Retour sur la guerre d’Espagne
Élever le niveau de vie du monde entier à celui de la Grande-Bretagne ne serait pas une entreprise plus difficile que la guerre que nous menons a présent. Je ne prétends pas, et je vois mal qui pourrait prétendre que tous les problèmes s’en trouveraient résolus d’un coup. C’est simplement que la privation et le travail de brute doivent être abolis avant que les véritables problèmes de l’humanité puissent être abordés. Le problème majeur de notre temps est l’effondrement de la croyance dans l’immortalité personnelle, et il est impossible de s’y atteler tant que l’être humain moyen travaille comme un bœuf ou tremble de peur devant la police secrète. (Page 108)
À l’instar des astrologues, les commentateurs politiques ou militaires ne sont pratiquement jamais discrédités par leurs erreurs, car leurs adeptes les plus enthousiastes n’attendent pas d’eux une appréciation des faits, mais un encouragement à leurs allégeances nationalistes.
Quiconque s’est laissé un tant soit peu gagner par la passion nationaliste, qu’elle soit positive ou négative, refusera d’admettre certains faits, dont il sait pourtant d’une certaine façon qu’ils sont bien réels. En voici seulement quelques exemples. À côté de chacun des cinq types de nationalistes que j’énumère ci-dessous, je mentionne un fait qu’il lui est impossible d’admettre, même en son for intérieur :
Le conservateur anglais : la Grande-Bretagne sortira affaiblie, et avec un prestige entamé, de la guerre actuelle.
Le communiste : sans l’aide anglaise et américaine, la Russie aurait été vaincue par l’Allemagne.
Le nationaliste irlandais : c’est la protection anglaise qui permet seule à l’Irlande de rester indépendante.
Le trotskiste : les masses russes acceptent le régime stalinien.
Le pacifiste : ceux qui « renoncent » à la violence ne le peuvent que parce que d’autres se chargent de l’exercer à leur place.
Tous ces faits constituent de simples évidences pour qui considère les choses froidement : mais pour les individus mentionnés dans chaque cas, ce sont pourtant là des réalités intolérables ; ils doivent donc les refuser et construire sur ce refus des théories fantaisistes
Tous les écrivains sont vaniteux, égoïstes et paresseux, et le fond de leur motivation reste un mystère. Écrire un livre est un combat horrible et épuisant, comme un long épisode d'une douloureuse maladie. on ne se lancerait jamais dans une pareille entreprise si l'on n'était pas poussé par un démon qu'on ne peut comprendre et auquel on ne peut résister. Chacun sait que ce démon est simplement le même instinct qui fait crier le bébé pour avoir de l'attention. Pourtant, il n'est pas moins vrai qu'on ne peut écrire quelque chose de lisible qu'en luttant constamment pour effacer sa propre personnalité. (page 21)
Ce que j'ai voulu par-dessus tout au cours de ces dernières années, c'est faire de l'écriture politique un art. Mon point de départ est toujours une position partisane, un sentiment d'injustice.
Les citations franches de George Orwell (Les Vaillants, 03/11/2023)