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EAN : 9782809433555
528 pages
Panini France (06/11/2013)
3.88/5   303 notes
Résumé :
Afrique, après l’apocalypse.
Le monde a changé de bien des façons, mais la guerre continue d’ensanglanter la terre. Une femme survit à l’anéantissement de son village et au viol commis par un général ennemi avant de partir errer dans le désert dans l’espoir d’y mourir. Mais au lieu de cela, elle donne naissance à une petite fille dont la peau et les cheveux ont la couleur du sable.
Persuadée que son enfant est différente, elle la nomme Onyesonwu, ce q... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (94) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 303 notes
« Qui a peur de la mort? ». Onyesonwu en igbo : le nom de l'héroïne de ce singulier roman signé par l'auteur américano-nigérienne Nnedi Okorafor et qui constitue sans aucun doute l'un de mes plus beaux coups de coeur de cette année 2013, pourtant riche en sortie de qualité. Il faut dire aussi que le roman a eu l'honneur d'être récompensé dernièrement par le prestigieux World Fantasy Award 2011 ! L'action se limite à une région bien définie (correspondant aujourd'hui au territoire du Soudan) où deux tribus se livrent depuis des temps immémoriaux une lutte sans merci . D'un côté les Nurus, peuple «béni» par la déesse Ani et supposé assurer leur domination sur son territoire, de l'autre les Okeke, peuple en voie d'extinction, asservi par les Nurus et dont les quelques tentatives de révolte se sont, jusqu'à présent, toujours soldées par un échec. On comprend rapidement grâce à quelques indices que nous nous trouvons en réalité dans une Afrique post-apocalyptique, un élément que l'on pourrait toutefois aisément être tenté d'oublier tant l'univers dépeint par Nnedi Okorafor n'a plus grand chose à voir avec le notre, géographiquement et culturellement parlant. Pour le reste, on retrouve hélas un sentiment de déjà-vu : massacres, pillages, meurtres, viols..., les atrocités s'accumulent dans un camp comme dans l'autre, preuve que, quoi qu'il se soit passé, les hommes sont, en ce qui les concerne, restés fidèles à eux-mêmes.

C'est dans ce contexte qu'on découvre la triste histoire de la jeune Onyesonwu, dont le nom sonne comme un véritable défi lancé à la grande faucheuse qui semble hélas hanter ses pas. Car notre héroïne a le malheur d'être née ewu, une enfant du viol, mi Nuru par son père, mi Okeke par sa mère, et par conséquent considérée par tous comme une paria. Car qui voudrait prendre le risque que la violence de sa conception rejaillisse un jour dans l'un de ses actes ? Rongée par l'horreur de sa naissance que la société ne lui laisse jamais oublier, la jeune fille possède heureusement l'atout de savoir manipuler avec aisance la magie. Mais difficile, dans un monde dominé par les hommes, de se faire une place et de tracer sa propre voie. A travers le récit bouleversant de la jeune fille, Nnedi Okorafor en profite pour rappeler et dénoncer certains tabous rarement abordés, notamment au sein des littératures de l'imaginaire : le viol utilisé comme redoutable arme de guerre ; la pratique de l'excision des jeunes filles ; l'embrigadement d'enfants soldats... Certaines scènes sont particulièrement prenantes, et ce même si vous n'avez pas particulièrement l'âme sensible. Difficile par exemple de rester de marbre à la lecture du viol de la mère d'Onyesonwu ou encore du rituel d'excision des jeunes filles Okekes.

