The Deprat Affair

L' AFFAIRE DEPRAT : AMBITION, VENGEANCE ET FORFAITURE EN INDOCHINE FRANÇAISE

Comme nostalgique de cet endroit par la "faute" de Jean Hougron, Claude Farrère, Albert Londres, Graham Greene etc., je n'ai pu résister à la lecture de l'ouvrage de Roger Osborne sur l'Affaire Leprat. Heureusement d'ailleurs. Nostalgique ? Bien que lorsque je suis né et enfin arrivé là-bas, il y avait deja les républiques du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Colonialiste alors ? Sûrement pas, mais l'atmosphère spécifique telle qu'elle ressort des oeuvres des écrivains précités et beaucoup d'autres, je ne l'ai tout simplement trouvé nulle part ailleurs.

Un autre français qui a écrit des romans indochinois est Jacques Deprat, sous le pseudonyme de Herbert Wild, tels "Les chiens aboient", "L'autre race" et "Dans les replis du dragon". Ces livres furent publiés dans les années 1920-1930 chez Albin Michel et réédités par Kailash. Seulement, ces histoires ont leur propre histoire, surtout celle des chiens qui aboient et sur laquelle je reviens.

La grande controverse, à la base de l'ouvrage, démarre en 1917 lorsque le jeune géologue Jacques Deprat se fait accuser par le directeur du Service Géologique de l'Indochine (SGI), Honoré Lantenois, de falsification. Plus précisément d'avoir mêlé délibérément des fossiles d'origine européenne à ses découvertes faites à Nui Nga Ma, un coin isolé d'Annam. La grande controverse aurait pu être évitée si Deprat n'était pas tout de suite passé à l'attaque. Fatigué comme il était, il aurait pu se montrer étonné, voire sceptique, mais sa réaction véhémente allait avoir des conséquences catastrophiques sur sa carrière et existence.

Pourtant sa carrière, établie sur une intelligence solide et de gros efforts, s'annonçait si prometteuse. Jacques Deprat était né à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) en 1880. À 19 ans, il devint membre de la Société géologique de France (SGF) et à 24 ans docteur en géologie. Cinq ans plus tard, en 1909, il s'embarqua avec sa jeune épouse pour Hanoï comme chef du SGI. Comme alpiniste courageux, il réalisa de multiples missions au Laos, Yunnan et le Tonkin dans des endroits à peine accessibles et reçut prix et honneurs, tout en se faisant une réputation mondiale pour ses travaux et découvertes.

Sa réaction intempestive et maladroite lui valut les pires misères : enquêtes et contre-enquêtes tant en Indochine qu'à Paris, querelles avec chefs et collègues et lorsqu'il fut prouvé que les fossiles en question venaient de Bohême en Tchéquie, renvoi de la Société géologique de France. En 1919, il quitte l'Indochine et s'installe à Moulins, où il se met à écrire des bouquins pour survivre.

Dans "Les chiens aboient", paru en 1926, il donne sa propre version des faits en racontant les malheurs et l'injustice qui frappent son héros fictif, nommé Dorpat, qui a été victime d'un collègue jaloux qui aurait ajouté les fossiles de Bohême pour le disqualifier. Une affirmation un peu invraisemblable dans la mesure que ce collègue, Henri Mansuy, jouit encore aujourd'hui d'une solide réputation comme paléontologue.

Comme écrivain, Jacques Deprat réussit à connaître un certain succès, entre autres avec son "L'ambassade oubliée", et fut lauréat du Grand Prix des Français d'Asie, en 1927. Pratiquant son sport favori, l'alpinisme, il mourut en ascendant le Lézat dans les Pyrénées, en 1935, à l'âge de 55 ans.

La controverse ne s'arrêtait cependant pas avec sa mort. En 1990, son dossier fut rouvert et l'éminent professeur, membre de l'Académie des sciences et président de la SGF. Michel Durand-Delga (1923-2012), écrit un plaidoyer en sa faveur : "L'affaire Deprat, pour la réhabilitation d'un géologue proscrit" Un document relatif à ce plaidoyer peut d'ailleurs être consulté sur internet, en PDF, sous ce titre. Un an plus tard, la SGF réintégra Jacques Deprat officiellement comme membre.

L'ouvrage que Roger Osborne, a produit en 1999 sur cette ténébreuse affaire n'est pas uniquement captivant, il est tout simplement passionnant !
Il est vrai que ce journaliste américain (1936-2007), ne peut cacher sa profonde sympathie pour le géologue français, qui était comme lui un fanatique des montagnes. Osborne est, en effet, l'auteur de plusieurs livres sur ce sujet, parmi lesquels "Voices from Appalachia" sur la chaîne des Appalaches. Ceci ne l'a pas empêché d'effectuer de très sérieuses recherches.

Une fois de plus, je suis stupéfait qu'aucun éditeur en France n'a daigné en assurer une version française ! Jacques Deprat était bel et bien français, son histoire et parcours peu communs, l'auteur de nombreux oeuvres et il a été officiellement réhabilité ?