Un muséographe, une jeune fille, une vieille dame, un jardinier et sa femme, dans un vieux manoir.
Une canne, un almanach pour rythmer le temps et l'espace. Un couteau pour récolter l'objet soyeux. Une cicatrice en forme d'étoile comme souvenir d'un jour où le bruit a écrasé le silence. Un microscope, un roman pour préserver le passé et ne pas accepter le présent.
Un village étrange, un monastère du silence, où les prédicateurs recouverts d'une peau de bête recueillent les secrets, sans jugement ni regard. Un sentiment de vide, de dépouillement, d'inutilité.
Et le musée du silence...
Pour ne pas que les défunts du village soient oubliés, la vieille dame, puis le jeune muséographe collectent l‘objet qui les caractérise le mieux, en s'introduisant dans leurs maisons de manière illicite.
C'est angoissant, on a l'impression de s'enfoncer, de perdre l'équilibre. On pressent un danger. La neige recouvre tout. le silence règne, la vie étouffe.
Une histoire étrange sur la mort, l'accumulation d'objets gardant la mémoire du monde, le travail si délicat du muséographe, dont les trésors finiront un jour par être détruits, par le temps, le manque de place, le désintérêt, l'oubli. Comme les morts qu'on oublie et qui disparaissent une seconde fois du monde des vivants.
Un roman qui se lit tout doucement en laissant un goût de tristesse, de mélancolie poétique, d'impuissance.
C'est un endroit sur la bordure du monde où l'on risque de glisser dans le silence.
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Cela fait longtemps que je tournais autour de cette auteure et de ce titre en particulier. le lire a été pour moi un vif plaisir dû en partie à une surprise de taille : je plongeais dans un univers totalement inédit, ni policier, ni fantastique, une sorte de "Désert des Tartares" japonais... Et cette idée merveilleuse du musée d'objets de personnes venant de mourir : ou comment faire perdurer le souvenir des hommes par-delà la mort. Une collection non pas morbide mais au contraire pleine de la certitude que l'objet est chargé de l'âme de son possesseur. Un peu une continuation de l'adage proustien qui dit que l'on meurt deux fois, la deuxième est quand plus personne ne se souvient de vous. C'est alors dans ce très beau livre une conservation de ce qui fit les hommes et les femmes : leur histoire.
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Un roman étrange et lancinant, comme une chanson qui vous trotte dans la tête.
Un jeune homme, muséographe de formation, va devoir créer un musée pour une vieille japonaise, et ce, dans son manoir reculé.
Dans ce lieu isolé, il n'y a que peu d'habitants et les objets qui seront exposés sont pour le moins originaux, ce sont des objets volés à des personnes qui venaient de mourir.
J'ai été happée par cette histoire originale et par l'ambiance à la fois malsaine et bizarrement hypnotique.
Un roman court mais qui nous reste longtemps en mémoire, tant l'atmosphère qui est singulière.
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Je fus soudain très occupé. Quoi qu'il en fût, l'important était de ranger les objets éparpillés au hasard, et de les répertorier après leur avoir attribué un numéro. C'était le premier pas pour donner une signification à des objets considérés comme faisant partie d'un simple bric-à-brac.
— À vrai dire, je croyais qu'un musée était un endroit où l'on se contentait d'exposer des choses.
— Ce n'est pas étonnant. C'est ce que pensent la plupart des gens. Ils ne font pas la différence d'avec un entrepôt.
— Ça sert à quoi d'écrire ces textes ?
— À valider l'existence des documents. Il n'y a pas que les textes, on leur donne une signification par toutes sortes de moyens, la photo, le croquis, les chiffres. Si le carnet d'enregistrement est un état civil, le dossier rédigé est un curriculum vitae, vous voyez. Mais cela est plus profond et a beaucoup plus de charme qu'un simple curriculum. [...]
— Valider leur existence, est-ce que ça signifie les conserver ?
— C'est exactement ça. La conservation est le rôle le plus important d'un musée. Parce que si on les laisse, toutes les choses de ce monde, quelles qu'elles soient, finiront un jour par être détruites.
Avec elle, nous nous partageâmes les préparatifs pour transporter la collection dans le musée.
...
C'était un travail ingrat qui prenait du temps. Qui me fit encore une fois toucher du doigt le manque de cohérence des formes de la collection du musée du Silence. Je n'avais jamais expérimenté cela aillleurs. Nous avions beau, par souci d'efficacité, mettre le plus possible d'objets dans les cartons, toutes sortes de formes, sphériques, tubulaires, cubiques et autres ficelles, liquides ou poudres, s'affirmaient selon leur bon vouloir, sans s'accomoder de leur présence mutuelle, créant des espaces inutiles.
La seule chose qui les reliait entre elles était ce terme d'objet. Ce mot était discret comme le fil reliant les perles d'un collier, mais il avait aussi une rigueur qui gouvernait l'ensemble du musée, dépassant sans difficulté les différences de formes.
[pages 276-277]
A la réunion de décision des pièces à détruire, j'étais toujours silencieux et de mauvaise humeur. Je n'arrivais pas à me calmer, comme si j'avais été contraint de me retrouver dans un endroit où je ne me sentais pas à ma place.
Les spécimens végétaux qu'il n'était plus possible de restaurer étaient passés à l'effilocheuse. Un socle de l'Acropole qui s'était fendu en cours de reproduction était réduit en morceaux à coups de marteau. Et pour la simple raison que c'était trop banal, le diorama sur la vie des abeilles était mis au feu.
Et ils n'étaient pas inhumés avec autant de soin que des animaux de laboratoire sacrifiés à l'élaboration de nouveaux médicaments. Il n'y avait ni prières ni fleurs. Près d'un conservateur novice qui les détruisait mécaniquement l'un après l'autre, une autre jeune recrue inscrivait les données nécessaires dans un classeur. Pas pour garder une trace de ce qui disparaissait, plutôt pour vérifier, conformément aux statuts des musées, que la destruction avait été effectuée selon la manière prévue.
Je me tenais un peu en retrait, seul à leur dire adieu, en suivant des yeux jusqu'au bout les éclats qui jaillissaient ou les cendres qui s'élevaient en tourbillonnant. Alors qu'ils auraient certainement pu devenir, dans n'importe quelle région reculée du monde, un fragment constitutif de ce monde.
‒ C'est en manipulant, jour après jour, toutes sortes d'objets que je m'en suis rendu compte. Alors que ce devaient être des preuves de la vie des gens, je ne sais pourquoi j'ai l'impression qu'ils racontent ce qu'il est advenu de ces personnes dans le monde d'après la mort. Ce ne sont pas des boites qui renferment le passé, mais peut-être des miroirs qui reflètent le futur.
‒ Des miroirs ? Questionna-t-elle en sondant toujours l'espace.
‒ Oui, c'est ça. Quand j'ai le livre de ma mère entre les mains, je sens que l'univers de la mort, qui devrait être entouré d'un halo de frayeur, tient agréablement à l'intérieur de ma paume. Alors que je suis en train de tourner les pages, de deviner ce qui est écrit ou de sentir l'odeur du papier, toute peur finit pas disparaître. J'ai parfois même l'impression qu'il s'agit d'une vieille amie qui m'est chère. C'est pour cela que lorsque je suis en contact avec les objets je respire mieux, je me sens calme, et je m'endors plus facilement.
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