![]() |
Je me passionne pour la Seconde Guerre mondiale depuis de très longues années mais jamais je n'avais envisagé cette période sous cet angle-là : ce livre m'a stupéfiée, dérangée, vraiment décontenancée. Je suis sans doute naïve car même si j'avais entendu parler de drogues circulant lors de cette tragédie mondiale, j'ignorais tout de sa macabre réalité. En refermant ce livre, on reconsidère cette guerre avec un regard absolument différent. Bien sûr, cela n'excuse ni ne justifie aucun des actes immondes perpétrés par le IIIe Reich mais cela permet d'en obtenir une vision d'ensemble plus complexe et plus subtile. Au départ, on apprend que les nazis considéraient les drogues comme une abomination et les mettaient dans le même panier que les Juifs : "Juifs et drogues fusionnent en une entité toxique ou infectieuse qui menacerait l'Allemagne." Et puis apparaît un sauveur : le Docteur Theodor Morell, censé soigner les troubles gastriques très douloureux du Führer. Il devient très vite son médecin personnel, Hitler lui-même devenant son célèbre "Patient A". C'est le début de l'engrenage : dès que le Führer donne le moindre signe de faiblesse, le Docteur Morell est là. Vitamines, toniques, prises sous pilules ou par injections… avant ses discours, voire pour la vigueur de son salut nazi, Hitler exige ses doses. Et puis en 1938, le laboratoire Temmler commercialise la première méthamphétamine allemande : la pervitine. Ses effets ? Elle augmente l'énergie et la confiance en soi, rend euphorique, affûte les sens et donc la puissance et la concentration, soumet la fatigue et l'anxiété. Toute la société allemande commence à en ingérer : étudiants, travailleurs de toute sorte, mais aussi membres du Parti nazi. Des chocolats à la pervitine font même leur apparition ! On apprend que les pilules miracle "s'avalent comme des bonbons", que la Wehrmacht commande des dizaines de millions de doses pour ses soldats de l'armée de terre et de la Luftwaffe, et que c'est en partie cette drogue qui explique la terrible efficacité du Blitzkrieg de 1940. Rien ne les arrête plus : soldats et membres du Parti planant à mille kilomètres, Hitler accro à plus de 80 produits (la liste exposée par l'auteur est effrayante !), mais comme tout abus, la chute finale sera aussi exceptionnelle que l'euphorie aura été grandiose. Je m'arrête ici parce que je ne veux pas dévoiler tout le livre, mais quel choc, quelle audace aussi que cette immense analyse. C'est un vrai coup de maître : effrayant, fascinant, glaçant. Et quel extraordinaire travail de recherche nous livre ici Norman Ohler, que nous suivons à travers sa quête : une immense documentation, un exposé minutieux et ahurissant d'un IIIe Reich complètement dopé qui ne dort plus, qui nargue le corps et l'esprit humains. Les notes de l'auteur ainsi que les nombreuses illustrations et photographies foisonnent d'éclaircissements et renseignements passionnants… Bref, un livre qui offre un éclairage inédit et absolument effarant sur la Seconde Guerre mondiale et qui va, je pense, me marquer longtemps. Un constat choquant, atterrant, qui nous rappelle malheureusement qu'aujourd'hui ce sont les djihadistes de Daech, drogués au Captagon, transformés en surhommes sans peur ni fatigue, qui menacent le destin du monde. Merci aux éditions La Découverte et à NetGalley pour la découverte de ce livre. + Lire la suite |