Ne vous y trompez donc pas, le récit de Nnedi Okorafor est sombre et dur, les personnages comme le lecteur se voyant confrontés à des réalités choquantes qu'ils préféreraient certainement occulter. Révolte et horreur sont deux sentiments qui ne sont jamais bien loin tout au long de cette lecture dont on ressort à la fois sonné et émerveillé. Car parallèlement à toutes les atrocités et la dureté auxquelles on se retrouve confronté, on découvre également un univers exotique fascinant. le monde de Nnedi Okorafor pourrait ainsi ne rien à voir avec un monde post-apo mais relever de la pure fantasy, un dépaysement lié aussi bien à ces vastes étendues désertiques qui constituent l'essentiel des paysages du roman qu'à l'omniprésence de la magie au sein des sociétés okekes et nurus dont le fonctionnement nous est aussi parfaitement étranger. de même, il est pour une fois appréciable de découvrir certains éléments ou concepts prenant leurs racines dans la culture africaine que, pour ma part, je connais très peu (l'idée des mascarades, sortes d'esprit des ancêtres ou du désert pouvant adopter des formes très diverses, m'a notamment particulièrement plu). Un mot, enfin, concernant les personnages, tous bourrés de défauts mais néanmoins attachants : le vieux sorcier Aro ; la courageuse et sulfureuse Luyu, la petite Binta... Et bien évidemment le couple au centre du roman, Onyesonwu et Mwita, dont la relation constitue l'un des principaux attraits du récit.

Avec « Qui a peur de la mort », Nnedi Okorafor signe un roman bouleversant traitant de sujets rarement abordés en fantasy et mettant en scène une héroïne atypique et dont je me souviendrai certainement longtemps. Les nombreux éléments liés à la culture africaine apportent un charme supplémentaire au récit qui malmène autant qu'il séduit le lecteur qui ne sortira pas indemne de sa lecture. Une excellente découverte que je conseille chaleureusement.
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Onye, qui signifie "Qui a peur de la mort?", est une ewu, une enfant du viol d'une Okeke, la race "esclave", par un Nuru, la race "dominante". La peau plus claire que les Okeke parmi lesquels elle vit, elle est de tout temps stigmatisée pour la couleur de sa peau et de ses yeux. D'autant que les ewus sont souvent considérés comme dangereux, maudits : on dit souvent, chez les Okeke comme chez les Nuru, que ceux qui naissent de la violence finissent par la commettre. Bien vite, elle se rend compte qu'elle est également ushu, une sorcière.
Bien loin à l'Ouest, dans un ville proche du désert où elle est née, le devin Rana dévoile une nouvelle prédiction : un ushu ewu arrive, qui va changer la face du monde.

Qui a peur de la mort ? est un ouvrage très original dans le paysage de la fantasy contemporaine. L'auteure, américaine d'origine nigériane, a puisé dans ses racines pour concocter un récit qui entremêle allègrement et avec beaucoup de bonheur les traditions, la magie, la spiritualité, les croyances...

Découvert dans le cadre de mon club de lecture préféré, mon avis sera relativement pondéré ; si Qui a peur de la mort ? présente des qualités, dont l'originalité n'est pas la moindre, d'autres choses m'ont suffisamment "déçue" pour ne pas faire de cette lecture un coup de coeur.
Outre son appui sur la culture nigériane, un autre point fort du livre est d'évoquer des sujets habituellement absents de ce type de littérature : l'excision, le viol comme arme de guerre, la place des femmes dans la société, etc... Toujours dans les qualités de cet ouvrage, je tire mon chapeau à N. Okorafor pour avoir su créer un monde dans lequel la magie est si naturellement et intimement implantée. J'ai beaucoup apprécié également certains personnages, comme Aro, Sola ou l'Ada, qui tiennent quasiment de l'archétype. J'ai particulièrement apprécié la culture du "Peuple rouge", si tant est que ce peuple de légende, se déplaçant dans les tempêtes de sable, existe réellement. Enfin, et de façon générale, j'ai toujours aimé les histoires de quêtes initiatiques pour changer le monde, au cours desquelles, bien souvent, c'est le personnage qui grandit et évolue bien plus que son monde.

