’en restait était celle d’un petit bivalve rose comme une fleur de cerisier, souple comme un fruit mûr. Il tombait au ralenti dans la limonade et restait au fond, tremblotant avec les bulles.»

Arrivant en ville, elle trouve par hasard un emploi dans un laboratoire, sis dans un immeuble paisible et défraîchi, un ancien foyer de jeunes filles où ne restent plus que deux anciennes pensionnaires devenues des vieilles dames. L’emploi mystérieux proposé par le fondateur de ce laboratoire, M. Deshimaru est désigné comme l’«aide à la fabrication de spécimens». Ces spécimens sont en réalité des souvenirs douloureux attachés à un objet, que leurs dépositaires souhaitent «naturaliser» dans ce singulier laboratoire, pour s’en détacher sans les endommager, et pour continuer à vivre sans eux. À l’instar de l’annulaire de la narratrice, ils représentent la perte, mais métaphorique, d’un fragment de soi.

«Tous les spécimens sont rangés et conservés par nos soins. C’est la règle. Bien sûr, nos clients peuvent venir leur rendre visite quand ils le désirent. Mais la plupart des gens ne reviennent jamais ici. C’est le cas aussi pour la jeune fille aux champignons. Parce que le sens de ces spécimens est d’enfermer, séparer et achever. Personne n’apporte d’objets pour s’en souvenir encore et encore avec nostalgie.»

Dans ce lieu envoûtant, mais à l’atmosphère troublante et légèrement malsaine, la narratrice, confinée mais libre de manipuler et de classifier les spécimens, connaît un bonheur sans limites.
«J’aime beaucoup de laboratoire. Si c’était possible, j’aimerais y rester pour toujours. Je crois que M. Deshimaru m’y autoriserait.»

Mémoire, mort et séparation, les obsessions de Yôko Ogawa sont présentes dans «L’annulaire», mais aussi le fétichisme, l’érotisme, dans un registre fantastique qui rappelle certains récits d’Edogawa Ranpo. Finalement, le plus important est sans doute ici le non-dit, cet art si particulier d’évoquer sans les nommer les choses les plus importantes. Alors, en refermant le livre, on ne pourra s’empêcher de se demander qui parle, ou d’où parle la narratrice anonyme qui raconte ici son histoire, et d’admirer ainsi le génie de la mise en abîme opérée dans ce court récit par Yôko Ogawa.

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/07/21/note-de-lecture-lannulaire-yoko-ogawa/
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Dans ce court texte, l'héroïne qui n'a pas de nom, travaille dans une usine de boisson gazeuse, un jour, son doigt s'est coincé dans une machine “Ce fut si soudain, que j'ai eu l'impression que le temps s'était arrêté.” Une fois la surprise passée, elle s'est rendu compte qu'elle s'était arraché un morceau de chair à l'extrémité de l'annulaire. Plus tard, en se promenant, elle lis une annonce: Recherchons employée de bureau aide à la fabrication de spécimens expérience, âge indifférent. Sonnez ici.
Elle passe l'entretien et est embauchée par M.DESHIMARU.
M. Deshimaru est taxidermiste du souvenir, il prépare et surveille les spécimens que des personnes lui amènent par exemple, des champignons, des ornements de coiffure, des castagnettes, des jumelles de théâtre …
Cet homme est assez mystérieux, il a une personnalité douce, tout en étant déterminé, il a des tendances fétichistes … c'est un personnage étrange, malsain.
Pourquoi les gens vont-ils le voir pour naturaliser leurs objets ? Dans quel but ? 
Puis quelque chose commence à naître entre notre héroïne et le taxidermiste.

Les sujets principaux de ce livre singulier sont l'attachement, ce qui se noue dans les relations entre les gens, avec leurs objets, et aux événements qui en découlent.
Je ne me lasserai jamais de lire et relire les récits de Yôko Ogawa, j'aime absolument tout ce que j'ai déjà lu d'elle, bien que je n'ai pas tout lu encore, je fais traîner, je les savoure, je laisse passer du temps entre chacun d'eux pour y repenser, voir comment ces récits me vont, ce qu'ils ont laissé en moi, repenser aux personnages… et j'aime par dessus tout ce qu'elle ne décrit pas, les sons qui émanent de ses livres. Entre ces mots, il y a cet espace unique de mystère qu'elle nous laisse, à nous lecteurs, des espaces pour nous envelopper dedans, nous cacher, revenir à nous, c'est un espace caché entre elle et chaque lecteur… un espace pour échanger purement. 
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Quand on goûte un peu de Ogawa (Yôko, même si Ito n' est pas mal non plus et bien différente) on devient rapidement addict. C'est mon cas. Cette auteure japonaise me fascine. J'ai lu beaucoup de ses romans, petits ou plus importants. L'annulaire est le dernier que je viens de dévorer. Et je ne suis pas déçue. Encore une histoire improbable pour l'occidentale que je suis, un taxidermiste du souvenir! Magnifique , incroyable! Yôko Ogawa aime , comme la majorité des japonais je crois savoir, les petites choses, les choses qui pour nous, de l'autre côté du globe, n'ont pas beaucoup d'importance, elle aime le moment présent, si humble soit-il, elle remarque un infime changement , un détail, et rien n'échappe à sa plume délicate , ciselée et précise. L'héroïne de cette histoire perd un morceau de son annulaire gauche (serait-elle alors inapte au mariage, du moins en partie....)
alors qu'elle travaille dans une usine de limonade, le bout de son doigt est happé par la chaîne du tapis roulant et tombe dans la limonade qui prend une teinte rosée écoeurante... Notre jeune fille , traumatisée, trouve alors un autre travail, inespéré et beaucoup moins terre à terre. M.Deshimaru l'embauche dans son laboratoire en tant que secrétaire, assistante et réceptionniste. Elle accueille des gens qui vienne faire une demande de modèle; en fait, ces clients viennent déposer au laboratoire des morceaux de leur histoire dont ils veulent se débarrasser mais qu'ils souhaitent malgré tout conserver hors de chez eux. Un des thèmes chers à Yôko, le dépôt de troubles, d'objets , de paroles, qui aurait fortement intéressé Lacan qui trouvait que les japonais avaient une autre approche de l'inconscient, notamment dans leur littérature. Mais je ne suis pas spécialiste et ne fait que lire et apprécier. Cette histoire, de jeune fille qui tombe dans les filets d'un homme froid en apparence (mais pourtant pas si mauvais que ça peut-être, au fond que sait-on de ses intentions? ) me fait penser au petit chaperon rouge, ou à la belle et la bête, le message en étant un peu similaire: méfiez-vous jeunes filles de là où vous mettez les pieds... D'autant quand ils ne sont pas chaussés par vos soins!
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Kusuriyubi no byobon
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle

