Nous sommes au début de l'hiver 1803-1804.
Bonaparte, Premier consul, reçoit en l'hôtel des Tuileries, Cambacérès, le deuxième consul.
Une réunion de travail s'achève, un dialogue à bâtons rompus, va alors s'instaurer. Le bavardage anodin, les propos familiers au départ vont évoluer, ils deviendront un peu moins falots au fur et à mesure de la conversation …
Les deux hommes vont comparer tout d'abord leur résidence respective, leur goût culinaire, ils vont échanger sur la situation économique et sociale de la France qui peu à peu tente de sortir du marasme, ils vont aussi évoquer les problèmes domestiques : les mésalliances conjugales de la famille , les chamailleries entre Joséphine et ses belles-soeurs. Bonaparte, va aussi cailleter sur l'homosexualité de Cambacérès, puis, les deux compères abordent un futur proche, et, petit à petit, les ambitions de Napoléon se dévoilent, s'éclaircirent , s'animent pour devenir limpides, il sera empereur, et Cambacérès a qui Napoléon promet de devenir archichancelier de l'Empire, restant ainsi le second personnage de l'Etat, se met à rêver à cet Empire prochain. Les deux compères se prennent au jeu, imaginent déjà la scène du couronnement, les attributs de cet empire…
La démesure rêvée prend encore plus forme de réalité quand Cambacérès va enfin se retirer, proche de l'état d'enchantement. Tout est quasiment décidé, prêt à être concrétisé (cela se fera quelques mois après), il va saluer Bonaparte en s'inclinant et lui donnant le titre de Sire…
Un petit texte fort jouissif, pertinent, spirituel qui, selon Jean d'Ormesson a été construit avec des propos, des anecdotes réelles attribués à Napoléon Bonaparte (pas forcément en respectant la chronologie des événements), paroles fictives pour Cambacérès (quoique, en cherchant bien… !)
Pour ma part, je me permets de penser que cette scène a été inspirée à D Ormesson après une lecture « du souper de Beaucaire »
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Le texte de Jean d'Ormesson est plus qu'une brillante pochade. Il capture, par le style et l'érudition, l'un des tournants de l'histoire française.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Jean d'Ormesson revient sur les grandes ambitions de Napoléon de Bonaparte en imaginant les conversations qu'il aurait pu avoir au cours de sa vie. […] Jean d'Ormesson réussit là une photographie palpitante : il capture cet instant, fragile, où l'ambition d'un homme bouleverse le cours du monde.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Et si j'instaurais l'Empire? C'est la question que pose Bonaparte à Cambacérès dans un éblouissant dialogue imaginé par Jean d'Ormesson. […] Et c'est un régal, un dialogue pétillant d'humour et d'intelligence comme on les aime chez Jean d'Ormesson. L'historien n'a rien à corriger. Tout est juste et vrai.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
BONAPARTE
Nulle société ne peut exister sans morale. Il n'y a pas de bonne morale sans religion. il n'y a donc que la religion qui donne à l'Etat un appui ferme et durable.
Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole.
J'ai été mahométan en Egypte, j'aurais été bouddhiste en Inde.
Je suis catholique ici pour le bien du peuple parce que la majorité est catholique.
Cambacérès
J'étais partisan d'un gouvernement d'assemblée, vous m'avez converti au gouvernement personnel.
J'étais attaché à la République, vous m'avez rallié à l'Empire.
Voilà que, par l'effet de votre parole, la France qui me paraissait si grande me semble toute petite au regard de l'Europe et l'Europe insignifiante au regard du monde dominé par votre génie. Vous êtes un alchimiste. Vous êtes un magicien. Le plomb de nos fluctuations et de nos incertitudes, vous le changez en or pur.
Bonaparte : pour la première fois depuis longtemps, le pouvoir est exercé par un homme qui comprend les besoins des Français et qui se confond avec ce qu’ils réclament : l’ordre, la gloire, la paix et le respect de la religion, la garantie des biens nationaux .Cet homme, c’est moi. ( …) Je vous le déclare, Cambacérès, je ne puis plus obéir .J’ai goûté du commandement et je ne saurais y renoncer
La politique est la forme moderne de la tragédie. Elle remplace sur notre théâtre la fatalité antique. L'avenir n'est à personne. J'essaie de le soumettre à ma volonté.
BONAPARTE
Votre prudence n'empêche tout de même pas Talleyrand de ramasser lles trois consuls dans une formule de son cru dont tout Paris s'amuse:
"Hic, Haec, Hoc...."
CAMBACERES
Hic Haec Hoc? M. de Talleyrand se souviendrait-il encore de son latin de cuisine?
BONAPARTE
Hic, celui-ci, le démonstratif masculin avec une nuance emphatique, c'est moi.
Haec, celle-là, le démonstratif féminin, vaguement péjoratif, c'est vous.
Hoc, cette chose-là, le démonstratif neutre, tout à fait insultant, c'est ce pauvre Lebrun.
Je vous le dis avec amitié, ne soyez pas trop Haec, Cambacérès.
JEAN D'ORMESSON / JE DIRAI MALGRÉ TOUT QUE CETTE VIE FUT BELLE / LA P'TITE LIBRAIRIE