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Citations sur Jusqu'au bout (13)

- On pourrait remonter cette clairière jusqu'à son extrémité nord et, de là, prendre un azimut en direction du coude, suggère t-il.
- "Prendre un azimut", ça m'a l'air génial, acquiesce Zoo, puis elle éclate de rire. Mais ça consiste en quoi ?
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Je ne veux pas y aller. Je n’ai plus pénétré dans aucune maison depuis qu’une poignée de ballons bleu ciel m’a menée jusque dans un chalet où tout était bleu. Une lumière crépusculaire et un ours en peluche, qui m’observait.

Je ne peux pas.

Tu as besoin d’eau. Ils n’utiliseront pas deux fois le même stratagème.

Je m’engage dans l’allée. Chaque pas me pèse, je n’arrête pas de me prendre les pieds partout. À ma droite, mon ombre, aussi agile que je suis empotée, escalade les troncs d’arbres et saute de l’un à l’autre.

Apparaît assez vite, plantée sur une pelouse à l’abandon, une énorme maison à colombages noirs et crépi blanc cassé qui a cruellement besoin d’un rafraîchissement. C’est le genre de maison que, enfant, j’aurais prétendue hantée. Un 4 x 4 rouge me cache la porte d’entrée. Depuis le temps que je ne me déplace plus qu’à pied, ce véhicule me fait l’effet d’un vaisseau extraterrestre. On nous a bien spécifié qu’il était interdit de conduire et ce 4 x 4 n’est pas bleu, mais il n’est sans doute pas là pour rien. Je m’en approche lentement. Auront-ils déposé un pack de bouteilles d’eau dans le coffre ? Ça me dispenserait d’entrer dans ce manoir. La carrosserie est éclaboussée de boue séchée. On voit que c’est de la boue, pas de la terre, car on distingue nettement la dynamique des gerbes. Le motif évoque un test de Rorschach, mais je n’y devine aucune image.

Shhhip ship, ship ship.

Revoilà mon oiseau de braise. Je penche la tête de côté pour essayer de le localiser et, ce faisant, je remarque un autre bruit : le grasseyement discret de l’eau qui court. Le soulagement m’envahit ; je n’ai pas besoin d’entrer dans la maison. La boîte aux lettres n’avait pour fonction que de me conduire à ce ruisseau. J’aurais dû entendre immédiatement son chuintement, mais l’épuisement et la soif ont émoussé ma concentration.
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L’oiseau de braise s’est tu au loin et la prestation de l’orchestre s’en ressent. La soif se rappelle à moi avec force. La déshydratation provoque des pincements derrière mes tempes. J’attrape ma gourde quasiment vide, je soupèse sa légèreté, je tâte le bandana bleu ciel confit de crasse enroulé autour du bouchon. Je sais que mon corps peut tenir plusieurs jours sans eau, mais je ne supporte pas d’avoir la bouche sèche. Je bois une gorgée en veillant à ne pas gâcher la moindre goutte, et quand je me pourlèche pour capturer toute l’humidité résiduelle, je détecte un goût de sang. Je lève la main, l’écarte, et vois la traînée rouge qui barre le gras du pouce en même temps que je sens la crevasse dans ma lèvre gercée. J’ignore depuis combien de temps elle est là.

L’eau est ma priorité. Je marche depuis déjà plusieurs heures, mon ombre est bien plus étirée que lorsque je suis repartie de l’épicerie, me dis-je. Depuis, j’ai croisé quelques maisons, mais aucun autre commerce, et rien qui ne soit marqué en bleu. L’odeur du mannequin est toujours là, prégnante.