Et c'est bien là que le bât blesse dans mon appréciation de ce livre. Je crois qu'il faut que je me fasse une raison, je n'accroche absolument pas au style "young adult", avec ses triangles amoureux (qui m'ennuient), batailles de filles pour un garçon (l'inverse est également vrai) (que je trouve ridicules), réactions typiquement binaires (et prévisibles), et avec des émotions systématiquement paroxystiques (qu'il s'agisse de colère, très présente dans l'ouvrage, mais aussi de détresse, de peur, de tristesse, de joie...), qui, même si on peut les relier à l'adolescence, âge des personnages principaux, me semblent factices. Serait-ce mes 40 automnes s'approchant qui en seraient la cause ? Possible... En tout cas, si je n'ai rien contre une belle et puissante histoire d'amour, les développements gnangnan sur qui aime qui, qui couche avec qui, et compagnie, me laissent de marbre. J'ai donc trouvé les réactions des personnages souvent enfantines, stéréotypées, et la colère d'Onye a fini par me lasser, d'autant que, en tant que personnage principal qui porte ce récit, c'est le personnage qui évolue le moins au fil des 500 pages de l'histoire...

D'autre part, je suis passée à côté d'un certain nombre de choses... Par exemple, je n'ai pas compris le rôle de la technologie dans la cosmogonie de N. Okorafor. A priori, les Okeke, premier peuple, ont été déchu par les dieux au profit des Nuru, car ils utilisaient trop cette technologie. On trouve dans les étendues désertiques traversées par Onye et ses amis des cimetières d'ordinateurs et de téléphones portables, qui portent malheur. Ceci dit, pour produire de l'eau, le seul moyen est d'utiliser une boite... technologique (qui doit marcher à l'énergie magique parce qu'on ne la recharge jamais...) ; enfin, on trouve des téléphones portables avec GPS qui fonctionnent encore... Qui entretient le réseau, les émetteurs et récepteurs, comment recharge-t-on les batteries ?? Bref, ça me laisse un peu sceptique.
Enfin, et ça me parait plus "grave", j'ai surement raté quelque chose autour de l'histoire du Livre. Ce livre explique pourquoi les Okeke sont des esclaves et pourquoi les Nurus sont leurs propriétaires. La prédiction du devin Rana dévoile que ce livre sera réécrit... Ben, à part si le récit de Onye est la nouvelle version du Livre, je ne vois pas se réaliser la prédiction du devin. Mais en quoi le récit de cette adolescente en colère peut-il être le fondement d'une société plus juste ? (Enfin, si c'est bien ça le noeud du livre, mais pas sure d'avoir tout suivi...).

Bref, si Qui a peur de la mort ? n'est pas un coup de coeur, j'ai quand même globalement apprécié sa lecture, y compris la fin qui, un peu mystérieuse et laissant une jolie part d'interprétation à son lecteur, rattrape (pour moi) un peu la sauce. A lire pour son originalité et à noter la couverture magnifique !
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La littérature influencée par l'Afrique est relativement bien développée en littérature générale ; elle est, en revanche, encore marginale dans les littératures de l'imaginaire. Avec Qui a peur de la mort ?, Nnedi Okorafor participe à ce renouveau.

Onyesonwu est une ewu, une fille du viol. Sa mère okeke s'est fait violer par un guerrier nuru lors d'un énième raid meurtrier et, rejetée de beaucoup, elle s'installe à Jwahir pour voir grandir sa fille. Lors de son enfance et son adolescence, Onyesonwu voit s'affirmer quelques pouvoirs en elle, comme le fait de pouvoir se transformer en animal ou d'agir sur la santé de certaines personnes. Guidée par Mwita, jeune enfant ewu aussi (mais lui fruit d'un amour interdit), et entraînée par le sorcier Aro, Onyesonwu va se lancer progressivement dans la quête de son père et dans celle de sa survie.
Nnedi Okorafor dédie ce roman à son père décédé, dont la disparition a guidé les premiers mots. À travers le calvaire solitaire d'une jeune ewu et de sa mère violée, elle a l'immense mérite d'aborder et d'utiliser efficacement (sans voyeurisme) des thèmes extrêmement forts, d'actualité et trop peu mis en lumière. Elle fait ainsi référence à des guerres civiles menant aux génocides, au viol utilisé comme arme de guerre, ainsi qu'à l'excision comme outil de régulation sociale. Un vaste programme donc, mais que l'autrice distille dans le destin de cette jeune femme à la peau étrange et aux pouvoirs qui ne le sont pas moins.
Nnedi Okorafor a construit une histoire qui sonne juste et fort, avec une noirceur plutôt moite puisque le climat, l'atmosphère jouent un rôle important pour poser la situation. Si au début les prophéties peuvent agacer (surtout si on se doute qu'elles vont vraisemblablement se réaliser telles quelles) et ces histoires de Grand Livre plutôt laisser dubitatif, les différentes scènes d'initiation progressive de l'héroïne justifiaient tout cela très bien ; la montée en intensité jusqu'à la toute fin est remarquable et relire deux-trois fois la dernière scène et l'épilogue est de l'ordre du normal.

