Citations sur Les Cent plus beaux poèmes de la langue française (34)
CHANSON DE FORTUNIO – Alfred de Musset
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.
Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.
Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis, s'il lui faut ma vie,
La lui donner.
Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.
Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer.
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l’on fait à son frère
Pour le mal que l’on souffre est un soulagement.
Extrait de L’AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE – Jean-Pierre Claris de Florian
A MADAME DU CHATELET – Voltaire
Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours,
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage,
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge à tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! Pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien ;
Cessez d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cessez de vivre ce n’est rien.
Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements,
Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
LA COMPLAINTE (Fragment) - Rutebeuf
Les maux ne savent seuls venir :
Tout ce qui m'était à venir
Est advenu.
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ?
Je crois qu'ils sont trop clair semés :
Ils ne furent pas bien fumés,
S'ils m'ont failli.
Ces amis-là m'ont bien trahi,
Car, tant que Dieu m'a assailli
En maint côté,
N'en vis un seul en mon logis :
Le vent, je crois, les m'a ôtés.
L'amour est morte :
Ce sont amis que vent emporte,
Et il ventait devant ma porte :
Les emporta.
Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.
(...)
Odelette, Henri de Régnier (1864-1936)
L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d'or de son rouge éventail.
Soleil couchant, José Maria de Heredia, page 129.
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Chanson du Mal Aimé, Guillaume Apollinaire, page 184.
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ;
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité du bois.
L'Automne, Alphonse de Lamartine, page 65.
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre (...).
Le Cimetière marin, Paul Valéry, page 171.
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie,
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Chanson de la plus haute tour, Arthur Rimbaud, page 142.