Tout en avançant, j’essaie de poser le pied sur l’ombre de mes genoux. C’est impossible, mais ça me distrait. Ça me distrait même si bien que je manque de dépasser la boîte aux lettres sans même la remarquer. Elle a la forme d’une truite et le numéro de la maison est dessiné avec des écailles en bois multicolores.
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Et comme chaque jour ou presque depuis que Wallaby est parti, je marche, à l’affût d’Indices. Je l’ai baptisé Wallaby parce qu’aucun des cameramen n’a voulu nous dire son nom, et que ses apparitions au lever du jour me rappelaient des vacances en Australie, il y a des années de ça. On campait dans un parc national le long de Jervis Bay et le deuxième jour, au réveil, je me suis trouvée quasi nez à nez avec un wallaby au pelage couleur de marécage. Il me fixait, assis dans l’herbe à moins de deux mètres de moi, et malgré mes yeux qui me grattaient – j’avais dormi avec mes lentilles – je distinguais clairement la rayure de poils plus clairs qui barrait sa joue gris brun. Il était magnifique. Et tandis que je restais clouée de stupeur, émerveillée, je m’étais sentie jaugée, mais d’un regard aussi impersonnel qu’un objectif d’appareil photo.

La comparaison s’arrête là, bien entendu. Wallaby le cameraman aurait du mal à rivaliser avec la beauté du marsupial, et ce n’est pas une campeuse mal réveillée et criant à tue-tête « Un kangourou ! » qui l’aurait fait détaler en quelques bonds. Mais Wallaby était toujours le premier arrivé, le premier à braquer, sans un bonjour, son objectif sur mon visage. Et lorsqu’ils nous ont laissés seuls, pendant le camp de groupe, c’est lui qui est réapparu pour filmer chaque Confessionnal désiré par la production. Aussi prévisible et fiable que l’aurore, du moins jusqu’au troisième matin de ce Solo où le soleil s’est levé sans lui, a traversé le ciel sans lui, s’est couché sans lui – et je me suis dit, ça devait arriver un jour. Le contrat spécifiait que nous resterions seuls pendant de longs laps de temps, filmés à distance. Je m’y étais préparée, j’avais hâte même que cela arrive. Maintenant que j’y suis, je serais ravie d’entendre Wallaby venir vers moi à travers bois.

J’en ai tellement marre d’être seule.
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Je me couvre le nez avec les pans de ma chemise et je m’approche de la caisse. Leur mannequin est bien là où je m’y attendais, allongé sur le dos. Celui-là, ils l’ont revêtu d’une chemise en flanelle et d’un pantalon de treillis. En respirant à travers ma chemise, je m’engage dans le passage et j’enjambe le mannequin. Le mouvement disperse une nuée de mouches qui reviennent vers moi en bourdonnant. Je sens sur ma peau le chatouillement des pattes, des ailes, des antennes. Mon pouls s’accélère, je relâche mon souffle vers le haut, et le bas de mes verres de lunettes s’embue.

Ce n’est qu’un autre Défi. Rien de plus.

J’aperçois un sachet par terre – un assortiment de fruits secs. Je le ramasse et recule aussitôt, je troue l’essaim de mouches, j’enjambe le mannequin et quitte les lieux en trombe. La porte se moque de ma sortie précipitée en applaudissant.

— Je t’emmerde, je marmonne en ployant le buste, mains écrasées sur les genoux.

Ils devront censurer ça, mais eux aussi, je les emmerde. Rien dans le règlement n’interdit les gros mots.

Je sens la caresse du vent, mais pas l’odeur des bois. La pestilence du mannequin reste emprisonnée dans mes narines. Le premier ne puait pas autant, mais il était encore frais. Celui-ci, comme le précédent, dans le chalet, est censé être plus ancien. J’expire par le nez, de toutes mes forces, mais je sais que cette puanteur va me poursuivre encore plusieurs heures, et qu’en attendant je ne pourrai rien avaler, même si mon corps réclame des calories d’urgence. Je dois me remettre en route, m’éloigner d’ici. Trouver de l’eau. J’ai beau me dire tout ça, mon cerveau bloque sur une autre pensée – le chalet, et leur second mannequin. Le poupon emmailloté de bleu. Cet instant du premier vrai Défi est devenu un souvenir gélatineux, une tache permanente sur ma conscience.
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J’aperçois un reflet sous une étagère, tout en bas. En me mettant à quatre pattes, la boussole suspendue à mon cou cogne contre le sol. Je la glisse sous ma chemise et remarque qu’à force de frottements, le rond de peinture bleu ciel sur le bord du boîtier est presque entièrement effacé. À cause de la fatigue, je suis à deux doigts d’y voir un signe là où il n’y en a aucun ; on a fourni une peinture de mauvaise qualité au stagiaire chargé de cette tâche, rien de plus. Je m’allonge presque à plat ventre.