Qui donc a peur de la mort ? Ceux qui ne veulent pas la voir en face, assurément ; Nnedi Okorafor, elle, nous emmène à ses côtés de façon réellement fantastique.

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Il y a quelques années, ce roman était ma première incursion dans la SF noire, dans ce que l'autrice nomme "africanfuturism". Cette lecture a vraiment été marquante pour moi. L'univers est riche et tout m'y était inconnu. On n'y trouve aucun trope de SF tellement usé que l'auteur n'a même pas besoin de l'expliquer.

On y explore donc une Afrique du futur où la magie (le juju) existe, et où la technologie recule. Il semble y avoir eu un cataclysme à l'origine de ces changements, mais on n'en explore jamais les détails.

Les détails auxquels on a droit sont ceux des diverses croyances, modes de vie, de ces conflits entre la ville et la province, entre nomades et sédentaires, entre les couleurs de peaux et les tribus. Tout cela est riche et fascinant (et c'est la force d'Okorafor, dans tout ce que j'ai lu d'elle depuis).

On y parle de mort, d'esclavage, de viol et d'excision. Ce n'est pas une lecture joyeuse.

L'histoire peut paraître simple ; La protagoniste, fille du viol, part à la recherche de son père. Elle vit des amitiés compliquées en chemin, et se découvre des dons magiques. Tout cela parsemé de scènes brillantes et originales.

C'est ce livre qui m'a fait pleinement réaliser à quel point la SF ne montre habituellement que des futurs blancs et anglophones. Comme si, pour que le futur ait lieu, beaucoup de gens devaient mystérieusement disparaître.
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Ouch cette claque !
Dès le début du roman, on sent que ce sera une lecture forte et riche.

Au delà du temps, au delà de la SF, au delà des "genres" de la littérature, je crois que ce livre peut parler à tout le monde et à n'importe qui.

Ce n'est pas une "histoire" comme tant d'autres. Onyesonwu ("Qui a peur de la mort ?" est son prénom en igbo, en fait), Binta, Luyu, Mwita, Fanasi et Diti sont des personnages d'une telle épaisseur qu'on peut les toucher.
Alors qu'ils se "dématérialisent" dans le livre, ils se matérialisent dans notre monde, à croire que "les étendues sauvages", c'est ici... Et dès le départ on est happé...

La profondeur et la puissance d'évocation de Nnedi Okorafor vient vous "ravir" dans tous les sens du terme (chapeau à la traduction aussi, d'ailleurs), et vous embarque dans ce voyage initiatique d'une rare intensité.
Un voyage dur, par temps de génocide, difficile, plein de doutes, de grandes souffrances et de batailles, contre les autres ou contre eux-mêmes, chaque personnage est si humain, on ne peut qu'être touché.

L'auteur explique en postface la naissance du livre, et il est vrai qu'on sent tout au long du livre la vitalité d'Onyesonwu se dégager des pages. Elle est si vivante que c'en est confondant.

La profonde spiritualité, associée à une mythologie riche et bien intégrée par l'auteur, dont elle a peut-être inventé une partie, d'ailleurs, je ne sais pas (Je n'y connais pas grand chose, en mythologie africaine. Si c'est inventé, c'est avec brio.), nous embarquent dans un monde étranger mais pas si étrange, car à peu de choses près, il ressemble au nôtre (quand on est lucide sur sa sauvagerie, en tous les cas, quand on l'a subie, surtout, semble-t-il, après lecture de certains avis mitigés.).

