Citations sur L'enfant au bout de la plage (22)
Même au sein de mon couple, pareille connexion m'était inconnue. Mon mari et moi avions vécu côte à côte mais jamais je n'avais eu accès à son monde intérieur, ni lui au mien. Jamais je n'avais éprouvé le bonheur de travailler sur un projet commun.
Et comme personne ne parlait de ce qui s' était passé cette nuit-là, elle avait l' impression que cela grandissait, grandissait chaque jour davantage. Â la fin , il n'y avait plus que ça. ça recouvrait tout , empêchait de voir tout le reste normalement. De sentir quoi que ce soit .Tout ce qu'elle voyait ou entendait lui parvenait à travers cette nuit. Tout ce qui évoluait autour d'elle lui paraissait lointoin, sans importance. Au début, elle avait espéré que quelqu'un lui poserait les bonnes questions.Qu'elle aurait le droit de raconter......Elle l'avait espéré comme une personne qui se noie espère. Être vue. Être secourue.Être comprise. Elle avait espéré qu'on l'aiderait à comprendre .Qu'elle pourrait apprendre à respirer à nouveau. Mais personne ne lui avait rien demandé. Ils s'étaient contentés de sourire, la tête penchée. Lui tapoter la tête......p.148
J'avais accepté tous mes souvenirs sombres. Mais je ne m'étais jamais aperçue que les beaux souvenirs étaient aussi à moi. J'avais un droit sur eux. Le droit de les appréhender dans leur entièreté, sans préjuger de ce qui s'était passé avant et après. J'avais un droit sur mon bonheur comme sur mon chagrin.
Il y a des moments dans la vie où l'on se retrouve à des carrefours sans plus avoir la capacité de les évaluer. Tout ce que l'on peut faire, c'est se laisser dériver.
En observant la mer dans mon viseur, je finis par prendre conscience de ce qu'elle signifiait pour moi. La cohérence. A mes yeux, elle représentait la cohérence. L'unité. Et, peut-être, la résilience. La mer se laissait volontiers influencer par d'autres éléments, mais de façon provisoire : elle ne cessait jamais d'être elle-même. C'est à cette résilience que j'aspirais. Cette sensation d'unité. Je voulais être sûre que ce qui m'attendait dans la vie ne m'empêcherait pas d'être moi-même. Mon moi complet, contenant tout ce que j'avais été et tout ce que j'avais le potentiel de devenir.
Rares sont les personnes capables de tirer une leçon de leur expérience. Et nul ne peut effacer une action passée.
Je pouvais me bercer d’illusions en pensant que les choix existent, mais ce sont uniquement mes choix jusqu’à ce que je prenne ma décision. Aucun retour en arrière n’est possible. On n’a jamais la possibilité de changer quoi que ce soit. L’idée que l’on puisse librement choisir n’avait plus de sens pour moi. Je n’y croyais plus. J’étais arrivée à la conclusion que cela n’existait pas.
Les corps humains sont attirés les uns vers les autres par la pesanteur ou une autre loi physique inconnue de moi. Nous sommes désarmés, incapables de résister. Rassemblés ou séparés par une force qui n’a rien à voir avec notre volonté propre. Si nous pouvions nous observer d’en haut, nous verrions se dessiner un motif complexe : un enchaînement d’incidents et de conséquences infimes, apparemment aléatoires, mais s’inscrivant tous dans un processus cohérent tendu vers un but ultime. Ou, à tout le moins, un résultat final. Une réaction, si on préfère. Comme si une force au-delà de notre contrôle se servait de nous pour mener à bien une expérience. Nous poussant les uns vers les autres et observant les combinaisons au gré de leur formation.
Elle passe la semaine à Raglan. Elle n'y fait rien du tout. La décision la plus insignifiante, l'action la plus anodine sont au-delà de ses forces. Se lever. S'habiller. Déjeuner. Se promener. Chaque étape de la journée constitue une épreuve insurmontable requérant toute son énergie.
"Tu as déjà eu un enfant ? me demanda-t-il.
La question me prit au dépourvu - je m'étranglai dans mon thé. Lentement, je reposai le mug et tentai de me ressaisir.
- Non. J'aurais aimé, mais ça ne s'est jamais produit.
- Tu as une maman et un papa ?
Je secouai la tête.
- Non. Ils sont morts il y a longtemps.
- Une sœur ou un frère ?
Je secouai de nouveau la tête.
- Non.
J'hésitai un instant.
- J'avais un frère, finis-je par ajouter, mais je l'ai perdu.
Une longue pause s'ensuivit.
- Je peux être ton enfant. Je peux aussi être ton frère, si tu veux.
Ses yeux étaient obstinément fixés sur son assiette vide.
- Tu voudrais ?
Ma voix se transforma en murmure, tant j'avais du mal à m'y fier.
- Tu sais, Ika, c'est ce qui pourrait m'arriver de meilleur, et de loin.