noms fictifs

encore aujourd'hui
tantôt
le soir
quand je rentre tout seul chez moi
m'ouvre une bière
j'essaie de trouver un sens
y arrive pas
m'ennuie toute la soirée
séries en rafale
deux-trois amis toujours les mêmes
vais m'engourdir dans des salles sombres
au milieu de gens qui se câlissent de moi
essaie d'écrire de belles choses
dans l'acharnement
rarement me sentir à la hauteur
arriver à rien nommer
surtout pas la faille du système
surtout pas la marche folle du monde

heille tu sais quoi johnny
j'ai un nouveau projet depuis quelques temps
je vais te voler ta vie
pas juste la tienne
celle de dizaines d'autres aussi
rencontrés ici
parce que vous êtes de si beaux personnages
que vos vies rocambolesques
comparées à la mienne sont si parlantes
je vais m'en emparer
les déformer
les réécrire
les exposer
tout ça pour qui
pas pour vous-autres certain
pour me couvrir de gloire
gonfler mon propre narcissisme
et enfin réaliser mon rêve
celui de publier un livre
un beau livre que les gens vont apporter avec eux dans le métro
laisser traîner sur leur table de chevet
avec lequel je vais sûrement
aller me pavaner au salon du livre
faire des entrevues
pouvoir dire des phrases comme
ouin ben je viens de publier ça
pour épater des gars rencontrés sur des applications
que je revois jamais plus qu'une fois
un livre qui ne sera pas une de ces plaquettes-de-cent-pages-qui-se-passent-dans-un-appart-du-plateau-mettant-en-scène-les-angoisses-insignifiantes-de-leur-auteur
non
un beau livre qui va parler du vrai monde au vrai monde
grâce à vous
quitte à vous oublier en chemin
parce que j'ai si désespérément besoin d'attention
carencé comme je suis
toujours à chercher la fuite
incapable de garder personne dans ma vie
à leur voler tout ce que je peux
à m'en débarrasser quand ils m'amusent plus
exactement comme je vais faire avec toi
et tes collègues d'infortune

je m’imagine son appartement
que j’ai souvent visité à travers ses mots
appartement supervisé pour personnalités fragiles
les quatre murs jaunis aux parois minces
trop minces pour contenir les frissons
qui la prennent quand elle s’y attend le moins
ni lui faire abandonner
une fois pour toute
l’idée de tout abandonner

la peur est un muscle qui se gonfle avec l'usage