« Je reçus une gifle. » C'est la 1ère phrase du roman de
Shohei Ooka. C'est aussi ce que ressens le lecteur qui arrive à la fin des « feux ».
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Les feux » n'est pas un roman de guerre comme les autres. D'ailleurs peut-on vraiment le qualifier de roman de guerre. Les combats ne sont pas au coeur de l'intrigue. Il faut dire que le récit prend comme contexte la déroute de l'armée japonaise dans les Philippines après la défaite de Leyte en 44. Il y a très peu d'action dans «
les feux », le roman est assez contemplatif et, en adéquation avec ce que vit son personnage principal, ressemble à une errance. Très inspiré de ses souvenirs personnels, Ooka livre un roman très singulier, étrangement poignant.
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Les feux » offre une lecture très particulière. C'est une expérience très sensorielle. Si parfois Tamura pense, réfléchit, la plupart du temps il n'est qu'un corps, quasiment réduit à une forme d'animalité. Il s'agit ici de survivre, et dans des conditions extrêmes la survie de l'esprit est conditionnée par la survie du corps. La faim, terrible, intense, qui creuse les joues et le ventre, qui conduit à la folie, est le véritable ennemi, la principale préoccupation.
Tout au long du roman, il est beaucoup question des corps, des sensations physiques. D'ailleurs, l'auteur utilise énormément les mots relatifs aux sens : voir, entendre, sentir… S'il place le corps, dans tous ses aspects même les plus triviaux, au centre du récit, «
les feux » est un roman qui a du coeur et de l'esprit. En parlant des corps, celui de Tamura, mais aussi ceux des autres, morts ou mourants, Ooka parvient à parler de l'âme humaine.
Le lecteur est amené à réfléchir, notamment à s'interroger sur la responsabilité individuelle dans un fait collectif. S'il n'apporte pas de réponse, Ooka pose la problématique de façon brillante. Mais si l'intellect du lecteur est stimulé, le roman touche d'abord au coeur et aux tripes. On est constamment collé aux basques de Tamura, on ne le quitte jamais, partageant son errance, sa solitude, ses souffrances. le premier sentiment qu'éprouve le lecteur c'est la compassion la plus entière. Face à tant de douleurs et de souffrances, on pardonne tout à Tamura, même le pire.
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Les feux » est plus qu'un roman qui traite de la 2nde Guerre Mondiale vue du côté des japonais, «
les feux » est un roman au propos universel. C'est de toutes les guerres qu'il est question. Qu'il soit du « bon » ou du « mauvais » côté, vainqueur ou vaincu, le soldat est un soldat, un Homme confronté au pire de l'Homme, confronté au pire de lui-même aussi.
Je remercie Babelio et les éditions Autrement pour m'avoir permis, dans le cadre de la masse critique, de découvrir une oeuvre si puissante. «
Les feux se hisse au niveau des plus grandes oeuvres antimilitaristes.
Tout bien réfléchi, «
les feux » n'est pas un roman qui fout une claque, c'est un roman qui saisit le lecteur et, petit à petit, resserre son étreinte de plus en plus fort, jusqu'à l'oppresser, le faire suffoquer. C'est encore plus fort qu'une gifle.