La beauté de la relation entre Mwita et Onyesonwu, qui la "répare" de toutes les souffrances endurées, m'a particulièrement émue, alors que d'habitude je suis hermétique à ça dans les romans. Ici, l'histoire d'amour a une raison d'être on ne peut plus évidente... Sans Mwita, pas d'Onyesonwu... Sans Mwita à ses côté, pas d'histoire, pas d'évolution, pas de croissance possible. Sans Mwita, c'est le désespoir , la souffrance et la mort qui gagnent. Mwita fait partie intégrante du destin d'Onyesonwu. Et ça me touche parce que je le vis chaque jour avec mon homme...

C'est une splendide découverte ! (merci à MauriceAndré, c'est lui qui m'a donné envie de le lire, celui-ci).
Coup de coeur !

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critiques presse (1)
Elbakin.net
18 novembre 2013
Qui a peur de la mort ? se révèle dur, parfois terriblement triste ou déchirant, mais toujours, toujours brillant. Comment dès lors ne pas lui donner sa chance ?
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
Le Grand Livre raconte l’histoire d’un garçon qui était destiné à devenir le plus grand chef de Suntown. Vous la connaissez bien. C’est l’une des préférées des Nurus, non ? Vous la racontez tous à vos enfants quand ils sont trop jeunes pour comprendre à quel point elle est horrible. Vous espérez que vos filles voudront ressembler à Tia, la gentille jeune femme, et les garçons à Zoubeir le Grand. Dans le Grand Livre, c’est une histoire de triomphe et de sacrifice. Elle est censée vous conforter dans votre position. Elle est supposée vous rappeler que les choses nobles seront toujours protégées et que les gens voués à la grandeur finissent toujours par l’atteindre. C’est un mensonge. Voici la véritable histoire.
Tia et Zoubeir étaient nés le même jour, dans la même ville. La naissance de Tia n’eut rien de secret ni rien de particulier. Fille de paysans, elle reçut un bain chaud, de nombreux baisers, une cérémonie de nom. Elle était la deuxième enfant de la famille, mais le premier était un garçon en bonne santé, aussi fut-elle bien accueillie.
Zoubeir, en revanche, naquit dans le plus grand secret. Onze mois plus tôt, le chef de Suntown avait remarqué une femme qui dansait lors d’une fête. Cette nuit-là, il la posséda. Et même ce chef, qui avait pourtant quatre épouses, ne pouvait se lasser d’une femme pareille, aussi la poursuivit-il de ses ardeurs et la posséda-t-il encore et encore, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Après quoi, il ordonna à ses soldats de la tuer. Selon une ancienne loi, le premier fils né hors mariage du chef devait remplacer son père. Le père du chef avait contourné cette règle en se mariant avec toutes les femmes avec qui il avait des relations. À sa mort, il avait plus de trois cents épouses.
Cependant, son fils, le chef actuel, était arrogant. S’il désignait une femme, pourquoi prendre la peine de l’épouser ? Honnêtement, ce chef-là n’était-il pas l’homme le plus stupide du monde ? Pourquoi ne se contentait-il pas de ce qu’il avait ? Pourquoi n’arrivait-il pas à penser à autre chose qu’à ses désirs charnels ? Il était chef, après tout, non ? Il aurait dû avoir bien d’autres choses à faire. Bref, cette femme était enceinte de trois mois lorsqu’elle réussit à échapper aux soldats envoyés pour la tuer ? Elle finit par atteindre une petite ville, où elle donna naissance à un garçon nommé Zoubeir.
Le jour de la naissance de Zoubeir et Tia, la sage-femme courut d’une hutte à l’autre. Ils naquirent exactement au même moment, mais elle choisit de rester avec la mère de Zoubeir parce qu’elle avait l’intuition que l’enfant de cette femme serait un garçon alors que l’autre serait une fille.