C’est un pot de beurre de cacahuète, qui a roulé sous l’étagère ; le verre est fêlé. Je passe le doigt sur la fissure qui court du couvercle jusqu’à l’étiquette, juste au-dessus du B de Bio, et ne sens aucun relief. Ils m’ont laissé du beurre de cacahuète – comme par hasard ; je déteste le beurre de cacahuète. Je glisse le pot dans mon sac.

Les gondoles réfrigérées sont vides, à l’exception de quelques canettes de bière, que je ne prends pas. J’avais espéré trouver de l’eau. Une de mes gourdes est à sec et l’autre, que j’entends ballotter contre ma hanche, est aux trois quarts vide. Sans doute d’autres candidats sont-ils parvenus ici avant moi ; ceux qui n’ont pas oublié de faire bouillir leur eau et n’ont donc pas perdu plusieurs jours à vomir, seuls, dans les bois. Et celui qui a laissé cette empreinte – Julio, Elliot ou le petit geek dont le nom m’échappe – a eu droit aux victuailles de choix. Voilà ce que c’est d’arriver en dernier : on écope d’un pot fêlé de beurre de cacahuète.
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Le producteur lui aussi mourra, cinq jours après cette conversation. À l’instant fatidique, il sera seul dans sa villa de trois cent quatre-vingts mètres carrés, faible et abandonné. Sans même s’en rendre compte, il lapera le sang qui coule de son nez, tant sa langue sera sèche. À ce moment-là, ils auront diffusé les trois épisodes de la première semaine ; le dernier aura été un intermède délicieusement idiot entre deux flashs infos alarmants mais ils poursuivent le tournage, bien qu’ils se retrouvent empêtrés dans cette région, la première et la plus durement touchée. Sur le terrain, la production essaie d’évacuer tout le monde, mais les candidats, qui disputent des défis individuels, sont éparpillés. Il avait été prévu des plans B, mais pas pour ça, pas pour cette spirale infernale. La situation fait penser à un enfant qui joue avec un spirographe : le stylo, guidé par les contours, obéit sagement à un motif, et puis soudain, ça dérape, le stylo glisse, s’affole. Le motif bascule dans la folie. L’incompétence entre en collision avec la panique. Les bonnes intentions cèdent le pas à l’instinct de survie. Personne ne sait avec exactitude ce qui s’est passé, à une petite ou une plus grande échelle. Personne ne sait précisément ce qui est allé de travers. Mais avant de mourir, le producteur aura au moins cette certitude : quelque chose est allé de travers.
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Même les meilleurs d’entre nous peuvent craquer, songe le monteur. Après tout n’est-ce pas l’idée qui sous-tend toute l’émission, faire craquer les concurrents ? On a dit aux douze candidats qui sont entrés dans l’arène que ce n’était pas un jeu de survie, mais une course d’orientation et de vitesse, et c’est vrai, mais… Même le titre qu’on leur a communiqué était du flan – « sous réserve de modification », est-il indiqué en petits caractères dans leur contrat. Effectivement, dans la zone de texte sur l’écran du monteur, le titre n’indique pas Dans les bois, mais Dans le noir.
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Les spécialistes se démèneront pour comprendre, mais le temps leur fera défaut. Cette chose, quelle qu’elle soit, rôde avant de frapper. C’est une passagère discrète qui, soudain, s’empare du volant et fonce droit sur la falaise.
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Là ou le torrent fait un coude, un gros rocher se prélasse au soleil. Passé midi, le point culminant du paysage l’avale dans son ombre. Niché dans son repli le plus sombre attend voter prochain Indice.
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