Juste avant de tomber dans l’inconscience, elle eut l’impression d’une chose étrange se manifestant en elle. Une porte s’ouvrait. Ce fut une sorte de révélation, un état que la pauvre fille n’avait jamais connu. Elle vit comme une bouffée de bleu pur. Alors elle pensa que tout le mal était fini. Elle sentit une caresse, quelque chose d’infiniment doux, apaisant.
En un éclair, sa vie lui devint limpide. L’existence un océan d’énergie. Tous les nœuds défaits, chaque chose à sa place, tout parfaitement simple, clair. L’océan d’énergie, elle le sentait dans chaque particule de son corps, la vie était là, immense, magique et merveilleuse, une expérience unique faite d’amour, de patience. Tout était beau et parfait. La bouffée de pur indigo s’enroulait tout autour d’elle, la pénétrant d’une lucidité unique. Puis, il n’y eut plus rien qu’un silence épais.
Quand il repensait à cette période de sa vie, il revoyait des adultes s’agiter, chacun à leur façon. Il les voyait passer, naître, mourir, ou disparaître simplement. Les personnages de ce temps avaient la consistance des fantômes, ou d’étranges et incompréhensibles marionnettes. C’est ainsi que Franck apprit à découvrir le monde et à le pratiquer.
La télévision, fidèle compagne qui le regardait s’endormir presque chaque soir, proposait une série d’émissions toutes plus débiles les unes que les autres et il porta son choix sur ce qui devait être un débat ponctué de reportages. Des femmes montraient leurs seins et leurs fesses. Probablement un « pour ou contre » la chirurgie esthétique. Les chaînes se lançaient timidement dans les moyens putassiers qui font grimper l’audimat. Ce n’était pas encore l’avalanche, mais cela n’allait pas tarder. Que ce soit de l’audimat, des seins ou des fesses, Franck s’en foutait éperdument. Il avait coupé le son, et pour ce qui est de l’intérêt qu’il pouvait trouver au sujet…
Il y a des êtres aptes à comprendre rapidement la leçon et d’autres réfractaires. Franck était indiscutablement de ceux-là, les durs de l’entendement. Avec eux, la vie doit en venir aux extrêmes, elle doit recourir aux grands moyens. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas aimés, mais seulement qu’ils sont ainsi faits qu’on doit les contraindre, les assommer pour qu’ils cessent de penser que tout est écrit et qu’ils sont ce qu’ils sont parce qu’on en a décidé ainsi, à leur place et en leur absence.
Le métier de recruteur qu’on présentait quelques années plus tôt comme l’art de distinguer la bonne personne, au bon moment, dans le poste adéquat, était devenu l’art de mettre à la corbeille des centaines de lettres et de CV, chaque semaine.