ISBN : 9782742756285


Un texte court, qui s'arrête six pages avant la centaine mais qui dépeint avec acuité et une sorte de satisfaction sadique les excès auxquels peut conduire le fétichisme. le plaisir que prend Ogawa à écrire est perceptible de bout en bout et donne à cette nouvelle une alacrité que, jusque là, je l'avoue, je n'avais encore jamais rencontrée chez elle. Ce plaisir, elle le communique à son lecteur, et peut-être plus encore à sa lectrice, ce qui semble au début relever du paradoxe puisque, dans cette histoire, les femmes sont traitées en objets par un fétichiste véritablement obsessionnel, à la limite du dérapage incontrôlé.

Mais au début seulement. Il y a en effet, dans l'attitude du fétichiste mâle, une espèce de respect ou plutôt de vénération quasi religieuse envers l'objet de son désir, vénération qui s'en vient compliquer la donne de cette histoire où le lecteur occidental retrouve çà et là quelques relents du conte de Barbe-Bleue, la notion de mariage, la révolte de l'épousée et la Soeur Anne en moins.

Ouvrière dans une fabrique de limonade, la narratrice - on ne connaîtra jamais son nom - a un accident qui lui fait perdre un tout petit morceau, "en forme de bivalve" comme elle le définit elle-même, de son annulaire gauche. Désormais incapable de continuer à travailler dans cette usine, elle tombe par hasard, au cours de ses promenades, sur une annonce apposée sur un pilier, devant un laboratoire. Elle sonne et, à l'issue de l'entretien avec le maître des lieux, elle obtient le poste proposé, celui de secrétaire et d'hôtesse d'accueil. Sa fonction essentielle : écouter les clients et les rassurer, les réconforter, lorsqu'ils viennent demander à ce qu'on leur conserve un "spécimen."

La nature des spécimens tient du bric-à-brac absolu. Ainsi, le premier que découvre la narratrice est constitué par trois champignons ayant poussé sur les ruines d'une maison incendiée. Tous les habitants de la maison sont morts, à l'exception de la fille et c'est elle, justement, qui a tenu à faire conserver ces champignons, peut-être (en tous cas, on peut le supposer) parce qu'elle y voyait un rapport avec son père, sa mère et son frère morts dans l'incendie.

Mais il y a aussi les os d'un moineau de Java, le son (si ! si ! ) d'une partition, des bulbes de jacinthes, des fixe-chaussettes, etc, etc ... M. Deshimaru, le directeur, est capable de conserver tant de choses ...

Un jour de pluie, la jeune fille aux champignons réapparaît et demande si l'on peut faire un spécimen de la trace de brûlure qu'elle porte au visage. Et M. Deshimaru dit oui. Et tous deux, l'un soutenant l'autre, s'enfoncent vers le sous-sol, vers la sacro-sainte porte du Laboratoire où seul n'est habilité à pénétrer que M. Deshimaru - rien que lui.

La narratrice aura beau guetter et surveiller : elle quittera son poste sans avoir vu ressortir la jeune fille.

Evidemment, l'histoire ne s'arrête pas là et il faut préciser encore, avant de vous laisser vous demander si, oui ou non, vous allez vous intéresser à ce petit texte étrange, que M. Deshimaru est devenu l'amant de la narratrice et, en bon fétichiste, lui a offert une très belle paire de chaussures - de couleur noire - qu'il lui a intimé plus que demandé de porter tout le temps, même quand elle ne venait pas au laboratoire. (Cette paire de chaussures et l'histoire que raconte à son sujet le cireur venu faire conserver les os d'un moineau de Java donnent la touche finale à l'atmosphère mâtinée de fantastique qui émane de "L'Annulaire.") Fascinée par la personnalité de cet homme, la narratrice a obéi. Elle obéira d'ailleurs jusqu'au bout.

Un dernier point : en général, les textes de la romancière japonaise sont plutôt sibyllins, avec des non-dits et des silences que le lecteur doit traduire. En ce sens, "L'Annulaire" est une exception : tout y est clair. C'est un petit bijou dont la beauté ne sera peut-être pas goûtée de tous : Ogawa Yoko demeure tout de même un auteur bien particulier et qui demande beaucoup à celui qui se plonge dans son univers.

Nota Bene : un film éponyme a été tiré de ce livre par Diane Bertrand, en 2004. ;o)
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