Erik Orsenna occupe une place à part dans le monde français des lettres. Ce n'est pas à proprement parler un écrivain bien qu'il ait remporté le Prix Goncourt et ait été élu à l'Académie française. Il est trop dilettante pour être réduit à n'être qu'un haut fonctionnaire alors même qu'il est titulaire d'un doctorat d'Etat en économie, qu'il fait figure de spécialiste des questions africaines, qu'il est passé par les cabinets (
Jean-Pierre Cot puis
François Mitterrand) avant d'intégrer le Conseil d'Etat. Depuis vingt ans maintenant, chacun des ouvrages de cet écrivain éclectique rencontre le succès, qu'il s'agisse des romans ("
L'exposition coloniale", "
Madame Bâ"), des biographies ("Portrait d'un homme heureux. André le Nôtre"), des fables ("
La grammaire est une chanson douce", "
Les Chevaliers du subjonctif").
Avec son « Voyage aux pays du coton »,
Erik Orsenna a une fois encore rencontré un grand succès. Sans doute sa réussite tient-elle à la facilité de lecture de ce petit livre distrayant qui nous amène aux quatre coins du monde, du Mali à la Chine, en passant par les Etats-Unis, l'Ouzbékistan, l'Egypte … le prétexte à ce livre (réaliser un reportage pour Arte) comme sa structure (une quarantaine de courts chapitres organisés autour d'un lieu et d'une rencontre) ne sont pas sans analogie avec "
American Vertigo" sorti quelques mois plus tôt et lui aussi consacré par le succès public. Sans doute
Erik Orsenna ne goûterait-il guère d'être comparé à
Bernard-Henri Lévy : il faut lui reconnaître qu'il est moins orgueilleux que BHL et garde toujours à l'égard du sujet qu'il traite une distance ironique. Mais, comme le road movie américain de BHL, on peut reprocher aux voyages d'
Orsenna leur superficialité.
Car que retient-on de son livre ? Sans doute quelques rencontres déroutantes : le conservateur du musée du coton du Caire, le secrétaire général du puissant lobby cotonnier américain, l'alcoolique directeur d'un kolkhoze ouzbek … Chacune de ces rencontres stéréotypées est l'occasion de découvrir un pan de l'industrie cotonnière – la pauvreté des Maliens, le protectionnisme des Américains, l'hyper-libéralisme des Brésiliens – mais elles ne nous disent rien sur l'économie générale du coton. Il faut attendre les quinze dernières pages du livre pour que
Orsenna nous livre ses « conclusions » (au pluriel) décapantes. Alors que tout l'ouvrage – ainsi que ce qu'on connaissait de son auteur – laissait augurer une critique en règle de la mondialisation libérale et de ses effets néfastes sur les cultures locales, ces quinze dernières pages stimulantes combattent quelques idées reçues : l'idée qu'existerait un prix « juste » du coton et qu'un commerce équitable serait possible, que la logique de la mondialisation aurait fait éclater les solidarités familiales, les patriotismes chauvins, que l'économie se serait dématérialisée. Et
Orsenna de se demander, au retour de ce long périple sur la planète laborieuse si la France, obsédée par ses loisirs, ne serait pas sur la pente du déclin.