En étant le père d'un tel bébé, on ne peut que devenir le symbole même de la tourmente du savant.
Virginie Ollagnier, lyonnaise dit avoir été sous le charme de ce scientifique dès sa formation étudiante. Et ça se sent. le livre met en avant non seulement les atouts scientifiques de cet homme mais aussi tout ce qui a fait son charme. « Yeux bleus, regard transparent », homme à femmes et voitures folles, philosophe et poète dans un gant de chimie dévastatrice. Oui, c'est bien ainsi que j'ai perçu Oppenheimer, un coeur tendre camouflé dans un gant d'homme sûr et pragmatique. Sa beauté d'âme est perceptible au travers de ses actes de défenseur des pauvres, de son action contre Franco en Espagne et de son militantisme financier au Parti communiste. Cette beauté n'a en rien altéré ses facultés de grand physicien lorsqu'il s'est agi de piloter le Projet américain Manhattan, créer une bombe atomique ; ce sera chose faite en 1942.
Son ami, Isidor Rabi, dit que c'est justement cette grande intelligence qui a entrainée une telle humilité des sentiments d'Oppenheimer… A moins que ce ne soit l'inverse ? Au fond, le résultat est le même. Retenons simplement que sa grande fragilité s'est transformée en grâce, que sa grande intelligence l'a tué. Il était encore jeune, un peu plus de quarante ans.
A moins que ce ne soit l'attitude du « en-même temps » - régulièrement plébiscité en France - , qui ne l'aura pas sauvé.
L'autrice choisit, 50 ans après les faits, de donner la parole à un narrateur dont le statut est pour le moins particulier puisqu'il s'agit de l'homme qui a autorisé l'assassinat de
Robert Oppenheimer.
On se réveille avec lui un matin de 2004 puis, à ses côtés, on retraverse une partie du XXe siècle en débutant au milieu des années 30 jusqu'au XXIe siècle avec les conséquences du 11 septembre 2001 ou l'arrivée du trumpisme.
On côtoie aussi bien Eisenhower que Roosevelt, des amis de
Malraux ou d'
Aragon, sa compagne Kitty, mais aussi des amis qui le trahiront, ou qu'il trahira lui.
On approche l'ambiance de la Commission à l'énergie atomique comme celle de ses virées.
On se ballade de Californie à Washington. On papillonne grâce aux travaux de recherche de l'autrice.
On goute sa bonne mais discrète documentation sans que cela ne nuise au roman. Ici elle compare l'oeuvre d'Oppenheimer avec l'histoire des gaz de combats en 1925, là-bas elle nous emmène aux essais de la bombe à Bikini.
Le livre de
Virginie Ollagnier est culturellement abouti, suffisamment complet pour nous faire connaitre l'homme qu'était
Robert Oppenheimer mais aussi vivre l'environnement et le piège qui s'est refermé sur lui. D'aucuns diront « c'est bien fait pour lui, il n'a eu que ce qu'il mérite », et je les comprends. Mais, si je ne veux que parler du livre je dirais qu'au final, ça reste un roman qui se lit et qui nous bouscule autant qu'il se doit autour d'un thème que l'actualité a remis à l'avant de la scène.
Citations
Si Oppenheimer était un gauchiste, il l'était à la manière des grands bourgeois se préoccupant de la misère des petits, de l'injustice du coût de l'éducation et des soins. Rien dans son discours ne laissait à penser à un bolchevik couteau entre les dents.
La presse d'après-guerre avait fait de lui une idole, celle de la guerre froide le descendrait.- Robert était de gauche , certes, mais ni un bolchevik, ni un espion.
Mais elle était tombée amoureuse le tout premier jour, à une party à Pasadena en août 1939 où, présentés l'un à l'autre par leur hôte, tout l'après-midi ils s'étaient fait l'amour des yeux.