Personne, hormis Zoubeir et sa mère, ne savait qui ils étaient. Mais les gens flairaient quelque chose d’insolite chez lui. Il devint grand, comme sa mère, et doté d’une voix puissante, comme son père. Zoubeir était un meneur-né. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, ses camarades de classe lui obéissaient avec joie. Tia, d’un autre côté, menait une vie discrète et triste. Son père la battait souvent. En grandissant, elle devint belle et il commença à la convoiter. Ainsi, Tia devint l’opposée de Zoubeir, chétive et silencieuse.
Les deux enfants se connaissaient, car ils vivaient dans la même rue. Dès l’instant où ils se virent, une étrange alchimie les unit. Pas le coup de foudre. Même pas de l’amour. De l’alchimie, c’est tout. Zoubeir partageait ses repas avec Tia lorsqu’ils rentraient chez eux après l’école. Elle lui tricotait des chemises et lui tressait des anneaux de fibres de palme. Parfois, ils s’asseyaient et lisaient ensemble. Zoubeir n’était silencieux et serein que lorsqu’il se trouvait en sa compagnie.
Lorsqu’ils eurent tous deux seize ans, la nouvelle arriva : le chef de Suntown était très malade. La mère de Zoubeir savait que cela laissait augurer des troubles. Les gens aiment colporter des ragots et spéculer à l’approche d’un changement de pouvoir. La rumeur selon laquelle Zoubeir était le bâtard du chef atteignit bientôt ce dernier. Si seulement Zoubeir avait fait profil bas ou baissé la tête, il aurait pu revenir paisiblement à Suntown une fois son géniteur mort. S’emparer du trône ne lui aurait pas posé de problèmes.
Les soldats vinrent avant que la mère de Zoubeir ne puisse le prévenir. Lorsqu’ils le trouvèrent, il était assis sous un arbre avec Tia. Ces soldats étaient des lâches. Ils se cachèrent à plusieurs mètres de là et l’un d’eux épaula son fusil. Tia pressentit quelque chose. Et, à ce moment précis, elle leva les yeux et remarqua les hommes cachés parmi les arbres. Alors, elle comprit. Pas lui, se dit-elle. Il est unique. Il améliorera notre situation à tous.
« Baisse-toi ! » cria-t-elle en se jetant devant Zoubeir. Naturellement, elle reçut la balle à sa place. La vie de Tia fut fauchée par cinq autres coups de feu tandis que Zoubeir s’abritait derrière son corps. Il finit par se dégager d cadavre et courut, rapide comme l’avait été sa véloce mère dix-sept ans plus tôt. Une fois qu’il se fut élancé, même les balles ne purent plus le rattraper.
Vous savez comment finit l’histoire. Il s’échappa et devint le plus grand chef que Suntown ait jamais connu. Il n’éleva no autel, ni temple, ni même une simple cabane en l’honneur de Tia. Dans le Grand Livre, le nom de celle-ci n’est mentionné nulle part ailleurs. Zoubeir ne repensa jamais à elle, pas plus qu’il ne s’enquit de l’endroit où elle avait été enterrée. Tia était vierge. Elle était belle. Et c’était une fille. Se sacrifier ainsi était son devoir.
Je n’ai jamais aimé cette histoire. Et depuis la mort de Binta, je la déteste.
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Il y a des milliers d'années, lorsque le pays n'était encore que sable et arbres morts, Ani posa les yeux sur son domaine. Puis elle créa les Sept Rivières et les fit se rejoindre pour former un lac profond. « Un jour, dit-elle, je créerai de la lumière. Pour l'instant je ne suis pas d'humeur. » Elle se retourna et s'endormit. Dans son dos, les Okekes sortirent de ces douces rivières. Ils étaient tous aussi agressifs que ces rivières bouillonnantes. Au fil des siècles, ils se répandirent sur les terres d'Ani et créèrent et utilisèrent et changèrent et altérèrent et répandirent et consommèrent et se multiplièrent. Ils bâtirent des tours, construisirent des machines, se battirent entre eux, inventèrent. Il plièrent et déformèrent le sable d'Ani, son eau, son ciel, son air, prirent ses créatures et les transformèrent. Lorsqu'Ani se fut assez reposée, elle se retourna. Et ce qu'elle vit l'horrifia. Alors elle tendit la main parmi les étoiles et tira le soleil vers ses terres. Du soleil, Ani arracha les Nurus et maudit les Okeke.
