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Critique de sultanne


Votre rouge, Madame Oksanen, n'est pas le notre. Rouge sang, rouge obsédant ; votre rouge est celui de la sensualité, de la sexualité, il tire un peu, parfois, sur la pornographie.

Votre roman, Madame Oksanen, n'a rien à voir avec mes romans. Mes romans à moi rebondissent et virevoltent dans une épidémie de péripéties. Là où vous affirmez votre identité estonnienne, Madame Oksanen, vous n'échappez pas à une étrange filiation avec le roman russe : dans ce soucis du détail, je reconnais Tolstoï ; dans votre héroïne dépassée par une force intérieure qui la dévore, je reconnais Dostoïevski ; dans votre kitch du vomi, je reconnais le kitch de la merde et, par là-même, celui de Kundera. Oui, me direz-vous, mais ce n'est pas le même orifice... vous me concèderez que c'est bien la même tuyauterie... Mais ce ne sont là que mes repères de petite européenne (de l'Ouest, je le précise).

Alors bravo à vous, Madame Oksanen, non seulement parce que vous honorez le prénom que nous portons toutes deux, mais aussi, et surtout, pour le courage que vous avez eu de malmener mes petits clichés occidentaux, celui de la pute de l'est, notamment ; cliché qui perdure intact depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à ce jour et du fin fond de la Finlande jusqu'au pays des droits de l'homme. Et cette pute de l'est, dont la taille de guêpe fait blémir la bonne mère de famille française et que nos maris engraissent allègrement et si discêtement, en bons pères de famille qu'ils sont, celle que nous regardons tous avec tant de condescendance, en bons petits occidentaux que nous sommes.
Et bien, Madame Oksanen, vous avez eu le cran de nous jeter à la figure, et sans vergogne, le cliché le plus honteux que nous entretenons depuis des décennies et de nous montrer que la pute de l'est, dans un dernier sursaut d'humanité, là où Césaire, le Grand Césaire, peut encore s'esclaffer de nous voir "remâcher le vomi de Hitler", elle, la pute de l'est, traînée dans la fange, exploitée et humiliée, roulée dans la merde de son propre bourreau, elle est capable, sans dire un mot, de se relever des années après, de parcourir à pieds les centaines de kilomètres qui la séparent de sa ville natale et, l'estomac noué de plusieurs générations meurtries, d'aller vomir sur la tombe d'un Lénine ou d'un Staline.

La puissance de vos non-dits, Madame Oksanen, me laisse sans voix et, si elle ne correspond pas à mes petits poncifs d'étudiante savante, elle a su me toucher là où sa fait hum...
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