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Il y a des milliers d’années, lorsque le pays n’était encore que sable et arbres morts, Ani posa les yeux sur son domaine. Puis elle créa les Sept Rivières et les fit se rejoindre pour former un lac profond. « Un jour, dit-elle, je créerai de la lumière. Pour l’instant je ne suis pas d’humeur. » Elle se retourna et s’endormit. Dans son dos, les Okekes sortirent de ces douces rivières. Ils étaient tous aussi agressifs que ces rivières bouillonnantes. Au fil des siècles, ils se répandirent sur les terres d’Ani et créèrent et utilisèrent et changèrent et altérèrent et répandirent et consommèrent et se multiplièrent. Ils bâtirent des tours, construisirent des machines, se battirent entre eux, inventèrent. Il plièrent et déformèrent le sable d’Ani, son eau, son ciel, son air, prirent ses créatures et les transformèrent. Lorsqu’Ani se fut assez reposée, elle se retourna. Et ce qu’elle vit l’horrifia. Alors elle tendit la main parmi les étoiles et tira le soleil vers ses terres. Du soleil, Ani arracha les Nurus et maudit les Okeke.
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« Quand le père d’un enfant est Nuru, l’enfant l’est aussi. Alors j’ai été élevé en Nuru chez ma tante et mon oncle. Quand j’avais six ans, mon oncle m’a fait devenir l’apprenti d’un sorcier nommé Daib. J’imagine que je devrais lui en être reconnaissant. Daib était célèbre parce qu’il n’hésitait jamais à faire étalage de son art. D’après mon oncle, c’était un ancien militaire. Il connaissait la littérature aussi. Il avait beaucoup de livres… tous finiraient par être détruits, un jour. »
Mwita s’interrompit en plissant les yeux. J’attendis qu’il continue.
« Mon oncle a dû payer et supplier Daib pour qu’il m’instruise… parce que j’étais ewu. J’étais là quand mon oncle l’a imploré, dit Mwita d’un air dégoûté. Il était à quatre pattes. Daib lui a craché dessus et lui a dit qu’il acceptait uniquement parce qu’il connaissait ma grand-mère. Ma haine de Daib a nourri mon apprentissage. J’étais jeune mais je haïssais comme un homme d’âge mûr au seuil de la vieillesse.
« Mon oncle avait supplié, s’était humilié pour une bonne raison. Il voulait que je sois en mesure de me défendre. Il savait que ma vie allait être rude. J’ai vécu ainsi, et les années ont passé assez plaisamment. Jusqu’à mes onze ans, il y a quatre ans. Les massacres ont recommencé dans les cités et se sont rapidement répandus jusqu’à notre village.
« Les Okekes ont riposté. Et une fois de plus, comme par le passé, ils n’étaient ni aussi nombreux ni aussi bien armés que l’ennemi. Mais dans mon village, ils étaient furieux. Ils ont pris d’assaut notre maison, tué ma tante et mon oncle. J’ai appris par la suite qu’ils en avaient après Daib et tous ceux à qui il était associé. J’ai dit que Daib avait été militaire, mais ce n’est pas tout. Apparemment, il était réputé pour sa cruauté. Ma tante et mon oncle ont été tués à cause de lui, parce que j’étais son élève.
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Les anormaux se retrouvaient toujours à servir les gens normaux. Si vous refusiez, ils vous haïssaient… Et bien souvent, ils vous haïssaient même si vous les serviez. Comme ces filles et ces femmes ewu. Comme Fanta et Nuumu. Comme Mwita et moi.
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Vidéo de Nnedi Okorafor
Cette semaine, la librairie Point Virgule vous propose de passer par l'art pour soigner les cœurs et les esprits, nottament des plus jeunes, à travers divers lectures ou exercices pratiques.
- La fille aux mains magiques, Nnedi Okorafor & Zariel, ActuSF, Collection Graphic, 20€ - Le Château des Papayes, Sara Pennypacker, Gallimard Jeunesse, 16€ - Coloriages, Joëlle Jolivet, Les Grandes personnes, 10€ - L'art en bazar, Ursus Wehrli, Milan, 14,95€
Musique du générique d'intro par Timo Vollbrecht.
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